Chapitre 16
Alexis
Ce samedi-là, comme tous les autres jours ou presque, je rejoins mes "champions" sur la place. Nous sommes plus nombreux durant l'été, et il a fallu couper le terrain de boules en deux pour permettre à tous de jouer. Je fais équipe avec Vincent. On ne s'en sort pas trop mal, même si la concentration, ce jour-là, n'est pas mon fort. Layla doit arriver aujourd'hui et je me demande bien comment les choses vont se passer entre nous. Aura-t-elle envie de passer du temps avec moi ? Aura-t-elle des impératifs à assumer : visite à de la famille, à des amis, entretien de la maison ? J'ai eu du mal à lui écrire, ces derniers jours, à reprendre nos échanges sur le même ton qu'avant son départ au Japon, parce qu'à vrai dire, je me sens déboussolé et incapable de faire des choix, de prendre des décisions. Et l'annonce de la retraite du médecin d'Antraigues n'est pas la moindre des opportunités qui se présentent à moi.
J'ai toujours exercé en hôpital, mais j'ai acquis niveau d'études et expérience me permettant de pratiquer en médecine dite "de ville", en tant que généraliste. Enfin, ici, en l'occurrence, il s'agirait plutôt de médecine de campagne. Alors, cette annonce comme quoi la commune recherche un médecin a de quoi faire réfléchir. Et c'est ce que je suis en train de faire. J'ai tâté le terrain avec Marcel et Roger, mais aussi avec Mariette, un matin que je m'étais arrêté pour prendre un café. C'est le même son de cloche de leur part à tous : sans médecin, c'est un pas de plus vers la désertification rurale, vers des difficultés sans nom pour les habitants, et bien entendu, les personnes âgées au premier plan. Le médecin ne s'occupe pas que des Antraïgains, mais aussi des habitants des communes et hameaux alentours. On vient le voir de Genestelle à Aizac, de Laviole à Asperjoc.
On a beau savoir que c'est le lot de bien des communes en France, que les manques sont criants et les besoins énormes, je ne peux rester indifférent à ce qui se passe ici. Je n'y suis pas né ; il y a quelques mois encore, j'ignorais tout de cette commune et même de cette région, mais cela m'interpelle. Je me sens concerné.
A la fin de la partie, comme toujours, nous allons prendre un verre à "La Montagne". Et c'est là que je la vois. Layla est installée à la terrasse, à sa table habituelle, nous tournant le dos. Je laisse mes compagnons de jeu passer devant, entrer dans le bar. Ils vont prendre place au comptoir, discuter avec Mariette et son mari. Le temps qu'ils remarquent que je ne les ai pas suivis, ça me laisse un peu de marge. Je m'approche alors de la table de Layla. Elle est plongée dans un livre, mais de ce que j'ai pu observer, soit la lecture en est laborieuse, soit c'est écrit en tout petit, car elle n'a pas tourné la moindre page.
- Bonjour, Layla, dis-je.
Elle lève lentement les yeux vers moi et je ne peux ignorer le frisson qui court sur son bras nu. Rien que cette vision me renvoie vers ces heures que nous avons partagées et le souvenir d'autres frissons sur sa peau. Je déglutis, puis lui souris.
- Bonjour, Alexis, répond-elle d'une voix douce. Tu vas bien ?
- Oui. Je peux m'asseoir ?
Elle esquisse un simple sourire, accepte. Je m'attendais à plus d'enthousiasme, mais après tout, nous ne sommes pas seuls et elle souhaite sans doute un peu de discrétion. Nous demeurons silencieux, à nous regarder simplement les yeux dans les yeux. Puis elle me souffle :
- On s'en va ?
Je hoche la tête, me lève et nous quittons tranquillement la terrasse. Sans un mot, nous nous dirigeons vers le parking en contrebas d'Antraigues : elle n'a pas dû pouvoir stationner dans le village. Quant à moi, de toute façon, j'étais venu à pied.
