Crescendo
A cette température et dans cette humidité, respirer est déjà une épreuve. Protégé des rayons assidus du soleil par l’avancée du toit de tôles ondulées, affalé dans un fauteuil en rotin, je goute un repos bien mérité. Un de ces moments ou plus rien n’a d’importance, sinon apprécier un cocktail au nom délicieusement imprononçable, sous la terrasse d’un improbable bistrot, dans un pays férocement exotique.
Histoire de me rappeler son gout prononcé pour l’indépendance, la paille du fauteuil me picote le fessier. Oh rien d’insupportable, juste pour ne pas me laisser oublier que, ici, je suis un intrus.
Paf !
Moustique !
Eux, au moins, apprécient mon exotisme…
Une vibration de l’air me force à lever les yeux. Rappel du monde moderne, la pointe effilée d’un avion de ligne fend le nylon bleu du ciel, en libère sa doublure cotonneuse.
Grondement sourd de réacteur
L’azur se déchire
Par la fente s’échappe la ouate
Le temps, ici, se montre aussi inconstant que l’humeur d’une jolie fille en fleur. Un violent coup de tonnerre et, le temps de reculer mes jambes, d’énormes gouttes de pluie rebondissent et roulent sur le sol de poussière. Je hume les chaudes volutes, odeur de terre montant du sol. Un brouhaha de cataracte recouvre les conversations.
Sur le toit de tôle
Eclate l’orage d’été
Roulement nerveux des doigts de Dieu
Aussitôt arrivée, aussi vite arrêtée. La saute d’humeur du temps s’apaise dans l’instant. Un calme soudain enlise la gargote, ses habitants et la place qui s'étale devant mes yeux. La force du silence a arrêté le monde. Sur le comptoir la vieille horloge en profite pour se faire entendre et continue imperturbable d’écosser les minutes en secondes.
Disque cuivré
Va et vient permanent
Découpe, étire le temps
Surprenant tout le monde, elle sonne brusquement l’heure du repas. Je me lève de mon fauteuil de fakir pour m’installer sur la terrasse, à ma table habituelle.
Midi attablé
Caché sous les assiettes
L’ombre de la Lune
La fête n’est pas pour tout le monde. Dans mon dos, à travers les trous de la paroi branlante, m’observent les yeux de ceux pour qui l’heure de la sieste suit/précède l’heure de la diète. Il est plus facile que l'on pourrait le croire, de s’habituer à manger sous les regards affamés.
Au passage d’un mets
Lèche les doigts de la main
Leurre la faim
Ce matin, comme tous les matins depuis mon arrivée, j’ai traversé la prison. De quoi trouver, dans l’odeur des égouts à ciel ouvert du dehors, un agréable petit fumet de fleurs fanées. A ma droite, un long couloir sombre, strié de barres verticales jusqu’à l’extrémité aveugle, tout là-bas.
Entre deux barreaux d’acier
Une jambe nue tendue
Frisson à l’entrecuisse
Promiscuité extrême, conséquence d'une révolte sans le moindre espoir, poussé par la faim et celle des siens.
Foule angoissée
S’émiettent les pétales
Résonne l’écho
Je suis payé pour observer, alors j'observe. J'observe un pouvoir fragile et peureux n’épargner personne. "Que cela serve aux générations futures !"
Interrogation innocente
La gamine lève son moignon
Monsieur, ça repousse ?
Heureusement, même la faim a une fin, dans le choix de sa propre mort.
Ciel froid étoilé
Chuintement des pelletées de terre grasse
Echo infini du silence
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