7 : Henri

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Décembre 1910.

— Vous entendez ?

Pendant que nous fouillions l’île, Isaac nous interrompit, bouleversé par ce bruit… quelque peu étrange. C’était certain qu’il était terrifiant, à me hérisser les poils, donc je comprenais tout à fait la stupeur du policier. Ses yeux s’écarquillèrent, ses lèvres entrouvertes témoignaient de sa concentration pour déterminer d’où pouvait provenir ce vacarme auditif, presque mystique. Il avait même levé son index pour nous faire taire. Alors, le silence s’imposa à nous… Du moins, pas tout à fait, parce qu’il y avait ces voix.

Jsaac eut un frisson malgré lui, de la tête aux pieds, et se secoua comme un chien mouillé le ferait. Après avoir fini de scruter les horizons, il plongea son regard noisette dans les nôtres, alternant Gaby et moi-même, à la recherche d’une explication scientifique et rationnelle. Sauf que je ne l’avais pas, cette explication.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Des voix.

— Quoi ? Mais… Ce n’est pas possible. Les fantômes n’existent pas !

Je haussai simplement les épaules : ça m’était égal. Les faits étaient là, il y avait des voix dans ce phare. Depuis toujours. Alors comme lui, au début, j’étais perplexe. J’avais même accusé Lilin d’être fou et d’halluciner. Puis je les ai entendues… Ça m’avait fait tout drôle. Je me disais que peut-être j’étais tout aussi fou que Lilin, que l’isolement, la fatigue, le bruit du vent et des vagues nous faisaient délirer. Mais elles persistaient, encore et encore, tous les jours. Donc je m’y étais fait : elles étaient là, présentes, et vivaient avec nous.

Gaby et Isaac étaient tout blancs, comme s’ils venaient de voir l’inexplicable ! Un léger rire me lâcha maladroitement. Je ne voulais pas me moquer, mais c’était plus fort que moi. C’était trop drôle de les voir dans cet état : pâles, le visage stoïque, les yeux vitreux. On aurait même dit qu’Isaac était sur le point de faire un malaise. Il ne désirait qu’une chose : se tirer d’ici. Mais Gaby, quant à lui, était un peu plus persistant, il voulait savoir.

— Bon sang, mais qu’est-ce qu’elles disent ?

— Elles parlent en breton. En tout cas, c’est ce que nous pensions. J’ai cru entendre un : « Kerz kuit. »

— « Va-t’en »…

— Oui… Et plein d’autres choses.

— Finissons-en avec ce maudit phare.

Maudit, j’en doutais. Étonnant, énigmatique, curieux… ça, oui. On ne pouvait pas nier qu’il se passait bien des choses étranges ici. Mais était-ce réellement paranormal ou simplement le résultat de l’isolement ? Je ne pouvais pas le dire. Une chose était sûre : Félix, Lilin et Blanche ne pouvaient pas avoir disparu à cause de fantômes. Il y avait forcément une explication.

Gaby continua sa ronde, cherchant des indices qui pourraient nous mettre la puce à l’oreille concernant leur disparition, jusqu’à ce qu’il s’arrête sur l’ardoise accrochée au mur. Mais oui ! Le journal de bord ! Comment n’y avais-je pas pu penser à ça avant ?

— Qu’est-ce que c’est ? s’interrogea Gaby.

— Un tableau où l’on met nos notes avant de le mettre dans le journal de bord.

— Et… ce journal de bord, où est-il ?

Je me précipitai vers le tiroir du salon où se trouvait le fameux carnet. Il y avait tout dedans. Enfin, tout ce qui était utile pour un gardien de phare. Mais, nous pourrions savoir quand ils avaient cessé d’écrire dedans et donc, la date de leur disparition. Je donnai le précieux objet à Gaby qui s’empressa de l’ouvrir et y lire tout ce qu’on avait écrit dedans, puis il grimaça comme un enfant qui ne voulait pas manger de brocolis.

— Qu’est-ce que ça signifie ?

— C’est juste… des constats météorologiques.

Il continua de lire, ou plutôt de survoler tant les pages défilaient. Arrivé aux dernières pages écrites, il soupira de déception : il n’y avait rien sur les émotions des gardiens. Seulement la description de la météo. Ben oui, à quoi s’attendait-il ? À un journal intime ?

Quand il me redonna le journal de bord, je pus lire :

12 décembre : D’énormes bourrasques de vent. La tempête débute violemment. Les vagues s’écrasent sur l’île.

13 décembre : La tempête fait rage. L’île tremble.

14 décembre : Les orages ont débuté. La tempête continue.

Puis… plus rien.

Si l’on pouvait croire qu’ils avaient disparu le quatorze décembre, le tableau accroché sur le mur contredisait cette théorie. Nous écrivions toujours un jour à l’avance sur l’ardoise avant d’écrire sur le carnet. Et sur le tableau, on pouvait lire :

15 décembre : La tempête ne s’arrête plus.

Cette phrase me fit froid dans le dos. On pouvait y déceler le désespoir de mes camarades. La tempête fut longue, très longue, mais d’autant plus quand nous étions enfermés dans ce phare, sur cette minuscule île. Le temps paraissait décuplé, interminable. Et j’imaginais la détresse de Lilin, Félix et Blanche pendant cette tempête. Ils devaient sûrement penser qu’ils allaient mourir.

— Bien ! s’écria Gaby qui me sortit de mes pensées. La dernière date est donc le quinze décembre. Ils ont dû disparaître entre le quinze et le seize. Soit, il y a une semaine.

Une semaine… Une semaine auparavant, mes camarades étaient encore bel et bien vivants, enfermés dans cet endroit lugubre. Si nous étions venus les chercher avant la tempête, une semaine avant, nous aurions pu les sauver. Si encore étaient-ils morts. J’avais encore espoir qu’ils… je ne savais pas trop. Qu’ils aient grimpé dans un autre bateau et qu’ils soient ailleurs, sur la terre ferme.

— Aucun d’entre vous n’avait une sorte de… journal plus personnel ? me demanda Isaac.

— Pas à ma connaissance.

Il semblait déçu, les yeux baissés vers le sol, un soupir s’échappa de ses narines. Puis il releva son regard vers moi et retrouva son aplomb.

— Bon. Au moins, nous savons qu’ils ont disparu entre le quinze et le seize. Plus qu’à trouver ce qu’il s’est passé.

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