Le Sophiste
Le débat d’idée est un terme que l’on entend souvent aujourd’hui, et qu’on encense presque à un point qui me donne l’impression que notre société se satisfait davantage du spectacle de la joute verbale que de la véritable recherche de la vérité. De plus en plus il semblerait que l’on confonde philosopher et débattre et cela donne lieu au développement de techniques et stratégies rhétoriques qui vont à l’encontre même des principes de la Philosophie. C’est là que l’on commence à parler de Sophistique…
Bien que le terme soit formé étymologiquement à partir de la racine de la sagesse, il y est fondamentalement opposé. C’est ce que je vais chercher à appuyer ici en dressant un portrait type du sophiste, pour mieux mettre en lumière la confusion qu’il peut y avoir entre Rhétorique et Philosophie : Soit, l’Art du discours, et « l’Art de la Sagesse ».
Le Sophisme peut être considéré comme une arme efficace pour prendre l’avantage dans le débat. Or, dans nos sociétés occidentales on fantasme sur le don de l’éloquence. Que ce soit celui de l’avocat surdoué, du politicien charismatique, ou du rappeur clasher, on admire ce sens de la belle parole et surtout de la répartie. Elle est pour nous synonyme d’intelligence et de vivacité d’esprit, comme si prendre le dessus sur quelqu’un par la parole constituait une preuve irréfutable de notre supériorité intellectuelle face à lui. Autrement dit on part du principe que débattre = penser, penser = philosopher, donc remporter le débat = être un bon penseur/philosophe. L’erreur dans cette équation c’est d’oublier qu’il y a une grosse différence entre convaincre un auditoire que l’on a raison, et... avoir raison.
En effet, parfois aussi truqué qu’un muscle de body-builder en compétition le sophiste est imposant sur la forme, mais creux dans le fond. Cette façon superficielle qu'a le sophiste de soigner son discours pour briller aux yeux du publique est la caractéristique d’une pensée de l’Orgueil, là où le vrai philosophe ne se soucie, humblement, que de la fidélité de son discours envers la raison.
Pour imager un peu plus, je dirais qu’il y a, à mon sens, la même différence entre le Sophiste et le Philosophe qu’entre celui qui s’amuse à faire de grands gestes avec son pinceau et celui qui peint réellement. Mais manier l’outil ne signifie pas créer une œuvre, et c’est pour cela qu’il faut rester méfiant car ce qui ressort du discours du premier n’a pas de fondements stables…
N’ayant pour seule conviction réelle que lui même, le Sophiste veut tout relativiser. Tel un prestidigitateur jouant aux ombres chinoises sur les murs de la caverne de Platon, il transforme les images des concepts, comme des objets, en les faisant basculer, pivoter, selon son bon vouloir. D’un même cylindre tourné habilement, il peut projeter l’image d’un rectangle ou d’une sphère sur l’écran, et il vous dira que c’est parce que les concepts/objets n’ont pas de réalité absolue, mais qu’ils dépendent du point de vue de l’observateur…
Mais depuis quand déformer la vision de la réalité, signifie transformer la réalité ?
Prétendre le contraire, est un préambule pour tromper l’auditeur, car cela signifierait qu’il n’y aurait dans l’absolu ni vérité, ni mensonge, ni bien, ni mal, et tout l’art du manipulateur est de nous enfumer dans un monde brumeux, sans formes ni couleurs, sans base ni fondements sur lesquels l’esprit puisse s’appuyer. Ceci dans le but de pouvoir toujours retourner la situation à son avantage. Ainsi le sophiste peut adopter des points de vue contradictoires selon le débat et la personne auxquels il s’oppose.
En tant que pensée du « pouvoir » séculier, la pensée du sophiste peut divaguer sur tous les plans mais elle ramène toujours l'être dans son cadre physique, car elle ne s’applique qu’à tirer des bénéfices de ce monde temporel. Au contraire, la pensée philosophique s’évade du Temporel pour côtoyer le Spirituel, projetant l'être au delà de sa seule condition terrestre. La pensée philosophique se détache donc du matérialisme tandis que la pensée du sophiste est purement matérialiste. Qui dit matérialiste dit aussi superficiel. Le Sophiste n’est donc pas dirigé vers la Vérité, mais vers l’obtention d’un objet de puissance ou de plaisir : Qu’il s’agisse de gagner en notoriété/réputation, d’obtenir du pouvoir par le biais du succès, ou simplement le plaisir de la domination (vaincre dans une joute intellectuelle, montrer que l’on est le plus fort etc.).
Le sophiste ne sert donc qu’un seul maître, c’est l’EGO
En définitive, ce « Shopenhauerisme« , ou cet « Art de toujours avoir raison » en apparence, qui est si vanté et apprécié comme un canon du débat, mais dont les méthodes s’apparentent au mensonge ou à la manipulation, et dont l’objectif est la prise de Pouvoir au mépris de la véritable connaissance, n’est il donc pas fondamentalement Antiphilosophique ?
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