gare de Hamburg

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mars 1944

Andrea veut quitter Hamburg avec ses deux enfants. Les Américains avancent et elle sait que la bataille va se déchainer. Elle espère rejoindre ses parents à Hannover, avec Frieda, fillette de quatre ans et Julius, son frère de trois ans. Herbert, son mari a disparu il y a maintenant deux ans. Il s’était engagé, par devoir et par reconnaissance envers sa patrie qui lui avait redonné du travail et rendu sa fierté.

La gare est noire de monde. Tous les habitants tentent de fuir, alors qu’avec les combats et les destructions les trains sont peu nombreux. Andrea porte deux valises énormes. Frieda la suit en tenant la main de son petit frère. Le train pour Hannover stationne. Le départ est imminent. Andrea n’a rien à donner à manger et à boire à ses enfants. Elle aperçoit un marchand ambulant vingt mètres plus loin. Elle dit à Frieda de veiller sur son petit frère, le temps qu’elle achète le nécessaire.

À peine plus haute que les valises dont elle a la garde, Frieda est effrayée par la foule, ces personnes d’autant plus immenses qu’elles débordent de paquets, de sacs. Un coup de trompette strident la fait sursauter. Les haut-parleurs aboient sans arrêt. Des locomotives lâchent leur vapeur dans de grands bruits. Leurs sifflets percent les tympans. Frieda est perdue : il y a trop de choses terrifiantes. Elle ne quitte pas Julius des yeux. Du haut de ses cinq ans, depuis qu’elle sait que papa ne reviendra pas, elle sait qu’elle est la grande sœur responsable. Des passants masquent sans arrêt sa maman. Soudain, elle ne la voit plus. Elle s’affole, se dresse sur la pointe des pieds pour la retrouver, se tourne dans tous les sens. Elle sent la peur la grignoter. Elle a tellement envie de pleurer. Elle se ratatine, c’est fini, ils sont abandonnés dans ce monde monstrueux. Elle ne doit pas pleurer, c’est elle la grande ! Elle lève les yeux une dernière fois. Elle aperçoit sa maman qui revient, en courant autant qu’elle peut. Au lieu de sourire, elle semble paniquée. Pourquoi ? La peur de sa maman l’envahit. Elle tombe. Sa maman arrive, la secoue :

— Julius, où est Julius ?

Frieda se rend compte alors qu’elle a oublié de surveiller son frère. Il n’est plus là !

Sa maman hurle.

— Julius, Julius !

Les passants s’arrêtent, s'interrogeant sur ces cris. Sa mère répète sans fin le nom de son frère. Frieda ne comprend pas. Julius est un farceur, il va revenir.

Un gros homme imposant, avec un bel uniforme bleu, une casquette noire, arrive. C’est un contrôleur de la Reichsbahn. Il saisit immédiatement la situation. Andrea est inutile, perdue dans son supplice. Il se penche vers la petite fille.

— Comment t’appelles-tu ?

– Frieda !

— Tu veux bien m’aider à retrouver ton frère ?

Elle baisse la tête pour acquiescer. Le gros homme empoigne la fillette et la monte sur ses épaules.

— Regarde bien partout, sur le quai et dans le train. Il ne doit pas être loin.

Ils remontent doucement le train, se frayant un passage dans la cohue. Frieda jette ses yeux. Les compartiments sont bourrés. Elle ne voit pas tout. Ils sont presque au bout du train, près de la locomotive qui halète bruyamment. Là ! Dans ce compartiment, à côté de cette dame, le petit bambin blond aux grands yeux bleus, c’est Julius ! L’employé gravit les marches. Frieda le suit, lui tenant la main.

Julius est assis tranquillement, en train de manger un gâteau. Il sourit en voyant sa sœur.

Sans un mot, le contrôleur prend Julius dans ses bras et l’emmène. La jeune femme pleure sur sa banquette. Elle vient de perdre à nouveau son petit garçon, Oscar, déjà tué dans les bombardements.

Julius et Frieda ont rejoint leur maman. Le contrôleur est reparti, sans un mot, trop occupé à essayer d’aider tous ces gens en perdition.


juin 2020

Plus de quatre-vingts ans plus tard, c’est la petite voix de Frieda qui nous racontera cette histoire au cours d’une ballade. Pour la première fois depuis tant de décennies, ce terrible moment revenait, intact dans son épouvante.

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