Quand Viens l'Heure de Tourner la Dernière Page
« Non. C'est impossible. Comment ai-je pu terminer une anthologie de l'horreur humaine par une histoire aussi optimiste et merveilleuse ? Mais quel imbécile ! Vite une gomme, afin d'aiguiser la lame émoussée de la honte. »
Soudain, une main agrippe le poignet de l'écrivain afin de le retenir de son geste condamnable. La propriétaire de ce membre est Pénélope, revenue des tréfonds de l'oubli universel.
« -Ne te sers pas de ta gomme pour oublier, mais de ton crayon pour te souvenir. Seul moi comprends le bienfait de se faire rayer d'une histoire car seul moi ait aspiré à l'oubli afin de me libérer. Je ne t'exaucerais pas le vœu d'oublier ce que tu penses être une erreur fatale. Tu ne peux terminer une anthologie de l'horreur autrement que par une note d'espoir. C'était ton objectif au départ, espérer un monde plus beau pour des hommes cruels. Alors lâche l'instrument qui allait causer ta déchéance et contente toi de fermer ce livre de l'erreur humaine. »
-Non... Trop de choses resteraient dans un silence immonde. Trop de stèles défigurées devront être dressées. »
Autre figure disparue depuis longtemps, Auxence, celui qui a disparu dans l'étrange salle, fonce vers l'écrivain torturé. Son regard trahi son envie de violence.
« Traître, Traître, Traître ! Il suffit de ces annonces macabres, il suffit de ces fins malheureuses, il suffit de ces manigances incessantes. On nous ment, on nous embobine et on nous fait mourir. Pour quoi ? Pour rien, strictement rien, nada ! On pense combattre pour une cause juste et finalement, on se rend compte de l'atrocité que l'on a créée. Traître, Traître, Traître ! Ce sont les seuls mots que je trouve pour te qualifier et je te les crache en plein sur ton visage de menteur ! Tu te trahis toi-même, en te mentant sur le sens de l'action que tu mènes. »
Victoire s'interpose entre les deux hommes et incendie de son puissant regard l'homme se considérant comme trahi.
« Cesse de t'acharner, Auxence, il nous a infligé des horreurs, et a fait de nous des monstres humanoïdes, mais personne, personne ne mérite tel traitement. Si tu retentes quoi que ce soit contre notre créateur, je ne resterais pas sourd à tes actes. Et toi, auteur des archives du mal, arrête de tourmenter les hommes avec leurs fautes. Ils en sont conscients et en souffrent. Il est inutile de leur faire mal en remuant le mal. Parce qu'il est impossible de rester aveugle devant cette sauvagerie, même pour les hommes, responsables de ces crimes. Comprends-tu cela ? Comprends-tu que le fardeau que nous portons ne peut pas seulement être horreur et abomination ? »
Auxence semble se calmer quelque peu, il maugréé tout de même et recule. L'auteur reprend la parole.
« Les hommes ne réagissent qu'à la douleur. Alors autant le stimuler, le mal dans mes entrailles et dans ceux de tous les hommes. »
Objet brillant dans le noir, l'homme le plus humain de tous les hommes saute sur l'écrivain. Le dénommé Stahl accuse sa victime par tous les mots.
« Même l'acier est plus humain que toi, animal ! Tu ne cherches qu'à rappeler tout ce que l'homme a de mauvais en lui pour soi-disant lui montrer comment sortir de ce trou infâme empli de ronces dans lequel il est enfermé. Mais ce n'est pas par la douleur que l'on apprend le bonheur, c'est de la douleur que l'on apprend le malheur. Tu es juste un homme cruel, comme ceux que tu penses sauver de la misère. Tu utilises ton arme pour tous les horrifier et les blesser alors que tu recherches seulement à tuer la bête qui grouille dans tes entrailles. Tu mériterais que je te pourfende, vil démon !
-Mais, Mais, Mais... »
Stahl recule quelque peu, satisfait d'avoir fait rester sans voix son créateur. Sylvain prends le relais et pèsent ses mots.
