Chapitre 6
C’était d’ailleurs ici même, dans le noir, derrière la porte, qu’elle avait assisté à la mort de la blanche princesse. Juste avant le drame, elle avait voulu intervenir, la prévenir du danger ou alerter les autres. Mais on lui avait intimé l’ordre de rester dans le cellier sans se montrer ni agir. Quand le silence revint, après avoir entendu un dernier soupir, la fin d’une musique tragique et l’éloignement des galops, Coquette avait pu enfin sortir. Le corps de la princesse gisait à ses pieds. Elle avait tenté de la ranimer, en vain. Impuissante, elle se souvint alors avoir pleuré, seule. Aucun animal n’était venu la consoler ; ils étaient tous partis prévenir les nains de la catastrophe. Quelques minutes plus tard, le bruit, au départ lointain, s’était rapproché progressivement. En outre, avant de repartir dans le cellier se cacher, elle avait emporté avec elle, instinctivement, tous les objets inutiles, les accessoires oubliés et le panier de pommes de la sorcière ainsi que celle dans laquelle la belle du royaune avait croqué.
À partir de la mort de la princesse, les sept ne furent plus les mêmes. Aigris, tristes, ils semblaient aussi ternes que leur décor. Avec le temps, ils avaient même redoublé de méchanceté vis-à-vis de Coquette. C'était la seule façon qu'ils avaient trouvé pour évacuer leur douleur face à cette disparition. C’était surtout un prétexte pour châtier celle qui restait. Le plus instruit du groupe reprocha à la naine d’être satisfaite d’un tel drame. Il passa tout son temps à énoncer les pires explications, jusqu’à l’hypothèse d’une connivence entre la naine et la méchante reine. L’histoire, à force d’être répétée par celui qui savait mieux que quiconque manier le verbe, n’avait pas tardé à faire l’unanimité. S’en suivit une série de punitions gratuites, infligées à la petite personne qui, malgré tout, avait tenté de prouver son innocence, ses qualités.
Ainsi, en une seule journée, elle était parvenue à cuisiner un bon repas pour les sept travailleurs et nettoyer de fond en comble la maison que les petits mineurs retrouvèrent, à leur retour, dans un état de propreté et de rangement jamais égalé. Mais, aveuglés par la mort de la femme parfaite, ils furent une fois de plus convaincus par l’érudit en chef qui avait vu en cet effort, la volonté de vouloir remplacer la belle du royaume. Pour d’autres, à l'instar du plus râleur de tous, cet ordre avait rompu leurs points de repère et créé un sujet supplémentaire pour nourrir leurs mécontentements chroniques. Et pour la première fois, le petit homme toujours de bonne humeur avait eu une fausse joie : en entrant dans cette maison, rangée et nettoyée comme le faisait la blanche princesse, il avait cru un bref moment au réveil de celle qu’il admirait tant.
Aussi, pour toutes ces raisons, après qu’ils eurent profité du repas que Coquette leur avait concocté, les nains s’en prirent violemment à la petite femme. Ils la violentèrent, à tour de rôle. Tous participèrent à ces exactions, excepté celui qui ne faisait que se cacher dans sa barbe. Celui-là, le plus introverti, ne l’avait jamais l’insultée. Toujours en retrait, il ne se permettait rien en présence des autres et n’avait pas osé la molester comme ses six confrères s’étaient plu à le faire. Les yeux coincés entre sa barbe et son bonnet, il s’était contenté de regarder le spectacle.
Ce n’est que bien plus tard, quand tous eurent jugé bon d’enfermer la naine dans le cellier en la priant de se faire oublier, que Coquette, dans le noir absolu, retrouva celui en qui elle avait porté ses espoirs. Ainsi, en pleine nuit, au lendemain de son premier jour de séquestration, la porte de sa geôle s’était entrebâillée, laissant voir la lueur dansante d’un bougeoir éclairer les lieux. Le plus réservé et son compagnon, le simple d’esprit, avaient ainsi décidé de rendre visite à la petite détenue, animés par une curiosité maladive qu’aucun ne leur soupçonnait. Désireux de mettre en pratique les vices les plus monstrueux qui occupaient leurs cerveaux dérangés, ils profitèrent de la faiblesse et de la captivité de Coquette, dans le plus grand secret. Chaque nuit qui suivit, les deux criminels silencieux s’introduisirent dans le cellier pour faire subir à la pauvre victime toutes les atrocités possibles. À tel point que cette dernière en vint à n’escompter qu’une chose : tomber définitivement dans l’oubli.
Jusqu’à hier, ce jour où la lumière, pleine et puissante, celle du soleil et des espoirs qu’il fait rayonner réapparu. Et ce fut le plus ronchon de tous qui lui ouvrit la porte pour lui ordonner de préparer sur le champ un banquet en l’honneur d’un évènement extraordinaire : le réveil de la blanche héroïne. Le prince charmant, en libérant la belle ingénue du sommeil éternel, l'extirpa de son cercueil de verre. Il en fut de même pour la naine, tant détestée, qui sortit ainsi de l’obscur cellier et d’un calvaire qu’elle pensait jusqu’alors sans issue.
Heureuse de revoir la lumière du jour et les couleurs des objets, aussi ternes fussent-ils, Coquette se mit aussitôt à la tâche. Sans attendre d’accompagnement musical ou la présence de quelque animal, elle entreprit de préparer le repas et s’appliqua dans ce nouveau rôle qu’on venait de lui donner avec tout l’entrain et la bonhomie qui étaient siennes. Ainsi, même si elle portait encore les stigmates des pires atrocités qu’elle avait subies, elle redoubla d’énergie et d’envie pour réussir les plats destinés aux petits hommes.
Après avoir passé toute la journée au fourneau, le soir de fête arriva. Elle avait dressé la table, en prenant soin d’y répartir toutes les préparation culinaires qu’elle contempla un dernier instant avant de repartir spontanément dans le cellier. De belles pièces de viande en sauce attiraient le nez des nains par leur fumet délicat, des tourtes gourmandes aux champignons régnaient comme mets incontournables, des pichets pour étancher leur soif, les enivrer et les amuser sans réserve ponctuaient le banquet. Enfin en dessert, une tarte s’imposait d’elle-même. Pour une fois, Coquette avait pu aller jusqu’au bout du rôle qu’elle s’était donné. Elle était très fière du résultat, notamment de sa touche sucrée finale dont raffolaient les hommes. Une tarte aux pommes.
Annotations
Versions