**
Un léger courant d'air frais me tire du sommeil. Je mets quelques secondes à retrouver mes repères. Je ne suis pas chez moi, mais dans la chambre de Layla, et plus précisément, dans son lit. Mais j'y suis seul. Les souvenirs de notre soirée me reviennent par flots à l'esprit. Les quelques kilomètres de distance jusqu'aux Auches, avalés en silence. Notre entrée dans la maison par la porte-fenêtre du salon que nous avons traversé rapidement, la main de Layla qui avait saisi la mienne pour m'entraîner jusqu'à sa chambre. Nos doigts, fébriles, qui déjà cherchaient les recoins de peau les plus tendres, alors que nos bouches se soudaient en un baiser vertigineux. Puis nos retrouvailles, heureuses, lumineuses. Réjouissantes.
Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est. Je n'entends pas le moindre bruit non plus. Après une ou deux minutes à sonder le silence, je finis par me lever. Layla n'est pas dans la salle de bain. Alors j'enfile mon caleçon et grimpe l'escalier. A l'étage, le même silence, sauf que la porte de la terrasse est ouverte, me permettant d'apercevoir la silhouette de Layla.
Elle est assise sur le muret qui entoure la terrasse, tournant le dos à la maison et regardant, immobile, vers la vallée. Elle a revêtu une simple nuisette, qui moule merveilleusement ses formes. Elle est à la fois comme une apparition, une vision, une espérance. D'une beauté et d'une simplicité qui me coupent le souffle.
Et c'est à cet instant seulement que je prends conscience que je suis tombé amoureux.
Et amoureux d'elle.
De Layla.
Layla
Je devine la présence d'Alexis avant de l'entendre. Il se tient, immobile, sur le seuil de la maison. Puis il se décide à contourner la table pour me rejoindre. Sa voix traverse comme une onde l'air autour de moi :
- Layla ? Ca va ?
Je me tourne vers lui et c'est seulement à cet instant que je prends conscience des larmes qui roulent lentement sur mes joues. Son regard devient plus profond, ses joues pâlissent :
- Layla ?
Je tends la main vers lui, il m'entoure aussitôt de ses bras. Je laisse ma tête reposer contre son torse. Je ne saurais dire si je suis soulagée de sa présence, ou encore intriguée, voire en colère. Du plat de la paume, j'essuie mes joues et je demande :
- Alexis, pourquoi as-tu à peine répondu à mes messages, cette semaine ? J'ai cru que tu avais eu un accident, qu'il y avait un souci. Ou même…
Je laisse ma phrase en suspens : lui avouer que j'ai craint qu'il n'ait rencontré quelqu'un d'autre est une faiblesse dont je ne me sens pas encore capable.
Il penche sa tête vers moi, la laisse reposer contre mon front.
- Layla, je suis désolé. Je n'ai aucune excuse valable. Je ne voulais pas t'inquiéter. Je...
Il ne termine pas sa phrase, la laisse en suspens. Je m'écarte alors légèrement, pour le regarder. Quelque chose se forme en moi, de grand, de fort. J'ai l'impression d'être une vague sur le point de naître et d'être simultanément emportée par cette même vague. Ses yeux prennent une étrange couleur d'or.
- Je suis désolé, Layla, répète-t-il. C'est juste... qu'il y a beaucoup de choses qui se bousculent dans ma tête en ce moment et... et je n'arrive plus à savoir où j'en suis.
Je frissonne. Qu'est-ce qui peut bien lui arriver ? Il va falloir qu'il me parle.
- Tu as froid ? me demande-t-il d'un ton soudain inquiet.
- Non, ça va. Mais rentrons. Il faut qu'on parle, là.
Il baisse les yeux, un instant, me suit finalement jusque dans la maison. Je me dirige vers la cuisine, il faut que je boive quelque chose. Un verre d'eau, de jus de fruit, de lait, n'importe quoi, mais un verre. Alexis s'est assis dans le canapé et je prends place à côté de lui.
**
Je suis à peine assise qu'il prend ma main, entremêle ses doigts aux miens et caresse ma paume de son pouce. C'est doux et tendre, réconfortant, alors que j'ai le sentiment que c'est lui qui a besoin de réconfort. Peut-être a-t-il été troublé par mes larmes alors que je suis bien incapable d'expliquer pourquoi je pleurais. Emotions, fatigue, soulagement ? Difficile à dire et je ne leur cherche pas de raison.