« Il n'y a aucun « mais » qui tienne, Stahl a raison. En faisant miroiter la lumière au bout du tunnel, l'homme sortira de lui-même de sa fosse épineuse. Alors qu'en écrivant toutes ces abominations, tu n'obéis pas à ton côté altruiste, mais à ta rancœur. Tu ne sais comment déverser ta rage contre la maléfique entité, alors tu la déverses sur l'homme, implantant ta noirceur dans leur cœur déjà assez obscur. Tu me rappelles mon antipathique créateur qui n'a su écouter les conseils de ses œuvres, et encore moins de les suivre. Change de voie ! C'est la seule chance pour que les hommes voient enfin la lumière au bout du tunnel.
-C'est vrai mais... »
Richter, revenu d'entre les morts, bouscule l'ex-détective afin de faire entendre raison au créateur du recueil des horribles vérités, car il pense avoir subi les mêmes épreuves que ce dernier.
« Sylvain a dit de cesser de t'opposer à ton destin, alors cesse de lui tenir tête. Le temps de l'abomination et de l'épouvante est révolu. Tu es coupable des pires atrocités qui existent et qui existeront dans l'avenir de l'humanité, point. Moi aussi je suis coupable, et autant que toi. Et c'est la folie de la solitude qui fait cela. C'est cette folie qui nous guette à chaque détour du chemin afin d'hâter notre chute. Quand nous sommes seuls, nous sommes pires que les animaux eux-mêmes. Il est temps de dire au revoir à ton arme souillée de sang et à ton bouclier resté fidèle jusqu'au bout. »
L'écrivain regarde son crayon et le recueil qu'il vient de créer, encore rempli de pages blanche. Alors il le referme et le garde collé à sa poitrine.
« Ça jamais ! Plutôt mourir des coups du monstre que déposer mes armes. »
Le reflet d'Aliénor se tient devant le créateur. Elle prie son créateur d'arrêter sa course folle dans les profondeurs de l'immondice.
« Tu es fou de pouvoir ! Moi aussi j'ai écrit, moi aussi j'ai souhaité la puissance, et moi aussi j'en suis devenu folle. Et regarde où ma triste histoire m'a menée ! Emprisonnée par des forces incontrôlables, je désespère maintenant de mon sort. La folie est le pire des amis que tu puisses désirer. Maintenant, écoute-moi bien, car il n'y aura pas de retour en arrière. Ecoute-la voix de la jeunesse pleine de sagesse. Ecoute la voix de ces personnages implorant de transformer leur avenir, et celui des hommes. Et ainsi, tu guideras ces derniers vers les sommets les plus lumineux. Tu seras leur phare, leur guide, leur chef ! Alors baisse les armes, et consacre-toi à la reconstruction d'un empire dont j'ai tant rêvé. »
Les personnages se retournent, et retournent de la pénombre d'où ils étaient venus. Le choix revient dans les doigts du créateur, réveiller le mal tapis dans l'ombre afin de faire sortir d'eux-mêmes les pauvres hommes, et se comporter en héros et d'être leur chandelle de l'espoir.
Le créateur se lève, il lâche épée et bouclier, il lâche crayon et cahier. Il se relève, les larmes aux bords des yeux et dis...
Merci...Merci d'avoir éclairé ma route. Tant de vérités sortis de vos bouches sont celles pour lesquelles je me battais auparavant. On ne peut parfois lutter contre le mal par ce même mal. Alors je vais les proférer, les véritables vérités, les grandes promesses qui tueront mon malheur et que je ferais à chacun de vous :
Pénélope... J'effacerai mes horreurs autrement que par la solution de l'oubli.
Auxence... Je cesserai de trahir les autres en me mentant à moi-même.
Victoire... J'arrêterai de rester aveugle face à mes erreurs et sourds face à mes horreurs.
Stahl... L'animal ne sera plus mon seul égal, et mes armes serviront dorénavant au bonheur des hommes.
Sylvain... Je ne laisserai plus ma rancœur guider mon geste.
Richter..Je ne resterai plus jamais seul, et jamais un homme ne restera seul.
Et toi Aliénor... Je te fais le serment de conduire les hommes vers le sommet le plus lumineux que l'on puisse espérer. Je fais le serment d'éradiquer la malédiction des hommes, cette folie dévorante leur faisant perdre leur raison de vivre qui a bien failli m'emporter. Enfin, je fais le serment, à vous tous de taire ces horribles vérités en écrivant les espoirs, les souvenirs, et les rêves des hommes, « Le recueil des fols espoirs ».
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