Vois-moi !
de Franz
Il faisait froid, j’étais glacé. Elle venait de me décharger de la voiture, et de nous mettre tous dans l’atelier. Sous un sac en plastique opaque, je n’y voyais rien. Avec le froid, je me sentais complètement figé, impossible à travailler. Ca serait pour un autre jour maintenant.
Lumière. Chaleur. C’est éblouissant, ici. Pour la première fois, je voyais un peu mieux où j’étais. Au pied du bac de tournage, au dessus de la pile de mes frères pains d’argile. C’est mon tour maintenant. Je la sens qui m’attrape, qui me met sur son épaule, et m’emmène sur la table de travail. Elle me pose, et va chercher d’autres de mes semblables. J’en profite pour regarder autour de moi. C’est grand, lumineux. Il y des tables, des tours de potier. Des sellettes de sculpteur. Dessus, des bustes en argile en cours de façonnage.
Et Elle.
Mon regard s’arrête sur Elle, et je ne pense qu’à Elle. Qu’Elle est belle ! Que je voudrais qu’Elle me voit!
Je suis modelable moi aussi, alors je tente de me changer un peu de forme. De devenir son égal. Toute ma volonté est dirigée vers ma matière, mon argile, ma densité. J’essaie fort, si fort, de changer de forme. Je sens les coins du pain de terre que je suis bouger légèrement. Je suis si dense, si inerte, c’est tellement difficile…
Je fais un tel effort que je perds conscience.
Je me réveille. Je n’y vois plus très bien, je suis recouvert d’un tissu qui laisse juste passer un peu de lumière. Je suis toujours sur la table de travail. Un flash. Elle, de nouveau. Toujours Elle, rien qu’Elle. Lui plaire. Alors je tente de ressentir ma forme. Je suis toujours un pauvre pain de terre, difforme. Comment lui plaire, je suis si commun, le même que tous les autres. Et tous mes efforts de l’autre jour n’ont donné quoi, qu’un léger ourlage de mon coin supérieur droit. Je n’y arriverais jamais assez vite. J’ai besoin d’aide.
Je me concentre, je sens bien que je suis plat au dessus. Forcément, la sculptrice verra cette partie lorsqu’elle retirera le linge. Alors je me déforme, un peu, millimètre par millimètre, je tente d’inscrire une lettre. A chaque instant, je me sens me creuser un peu plus, un peu plus profond, un peu plus long, je suis exténué. Je perçois qu’un A et un I s’étaient formés. Quelle énergie il me faudra pour écrire “Aide moi”... Seigneur, je t’en supplie, donne moi la force, aide moi pour qu’elle puisse m’aider! C’est trop dur pour moi, je sens que mes forces s’épuisent. Je n’en peux plus, je me sens partir…
Pendant des jours, j’ai mis tout mon coeur à me changer. Juste un peu, juste assez, assez vite pour qu’elle puisse me lire à temps, avant de me former à sa main, selon ses désirs. Avant que je ne prenne une forme qui ne soit pas la mienne, celle qui séduirait celle que j’aime.
Et la sculptrice m’a vu. Elle a lu mon message. Haussé les épaules.
Depuis, je reste prisonnier.
Elle a fait de moi un pot en terre, devant Elle, qui ne me verra jamais.
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