- Qu'est-ce qui t'arrive, Alexis ? Au printemps, tu m'as dit qu'il y avait des choses dont tu n'avais pas envie de parler, soit. C'est ton choix, je le respecte. Mais là, j'ai l'impression que tu as besoin d'aide. Ce n'est pas la première fois que tu me dis que tu te sens perdu. Alors quoi ?
Je vois bien qu'il hésite, puis il se lance :
- Je suis en pleine réflexion sur mon avenir professionnel. Je dois faire des choix et j'ai beaucoup de mal à me déterminer. Pas tant par peur que par totale incertitude et même, une certaine "méfiance" vis-à-vis de mes capacités à continuer dans la voie dans laquelle je m'étais engagé.
- Est-ce que... Est-ce que la mort de ton père joue un rôle dans cette incertitude ?
- C'est difficile à dire. Sans doute que oui, dans le sens où il m'a laissé un petit héritage. Pas une fortune, mais suffisamment de quoi me laisser vivre quelques années sans me soucier d'avoir un salaire si j'en avais envie. D'où le fait, en partie, que je me sois retrouvé à Antraigues pour faire le point.
- Tu n'as donc pas la pression.
- En effet.
- Et cela te change de ton quotidien ? lui demandé-je d'un ton qui est plus une affirmation qu'une vraie question.
- Oui. Je vivais en région parisienne, tu sais ce que c'est. La foule, la ville, la pollution, un rythme quotidien effréné. Ici... Ici le temps est différent. Tout va beaucoup moins vite. Bien sûr, si je travaillais, sans doute que cette impression serait atténuée.
- Mais tu serais encore proche de la réalité. Je pense que tu aurais pu trouver ce genre d'impression dans d'autres endroits, notamment sur une île.
- Donc voilà. Je cherche ma place, en fait.
Je hoche la tête. Je n'ose pas lui demander quel métier il exerçait, ni même dans quel secteur professionnel. Il n'en a pas parlé spontanément, je respecte son besoin de secret. Du moins pour l'instant. Je suis habituée à prendre des décisions vite, à calculer les risques, à évaluer les situations. Et un choix qui engage, qui bouleverse une vie, j'en connais la réalité.
Et le prix.
**
Je dénoue doucement nos doigts, ma main remonte le long de son bras, caresse son épaule. J'appuie un instant ma tête contre elle alors que ma main glisse sur son torse. Je ne cherche pas à attiser son désir, juste à manifester ma présence et le réconfort que je pense pouvoir lui apporter à cet instant. Il ferme les yeux, repose sa tête en arrière.
Il est beau. A la fois fragile et incertain, lumineux et presque aérien. Mes caresses se font plus appuyées, plus précises. Il laisse échapper un premier soupir. Alors je l'embrasse. D'abord dans le cou, le long de sa mâchoire. Je ne fais que frôler ses lèvres avant de parcourir son torse de baisers légers, m'arrêtant sur ses mamelons, dans le creux de sa poitrine. Puis je me laisse glisser au sol et m'agenouille entre ses cuisses. La bosse qui déforme son caleçon me réjouit : c'est un bon moyen de laisser de côté ses préoccupations. Je le lui enlève et mes lèvres embrassent doucement son sexe tendu, le cajolent tendrement. Puis d'un geste rapide, je fais voler ma nuisette à travers la pièce avant de reprendre mes baisers intimes. Mes mains ne sont pas en reste, parcourant ses cuisses, son torse, ses bras. Son cri un peu rauque, ce "Layla !" quasi suppliant, m'arrête un instant. Je me redresse et viens m'empaler sur lui, plongeant mon regard dans le sien.
Et c'est lui qui, là, maintenant, m'agrippe et m'entraîne alors que mes hanches ondulent sur les siennes. Ses mains courent dans mon dos, se plaquent sur mes reins, glissent dans mes cheveux. Nous demeurons face à face, les yeux dans les yeux, nos bouches se frôlant sans jamais s'abreuver l'une à l'autre.
- Layla...
Son cri devient murmure et il s'abandonne enfin. Et rien que mon prénom, à peine soufflé, effleurant ma joue et je succombe à mon tour, pleurant le sien dans son cou.
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