Aller simple (2016)
Quand je pense que j’ai failli le rater ! Quand je suis arrivé sur le quai, le signal retentissait. Je suis monté par la première porte et j’ai dû remonter toute la rame.
Voiture 15, place 58 ! Ouf ! Merde ! Un carré. J’ai horreur de ces places, car on ne sait pas où mettre ses jambes. Même pas une petite place pour mon petit sac. Les gens s’étalent au maximum, sans gêne. Je n’ose pas déplacer leurs affaires. Je suis obligé de retourner le mettre en début de voiture. Sûr qu’on va me le voler ! Maintenant, c’est un gros plouc que je suis obligé de déranger pour me glisser vers mon coin fenêtre. Moi qui n’aime pas me faire remarquer !
Je m'installe, en essayant de ne pas toucher les pieds ou les jambes du mec en face de moi. Raté ! Je lève les yeux pour m’excuser. Il me jette à peine un œil, esquissant un sourire. Je reste bouche bée. Son visage, légèrement bronzé, est harmonieux, viril. Un nez fin, de belles lèvres, une mâchoire bien dessinée, donnant un rectangle parfait. Sa mèche en épi monte et retombe. Des yeux d’un bleu profond. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi beau ! Contrairement aux beaux gosses habituels, il n’affiche pas cet air imbécile et satisfait.
J’ai dû le regarder trop intensément, car je le sens gêné. Rouge de confusion, j’attrape mon smartphone pour me plonger dedans. Je sais que j’ai le mec le plus sublime en face de moi, celui que je voudrais être, et que je ne peux pas le regarder. Il doit avoir quelques années de moins que moi, je dirais vingt ans à peine. Au-dessus de mon téléphone, je le détaille sans bien le discerner, dans cette périphérie floue de ma vision. Il est habillé avec classe et avec soin. Des vêtements coûteux, apparemment. Très élégant.
Pourquoi m’intéressé-je à ce garçon ? Je n’ai jamais regardé de garçon ! Qui s’intéresserait à un timide renfermé comme moi, sans intérêt. Il semble tellement à l’aise. Pourquoi le peut-il, lui, dans sa beauté, alors que cela m’est interdit, dans ma banalité et ma gaucherie ?
***
C’est qui, ce mec ? Il se pointe en retard, bouscule tout le monde sans s’excuser ! En plus, il m’a regardé comme s’il voulait me manger. Je n’ai jamais été examiné, détaillé comme ça. Heureusement qu’il s’est mis sur son téléphone et ne s’intéresse plus à moi.
Il doit avoir dans les vingt-cinq ans, un peu moins. Il a l’air sympathique, mais il est trop comique. D’abord, il est habillé n’importe comment, sans goût et sans recherche, comme un vieux. Pourtant, je ne crois pas qu’il soit encore étudiant. Sans doute un prof ! Il a l’air intelligent, ses yeux le montrent. Mais comment peut-on être coincé à ce point ? Je suis sûr qu’il est super maladroit aussi. Vraiment comique, ce gus ! Ça lui donne un côté attachant. On a envie de prendre soin de lui. Il a un truc attirant.
Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi voudrais-je faire connaissance avec ce type bizarre ? Je vais essayer de dormir.
***
J’ai tellement envie de le connaître ! Peut-être pourrions-nous devenir amis ? À ses côtés, je ne sais pas, mais je me sentirais plus fort. La vie doit si être facile, si évidente pour lui. Jeune, beau, riche, intelligent. En plus, il doit être gentil, il a un air doux. J’apprendrai, il m’aidera… Je ne peux pas lui adresser la parole devant tous les autres. Pour lui dire quoi ? De toute façon, je ne me vois pas aborder un inconnu, même si nous n’étions que tous les deux en plein milieu du désert. Il semble s’être endormi. Je peux le regarder un peu mieux. Oh, là là ! Il est vraiment parfait ! Ses longs cils sur ses paupières ! On ne voit pas sa barbe, c’est vrai qu’il est blond. Ou alors, il est plus jeune qu’il ne parait. J’espère qu’il n’est pas mineur : j’aurais des ennuis !
