Rêves aériens — 1 (V2)

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La Terre s'éloigne.

Le Vertige prend au corps.

Le visage écrasé par la pression,

Vent mangé, joues ballons, gorge étouffée d'air.

La masse du Ciel semble résister, puis se laisse percer facilement. Mais fouette la chair.

Tomber. Filer, sans fin. Au loin, la Terre rétrécit, disparaît même, en concédant quelques roches brisées.

En bas, les vagues grises montent et descendent ; elles respirent.

Des dégradés sombres y piétinent les blancs, le bleu s'y meurt,

Des volutes, telles des montagnes instantanées,

S'élancent.

Les nuages vacillent, percés.

Ils ne sont rien. Du gris, de la vapeur humide et froide.

Ils se referment sur la voûte perdue, lointaine déjà, et ses larmes de pierre.

Nouvelle percée, Ciel éventré, s'ouvre l'immensité bleue, glaciale et pure. L'œil solaire regarde, indifférent.

En dessous, s'approche l'écume, cotonneuse, molle, accueillante. Trancher l'air,

Toujours plus vite. L'instable figure bosselée, lit des géants, t'attend.

Ses bras de nacre s'ouvrent.

Nuages troués, transpercés.

Rien pour freiner, nul endroit où s'écraser, brouillard intangible.

Corps du Ciel déchiré.

Chute sans fin.

Plus rien de visible.

Sinon la blancheur.

La pression, terrible, écrase,

Il n'y qu'elle pour rappeler la chute.

Sinon rien,

Juste

L’ennui blanc.

Et mourir,

Pour toujours.

Tomber durant

Des lunes,

Des décennies,

Des générations,

Des ères,

Rien pour nuancer l'infini,

Rien pour salir l'inlassable blanc.

La chute disparait,

Reste le flottement

Ne plus tomber.

Flotter.


Nulle étoile.

Une errance sans fin ;

Un calvaire, sans relief.

À jamais, tomber

Dans la lumière.

Mourir

De ne rien voir

Mourir

De faim,

Dans

Une

Éternelle

Chute.

.

.

.

S'ouvre l'étendue ! éclate le monde, le blanc explose ! Couleurs, textures, en bas, renaissent, les courants revivent, s'infléchissent, deviennent contraires, la masse opaque se ponctue d'entrelacs sombres.

Une nouvelle densité – une ombre colossale – prend consistance derrière le voile des nuages. Le Ciel se crève.

Brusque ouverture sur l’immensité.

L’océan pâle meurt, déjà trop haut. Sous l'infini, sous les nues,

Une nouvelle Terre jaillit. Celle qui n'était plus renait en bas du monde.

Sa sœur s'étend, cachée, sous le Ciel jaloux.

Territoire inédit, miroir d'en haut,

Où brillent des merveilles.

D’intenses tracés de montagnes aux pics veinés de blanc,

Contreforts gonflés de forets hirsutes. Des bâtiments, boites sombres,

Tranchent la verdure des plaines d'entre-monts. La mer – celle des mythes –, immensité d'eau,

À perte de vue, reflète l'humeur solaire jusqu'à percer les yeux.

Elle était là, derrière le voile. Reflet du monde.

Filer vers cette Terre insoupçonnée,

À toute vitesse.

Tomber vers son abyssale beauté,

La traverser.

S’y écraser.


Elle grossit,

Elle sera bientôt la dernière chose au monde.

Le sol fonce, inarrêtable.

Bientôt, la seconde Terre...

L’impact va te pulvériser !

 La lumière le frappa.

­— Réveille-toi, l’ami, dit une voix derrière les flammes.

 Bane s'agita, se dégagea du feu, recula dans l'obscurité et heurta quelqu'un. Ses mains en touchèrent d'autres, ses paumes s'appuyèrent malencontreusement au sol.

Mes gants ! Il fouilla fiévreusement le parquet baigné d'ombre, des genoux partout, des pieds, des corps couchés. Il se redressa, avec l'impression de suffoquer dans l'odeur des autres. Tout semblait bouger !

— N’aie crainte, nous sommes à bord d'une voile, fit la même personne, lui tendant ses gants. Tu sors d’un long sommeil.

Une voile ? Bane fut soudain pris de vertige. Il attrapa ses gants, prenant soin de ne pas toucher la peau de son interlocuteur, puis les réajusta, retrouvant leur sécurité relative. Dans l'espace fermé et puant où ils se trouvaient, les torches éclairaient des corps entassés, des visages inexpressifs. Le feu faisait mal aux yeux. Tout tanguait affreusement. Il eut soudain envie de vomir.

 D'autres l'aidèrent à s’incliner avant que cela n'arrive. On s'écarta pour qu'il recrache le contenu de son estomac sur le plancher. Tremblotant, Bane entendit les gens se plaindre du bruit et des odeurs. Il resta un instant couché non loin de la flaque qu’il venait de produire, épuisé. Le jeune homme à la torche se tenait à côté de lui et pressait son dos d’une main réconfortante. Bane se rappela qu'il s'appelait Ulri.

 Lorsqu’il se sentit mieux, il tenta de se redresser, cette fois plus lentement. Il s’assit et prit le Temps d’observer la cale dans laquelle tous s'entassaient. Il y faisait trop sombre, ils étaient trop nombreux pour qu'il puisse identifier des visages connus. Impossible d'évaluer la taille des lieux, les voiles avaient des formes et des tailles différentes, il se pouvait que tous les transpassants soient entassés là, mais rien n'était certain.

 En se frottant les tempes, Bane avait l’impression de dissiper son mal de tête. Encore étourdi, il ne parvenait pas à se rappeler comment il s'était retrouvé là. Essayant de se remémorer les événements, il ne retrouva que des images imprécises, des lieux obscurs et des visages autoritaires.

— Que fait-on ici ? murmura-t-il à l’adresse d’Ulri, en s’essuyant la bouche.

 Pour toute réponse, le jeune homme haussa les épaules. Bane se tourna vers les autres. Leurs regards se perdaient de l'obscurité, en quête de raisons, ou plongés dans leurs noirs souvenirs. Des images insistaient derrière la douleur de son crâne. Bane n'était pas sûr de vouloir s'y confronter. Même si des réponses y gisaient.

Dieux, que faisons-nous là ? interrogea-t-il en regardant le plafond où se trouvait la trappe d'accès. Parmi les gémissements, les pleurs et reniflements, des pas percutaient le bambou de l'étage supérieur.

 La lumière traversa soudain les portes, inondant les mines affolées. De l'air, la lueur du jour, de l'espoir. Les odeurs allaient s'envoler, ils allaient enfin pouvoir respirer. Peut-être même être libérés. Déjà nombre d'entre eux s'aventuraient sur les marches.

 Une ombre apparut dans l'encadrement, telle une barrière infranchissable.

— Faites les remonter, tonna une voix autoritaire. Que l'œil brulant du Temps les voit, et les juge !

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