Hauts-fonds — Vox
« Bon, je ne le dirai qu’une fois alors écoutez bien ! Vous demandez souvent pourquoi pénétrer la Terre est une infamie et pourquoi les enterrains sont interdits. Sacrés naïfs, que vous êtes !
Bon, apparemment les Ter ne font pas leur boulot correctement à l’école, donc c’est Sim Mana qui s’y colle.
Non, je ne vous parlerai pas des sans-castes. C’est bon, on les connaît. Je vais vous parler d’une autre affaire, tout aussi sordide…
C’est l’histoire d’un homme curieux, qui voulait toujours en savoir plus sur le monde et son fonctionnement. Il doutait que les dieux soient vraiment à l’initiative des mouvements dans le CéliTerre. On le traitait d’impie, car il prétendait qu’il y avait “des mécanismes” , auto-alimentés, qui nourrissaient tous les événements. Un peu comme les rouages dans les voiles, mais sans le capitaine ou l’équipage pour les faire tourner.
Comment, c’est pas clair ? Hé bien, écoutez donc, ce le sera !
Ce personnage, dont le nom s’est perdu dans l’oubli, voulait trouver l’origine des mécanismes qu’il décrivait. Par exemple — car un exemple c’est toujours bon —, il prétendait que l’eau, le lait de notre Terre, s’originait bien avant les cascades sortant des mamelles rocheuses de la déesse. Il n’avait pas froid aux yeux, ce bonhomme — où alors les Ter de ce Temps étaient trop tête en bas — car il clamait, haut et fort, qu’il fallait remonter le fil du lait pour trouver sa réelle provenance. L’Envers, probablement…
Mais, oui, petit ! C’est comme si un gars minuscule rêvait de creuser les seins de ta gentille maman pour y trouver l’origine du lait que tu as tété dans ton jeune Temps ! Quoi ? Je te choque ? Attends la suite !
Bon ! Donc, dans sa quête d’Envers, cet homme avait de la suite dans les idées. Indifférent aux édits religieux, il a commencé à étudier les plaques taillées dans certaines zones du plafond du monde. Cherchez donc, elles sont là, mais ont été habillement masquées à vos yeux inattentifs.
Selon lui, il s’agissait de portails menant au cœur de notre Terre. Et il se faisait fort de les ouvrir.
Bon, je ne vous cache pas qu’il les a étudiés longTemps, très longTemps. Certains prétendent même que sa recherche dura près de trente alignements !
Et puis un jour il disparut. Comme ça ! Ceux qui le côtoyaient régulièrement chantaient volontiers qu’il avait enfin trouvé la clé pour ouvrir les mystérieuses plaques et qu’il était monté dans les hauteurs de la Terre.
Les Ter ont crié aux racontars, les Aers ont ignoré l’histoire. Seuls les Vox, avides de récits à consigner, ont cherché à connaître la vérité.
Alors, ils ont recherché cet homme partout. Rien à faire.
Les Ter ont conclu : punition des dieux, les Aers ont continué de boire. Parmi les Vox, tous oublièrent, sauf une… La seule qui fit le lien.
Une lune après sa disparition, il y eut un tremblement de Terre. Pas très violent, d’ailleurs, les annales ne le mentionnent presque pas, par contre ce qui y était associé marqua les incarnas ! Très très particulier… Écoutez bien : il parait que pendant un instant, un tout tout petit instant, minuscule… Tous les êtres et les choses du monde s’élevèrent légèrement, avant de retomber…
…
Ah, si vous pouviez voir vos tronches en ce moment !
Vous avez raison d’avoir la bouche grande ouverte, les petits. C’est très étrange !
Et bien la Vox qui n’avait pas lâché l’affaire — et probablement celle qui a consigné l’histoire — elle s’est dit : Sang-morne ! Ne serait-ce pas lié à notre ami qui a disparu dans le plafond, par hasard ?
Aussi continua-t-elle ses recherches, bille en tête. Messagère devait la guider, car elle était persuadée qu’elle allait tomber sur le fameux bonhomme à l’occasion. C’est l’inverse qui se passa. Drôle de coup d’Ironie, c’est le gars qui lui tomba un jour dessus.
Sim Mana se fait un peu vieille, sa mémoire lui joue quelques tours, mais elle se rappelle à peu près du récit tel qu’il était rendu dans les archives, il disait ceci :
“Terre accoucha devant moi d’un homme qui, émergeant de l’obscurité, vint s’écraser sur la plateforme bancale que j’avais empruntée. Son regard était trouble, ses mots venteux, il se tournait en tous sens comme s’il s’attendait à tout instant que quelqu’un ou quelque chose l’attaque.
Il était visiblement malade, mais refusa l’intervention de la mède auquel je voulais avec insistance le confier.
Il me décrivit ce qu’il avait trouvé en rentrant dans les veines de notre Mère.
Il disait, hagard, qu’il y avait au sein de la Terre d’étonnantes structures, semblant être le fait d’humains, qui lui avaient permis de remonter jusqu’en son cœur. Il prétendait que ce qui s’y trouvait était, à ses mots, d’une étrangeté absolue.
Il y avait dans notre Terre des choses qui n’auraient jamais dû exister : des galeries faites de métal nacré, des lumières qu’aucune flamme n’alimentait, des sons effrayants que nulle oreille ne devait entendre. Parmi toutes ses descriptions, la plus effrayante qu’il me fit fut celle de cet autre lui-même, une sorte de jumeau maudit, qui l’avait poursuivi à maintes reprises dans les galeries.
Il avait, disait-il, le même visage, le même carna, la même apparence — jusqu’aux mêmes vêtements — que lui. Un jour il avait tenté de lui parler, il avait alors vu son regard et fut pris d’une terreur sans nom, car ses yeux étaient faits de Vide.
Après une fuite éperdue, il a décidé de renoncer à ses recherches et m’a confié être revenu en souface pour échapper à cet autre lui. Il espérait retrouver sa vie — l’époque où il était encore ignorant. Voilà comment il était apparu devant moi.
Son ignorance, il ne la retrouva pas.
Il craignait sans cesse que celui qu’il appelait l’autre ne vienne le retrouver.
Il craignait, disait-il aussi, que tous les autres qui erraient dans les ensols ne viennent, car désormais le passage était ouvert…”
…
Alors ? Bande des singes, vous avez peur hein ? Et encore, je vous ai pas tout dit ! Mais rassurez-vous. Après que ce récit fut ébruité, et surtout mis en scène, en grand spectacle, par les Vox, les Aers — qui se réveillèrent enfin — s’assurèrent que les plaques au plafond soient rapidement cachées, ou du moins rendues inaccessibles. On raconte même que des gardiens auraient été mobilisés pour les surveiller jour et nuit, prêts à sonner l’alerte si elles s’ouvraient…
Ils sont toujours là, vous savez, mais ne se montrent pas, car personne ne doit savoir que la menace pèse encore au-dessus de nos têtes.
Et maintenant que vous avez très peur, je peux vous le dire : tout ça, c’est du pipeau ! La vieille Sim vous raconte ses contes d’avertissement, c’est tout !
Les ensols font peurs, car la folie vous y attend ! C’est pour ça qu’on vous les interdit ! »
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