Le chapeau
L'attente à Agades, à la recherche du camion qui nous transiterait jusqu'à Tamanrasset, était longue.
La ville était minuscule, perdue dans ce début de désert. Un ancien hôtel colonial restait la seule ressource pour les touristes inexistants et les routards que nous étions. Le rafistolage avait remplacé le maigre luxe et les boissons douteuses étaient servies dans des verres non lavés depuis cette époque.
Dès le premier jour nous avions croisé ce Peul magnifique dans son boubou bleu ciel. Jeune, souriant, il portait cinq ou six chapeaux sur la tête et autant dans les mains. Seuls chalands possibles, sans se faire d'illusions, il nous aborda pour nous proposer un de ces couvre-chefs traditionnels, faits de paille et de cuirs tressés. Dans un grand sourire, il annonça un prix exorbitant, qui nous fit partir dans un grand éclat de rire. Par gentillesse, j’examinai ce bel objet qu'il m'avait forcé dans les mains. Je lui dit mon admiration et mon besoin inexistant. Sur son insistance, je finis par lâcher un prix dérisoire, peut- être vingt fois inférieur à son offre. Il sourit. Je n'ai compris que bien plus tard sa finesse commerciale.
Chaque jour, nous le croisions, trimballant son stock intact. Chaque fois, c'étaient de grands sourires, une auscultation attentive du chapeau. Son offre baissait, je m'arcboutais sur mon prix de désintérêt.
Nous avions enfin trouvé un passage pour le lendemain. Le savait-il ? Cette fois, son prix était simplement le double de ma proposition. Une sorte de camaraderie s'était établie au travers de ce rituel quotidien. Je suis parti avec cet immense chapeau accroché au sac à dos.
Il m'a suivi dans mes déménagements, toujours aussi beau, toujours aussi inutile.
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