Le passeur
Sa vie durant, il avait accompagné les voyages. Sa réputation s’étendait bien au-delà de son village, des lieux alentour. Son nom avait été oublié depuis longtemps ; il était connu et appelé par son surnom, « le passeur ».
Il venait, passait cinq minutes, une heure, des heures, mais tous partaient avec un visage apaisé, comme joyeux de ce vers quoi ils allaient. Même les accidentés tenaient, on ne sait comment, jusqu’à son arrivée. Le curé lui-même, qui lui succédait chaque fois, le fit appeler avant de partir.
Ce qui se passait dans ces derniers moments, nul ne le sut jamais, car il demeurait seul avec le prochain ou la prochaine appelée. Il ne demandait rien, ne vivait de rien dans la maison qui avait été celle de leurs parents. Il parlait très peu, répondait aimablement quand on l’interpellait. Par respect ou par crainte, chacun se tenait à distance de ce personnage qui semblait tourné vers son intérieur.
Tout le monde ignorait qu’il s’était approché de très près de la limite et qu’il avait vu l’autre côté. Il était revenu, sans raison, peut-être pour accomplir son destin de passeur.
Quand son temps arriva, il ne demanda rien, resta seul. Son agonie fut longue, éprouvante, comme s’il refusait ce que lui savait.
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