Compartiment N°?
Un soir, deux sièges côte-à-côte dans un vieux train. Un espace déjà trop grand entre nous. La joie pourtant d'avoir appris au dernier instant que tu rentrais en même temps que moi. Partageons cet ultime bout de chemin. Un film pour au moins rapprocher nos yeux. J'attendais tellement ta main sur mon bras que j'en sentais la brûlure. La brûlure aussi de ma couardise qui gelait mon coeur. Ce film si compliqué à choisir, pour coller à ton désir. Tout le reflux de pensées dans ma tête drainait l'énergie hors de mon corps. Impossible de l'écouter, impossible courage. Pourtant elle, à l'écran, n'était que corps en furie, élancement d'émotions spectaculaires et perpétuelles. Elle sauvait le monde, elle libérait la force brute de cette insubstance dévorante.
La journée n'avait été que couleur. Découverte, trop de nouveauté, j'avais la peur au ventre. J'espèrais tant que le seul miracle de ta présence dégeôlerait ma tête. Ça n'est jamais l'autre pas vrai ? Qui sinon moi aurait pu m'ouvrir la cage. Une balade le long de toutes ces heures, les reliefs, les arbres, les rivières. Les bribes de récits de vie, de confidences. Au grand air, je croyais qu'on s'ouvrait. Mais dure, dure est la surface. Tellement perdue à te plaire, presque sûre de n'en être pas capable. Je divaguais sur mes vagues d'angoisse. Les bons mots, les silences, subis. Je voulais arrêter là, tout en attendant la percée. Qu'est-ce qui chez moi peut lui plaire. Qu'est-ce qui est moi-même.
M'étais-je forcée à vivre cette rencontre. Pour me prouver que j'en étais capable. Pour que l'autre réussisse là où je ne peux pas.
C'était comme provoquer l'harmonie. Tous les composants étaient là. Mais le rythme cassait, asynchrone, discordant. Intolérable de voir les mille éclats du fantasme.
J'étais seule, si seule. Assise dans mon compartiment, mon train mental lancé à toute allure. Lui semblait satisfait de sa propre présence, appréciant nature et repas. Allongé dans l'herbe à l'ombre d'un arbre, savourant cette pause bienvenue. Je me tortillais sur le siège inconfortable de mon wagon-prison, voulant descendre pour le rejoindre. Là, pour sentir l'herbe fraîche sous mes doigts, le vent jouer le son des feuilles, vivre avec lui ce moment. Tout, je passais à côté de tout. Mon train ne s'est pas arrêté, je n'ai pas quitté le compartiment. Il roule sans fin.
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