Tiens, je vais essayer de trouver son téléphone. Avec ce que m’a montré Paul, je dois y arriver. Merde ! Quarante-huit téléphones à proximité. Il a une tête à avoir un e-phone. Plus que neuf. Pas le dernier modèle, reste trois. Je n’ai plus qu’à envoyer un message…
Je ne vais pas faire ça ! C’est une intrusion ! Mais sinon… Tant pis ! Personne ne peut savoir que c’est moi, même si je n’ai pas masqué mon numéro.
Le message est parti sur le premier numéro. Oups ! Ça vibre de l’autre côté de l’allée. Jolie, cette fille. Dommage que je ne sois pas en face d’elle, pour rêver ! Pourquoi ne fais-je pas pareil avec ce mec ? S’il me répond, il va falloir qu’on se parle. J’ai horreur de ça ! Juste rêver, ça me suffit. J’ai tellement envie… j’essaye le deuxième numéro…
Ça vibre dans sa poche. Bingo ! Il a l’air surpris, je le comprends !
***
Merde, quand je commençais à dormir. C’est quoi ce message à la con : « Bonjour ! » ? Numéro inconnu ! Encore une pub ! Font chier…
***
C’est lui ! Il n’a pas l’air content. J’arrête. Je ne peux pas l’embêter, je ne veux pas le déranger. Je n’ai rien à lui dire. Je n’ai jamais rien à dire. Il n’a pas répondu. Je le comprends. Je ne sais pas quoi faire. Allez ! Il me rend fou. J’ai trop envie de continuer.
***
J’ai eu ton numéro, et j’aimerais que l’on fasse connaissance.
On se connaît ?
Bien sûr que non !
Alors, laissez-moi tranquille.
Désolé. Juste…
Juste quoi ?
J’ai deux heures de train devant moi. Je vous ai croisé et je suis intrigué.
Par moi ?
Oui.
Si vous avez mon numéro, nous avons une connaissance commune.
C’est plus compliqué que ça !
(C’est quoi, ces messages ? C’est qui ? Après le mec bizarre, les messages bizarres ! Décidément, c’est la série ! J’ai encore une heure à tuer. Autant jouer à ce petit jeu, c’est sans risque !)
Pourquoi s’intéresser à moi ? D’abord, fille ou garçon ?
Cela a de l’importance ?
Bien sûr ! Vous me connaissez et moi je ne sais rien de vous !
Je n’ai rien de particulier ! C’est sans intérêt. Désolé pour le dérangement.
(Merde. J’ai tout cassé ! Il m’intimide tellement ! Si jamais il m’envoie chier, cela va être trop dur. Autant laisser tomber. Je vais lire l’article que Paul m’a envoyé.)
***
(Eh ben ! Il n’est pas agressif ! Il se referme comme une huitre. À moins que ce soit une tactique. Trop compliqué ! S’il veut me parler, il n’a qu’à le faire !)
(Je n’arrive pas à me concentrer. J’ai tellement envie !)
***
J’ai 24 ans et je suis un garçon, enfin, un homme, ou presque.
Presque quoi ?
Non. Je veux dire totalement, mais comme je n’ai ni ami ni amie, je ne suis pas vraiment quelqu’un.
En tous les cas, tu as l’air compliqué ! Tu as besoin d’aide ?
Non. Merci. Je suis habitué à être seul.
(Il vient de lever les yeux sur moi en recevant le message. Il doit se douter de quelque chose.)
Tout va bien alors !
(Curieux ! Le mec en face semble aussi avoir une conversation en phase avec la mienne ! Pourvu que ce ne soit pas lui ! Je suis con : il ne peut pas connaitre mon numéro !)
Oui, merci. Je ne vous dérange pas ?
Non ! comme vous je suis dans un train !
C’est amusant ! Vous allez où ?
À Paris. Et vous ?
À Paris aussi ! En venant d’où ?
(Merde ! Il va savoir que nous sommes dans le même train !)
De Strasbourg. Et toi ?
(Oh la la ! Il me tutoie… Je fais quoi ? Tant pis…)
De Nancy.
Alors nous sommes dans le même train ?
Sans doute…
(Quitte à s’amuser, on va voir !)
On se retrouve à la voiture-bar dans 5 mn ?
(Putain, qu’est-ce que je fais maintenant ?)
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