Le cri de toutes les carottes (réponse à un défi)

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Vous venez de me fouler du pied. Je ne vous en veux pas, je suis minuscule, sans attrait. Heureusement du reste ! Vous n’hésitez pas à cueillir mes consœurs pour leur couleur ou leur parfum, à arracher un brin d’herbe pour le suçoter, un bout de bois pour le tailler.

Vous ne vous en rendez même pas compte !

C’est sans importance pour nous, car vous ignorez notre puissance et notre capacité à survivre ! Broutées, abattues, déracinées, nous sommes toujours là ! Vous avez beau bétonner et goudronner, dès que vous vous éloignez, hop, nous revoilà ! Nous avons nos petits alliés, les lichens, les champignons que vous dédaignez. Dès qu’ils ont préparé le terrain, nous vous envahissons ! Ne le niez pas, cela vous plait ! Une fleur, un brin d’herbe ont déjà rendu espoir à ceux d’entre vous qui étaient plongés dans un de vos enfers.

Pourtant, nous ne pouvons pas bouger, pensez-vous ! Stupides que vous êtes ! Nous avons inventé mille façons de conquérir les continents. Bon, je reconnais que dès qu’il fait trop sec ou trop froid, on ne peut plus ! Vous non plus du reste.

Vous vous vantez de votre patrimoine génétique qui vous a propulsé maitre du Monde, jusqu’à le détruire pour vous conforter dans votre pitoyable puissance. Mais savez-vous que nos gènes sont plus nombreux ? Bien obligées ! Quand on est pieds dans le sol, pour réagir, il ne faut compter que sur soi.

Tenez, pour vous montrer votre étroitesse : vous êtes fier de votre personne, de votre intégrité. Prenez un de nos fruits, décortiquez-le. Dans cet être, vous avez la mère, la fille à venir, un mélange de mère-fille. Quelle est sa personnalité ? Prenez maintenant un chêne multicentenaire. Ces cellules vivantes n’ont rien à voir avec celle du gland initial. En vous penchant sur nous, vous ouvrez le grand livre du vivant, insondable et vertigineux.

Vous faites les fiers, petits jeunots ! Cela fait des millions d’années que nous vivons tranquillement, toujours pareilles, toujours nouvelles. Je ne veux pas me moquer, mais à quoi allez-vous ressembler dans un million d’années ? Vous en avez tellement peur que vous avez choisi de vous flinguer !

Si jamais vous avez un coup de blues, ouvrez un bouquin de botanique, regardez les photos, découvrez nos prouesses pour nous féconder, nous semer. Notre imagination est infiniment plus féconde que votre intelligence. Vous n’avez pénétré qu’une infime partie de notre univers.

Vous nous exploitez. Tous les êtres vivants nous exploitent, car nous avons le pouvoir suprême, celui de transformer la lumière en énergie. Nous sommes généreuses, invulnérables, belles, infinies. Vous avez tenté de nous domestiquer pour vous nourrir. Des sœurs ont accepté de se sacrifier pour vous aider. En retour, vous avez inventé des produits pour nous tuer, en nous traitant de mauvaises herbes. Vous ne méritez pas votre impérialisme.

Nous ne quémandons pas de la reconnaissance, simplement votre connaissance. S’intéresser à nous, c’est devenir amoureux de nous toutes ! C’est ça le vrai charme. Seuls vos poètes et vos artistes s’approchent de nous avec amour et respect. Pour eux, nous vous pardonnons votre aveuglement.

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