Périphérie — 3 (V2)

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 Une nouvelle lumière, bien trop lumineuse, jaillit de l’obscurité. Le soleil à l’horizon.

 Suivi d’un ciel sans nuage au-dessus d’une plaine aride, genre montagneuse, composée d’immenses blocs gris-noir. Paysage presque lunaire, si ce n’est l’arbre tout tordu, probablement mort, qui trônait, pas loin.

 Ça ressemblait un peu à la zone entre l’agglomération et l’hôtel, sauf qu’ici, il y avait des textures, des nuances, des détails. Presque trop. Presque autant qu’à l’extérieur de l’Atopon.

 Elle s’abaissa pour toucher la surface sous ses pieds. Une plaque métallique, plutôt chaude, avec des dessins et des mots, écrits avec des lettres brouillées. Il y avait quelque chose d’étrange dans la qualité de ce qu’elle touchait, sentait, voyait. Était-ce l’extérieur ou un nouvel Atopon ? Un non-lieu dans un autre non-lieu…

 Elle inspecta ses mains. Des doigts déformés ou surnuméraires étaient souvent l’indice d’une dysfonction. Ceux qui passaient devant ses yeux appartenaient à de mains normales, mais jeunes. Elle était donc dans un nouvel Atopon, encore.

 Mais où ? Hors agglo ? Dans une plaine rocheuse ? Dans un désert ?

C’était quoi ces histoires de coordonnées ? Où était le siège, le bouton, le mécanisme, pour revenir à l’hôtel ? Il n’y avait rien. Juste elle. Debout, au milieu de nulle part.

— Merde ! lança-t-elle tout haut, en balayant la plaine du regard à la recherche d’un dispositif, d’un bâtiment, de n’importe quoi.

 Elle sursauta en tombant nez à nez avec quelqu’un planqué juste derrière elle. Non, pas planqué, c’était bien plus étrange. Un genre d’anomalie. Une femme, tête en bas, pieds au ciel, qui effectuait une sorte de poirier en s’appuyant d’une main sur une structure blanche plantée dans la roche.

 Elle la considéra, longtemps, sans comprendre. Puis vit qu’en réalité elle pendait, inversée par rapport au monde et se tenait accrochée du bout des doigts à l’étrange pylône. Elle était attirée vers le haut, vers le ciel. Elle allait bientôt lâcher prise.

 Heureusement, ce n’était qu’une anomalie, dans quelques instants elle se redresserait et reprendrait pied. Elle l’avait déjà vu.

— Vas-y, lâche, n’aie crainte, lui lança-t-elle pour qu’elle comprenne que tout cela allait bientôt cesser.

 La femme qui s’accrochait de toutes ses forces ne l’entendit pas, ou ne la comprit pas. Il était difficile de lire son expression en la voyant ainsi inversée. Mais elle murmura quelque chose :

— Attraction, sauve-moi !

 Elle semblait si désespérée. Si honnêtement — si humainement — désespérée, qu’elle lui tendit la main. Peut-être fallait-il l’aider pour rétablir l’ordre du monde pour elle ? Elle n’avait jamais osé toucher une anomalie auparavant, mais celle-ci était bien plus vraie que la plupart des pantins communs de l’Atopon. Celle-ci, elle avait envie de l’aider, et puis une fois sauvée, peut-être l’aiderait-elle en retour ?

 Elle lui tendit une main, la femme suspendue en fit autant.

 Quand leurs paumes se touchèrent, elles se traversèrent.

 Et alors, presque lentement, elle la vit lâcher prise. Elle monta au ciel.

 Non, elle y tomba.

 La voir disparaître, lui fila un haut-le-cœur. Elle avait l’impression d’assister à quelque chose de vrai, alors que ça ne ressemblait à rien. Cet Atopon ne fonctionnait pas comme le sien, les personnages semblaient y éprouver de la détresse, de la peur, de l’espoir !

À moins que…

 La détresse de cette femme, elle l’avait sentie. Rien à voir avec les figurants de son monde. Son regard était comme celui de sa sœur, de sa mère. Celui d’une vraie personne. Ce n’était pas possible, pas acceptable. C’était aussi insupportable que de voir sa sœur ou sa mère mourir à nouveau.

 Ce n’était pas un autre Atopon, comprenait-elle en la voyant disparaître dans un nuage. Ce devait être le monde réel, mais pourquoi était-il à l’envers ?

 Cette femme allait-elle tomber dans… l’espace ?

 L’angoisse monta en elle. Elle devait la rejoindre ! La sauver !

Et elle le sentait. Ici, c’était possible ; tangible, presque évident : dans ce monde, elle pouvait la sauver. Facilement, même. Il suffisait de le décider. L’idée s’imposa à elle comme une brusque certitude, voire comme une réelle connaissance.

 Elle se décrocha du sol et choisit délibérément de monter vers le grand ciel.

 À une vitesse aberrante, elle traversa les nuages pour la rattraper.

 En filant, une part d’elle-même se demandait comment tout cela pouvait être possible. Comment son corps faisait-il pour supporter une telle pression, une telle vitesse ? Jusqu’où pouvait-elle aller ? Jusque dans l’espace dont ses parents lui avaient tant parlé ?

 Alors que le bleu du ciel se fondait en un noir d’ardoise, elle vit s’approcher une surface remuante qui, bien que transparente, évoquait les eaux agitées d’une rivière.

 La femme inversée y plongea. Puis ce fut son tour.

 Et elle disparut dans les profondeurs du ciel.

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