Chapitre 24

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Alexis

Pour une fois, je suis le premier levé, juste avant l'aube. Fichue insomnie. J'ai abandonné Layla dans son lit, la recouvrant juste du drap pour qu'elle ne prenne pas froid. Les nuits sont un peu plus fraîches qu'en juillet et nous en profitons pour dormir avec la fenêtre ouverte.

Nous ne sommes pourtant pas rentrés tôt et la soirée a été bien animée et festive. J'aurais dû pouvoir dormir à peu près correctement. Je garde espoir de bénéficier encore de quelques heures de sommeil, tout à l'heure. J'ai tenté de me rendormir, mais c'était impossible. Alors plutôt que tourner dans le lit et risquer de réveiller Layla, j'ai quitté la chambre et je suis monté à l'étage, pour profiter de la terrasse et de cette heure où la nuit résiste encore au jour.

C'est aux Auches que nous sommes venus dormir. Layla passe peu de temps au cours de l'année en Ardèche et je comprends qu'elle préfère retrouver sa maison le plus possible, même s'il nous est arrivé de dormir à l'Enfer de temps à autre, le plus souvent parce qu'il en était plus aisé d'en partir en excursion le lendemain.

Ce sont nos dernières nuits et journées ensemble. Le compte à rebours est enclenché. Elle part vendredi matin. Il nous reste cinq jours. Cinq jours pour en profiter le plus possible, mais déjà, à l'image des mots qui me tournent dans la tête, me reviennent les paroles de la chanson. Que serais-je sans toi ? Que vais-je être sans Layla ?

Je contemple la vue dans le silence de la nuit. Cherchant dans les ombres incertaines une réponse qui ne s'y trouve pas. Une à une, les étoiles vont s'éteindre et c'est comme si son regard, déjà, s'amenuisait.

**

La main de Layla se glisse dans ma paume, ses doigts se nouent aux miens, me sortant de mes songes. Je me tourne vers elle et retrouve son regard, bien clair, bien vivant. Bien présent.

- Alexis ? Ca va ?

Quelque chose se joue, là, à nouveau. Et je comprends enfin que ce pas-là, nul à part moi ne peut le franchir.

- Layla...

Ma voix n'est qu'un murmure, à peine audible. Je déglutis et reprends, plus nettement :

- Layla ?

- Oui ? souffle-t-elle et son regard se voile d'une ombre magnifique.

- Qu'est-ce que... Qu'est-ce que je vais faire... ? Que vais-je être sans toi ?

Elle m'enlace tendrement, se rapproche de moi. Sa main gauche se pose sur ma joue, ses doigts dessinent les contours de ma bouche.

- Je me pose les mêmes questions, Alexis. Les mêmes.

Alors j'appuie mon front sur le sien, l'enlace en retour. A travers le fin tissu de sa nuisette, je peux sentir ses seins se poser sur mon torse. Son regard ne quitte pas le mien et je n'ai aucune envie de lui échapper.

- Je... Je crois que je suis tombé amoureux de toi.

Elle sourit doucement :

- Moi aussi.

Mon cœur fait un bond dans ma poitrine, j'en ferme brièvement les yeux tant l'émotion me submerge.

Layla

C'est un manque qui me tire du sommeil. J'ouvre les yeux, il fait encore nuit, mais je comprends bien vite qu'Alexis n'est plus à mes côtés. Sa place dans le lit est à peine tiède. Je repousse les draps, attrape ma nuisette et gagne l'étage. Je le trouve assis sur le muret, dans une attitude similaire à celle qu'il avait eue la première fois qu'il est venu ici, au mois de mai. Sauf qu'il faisait grand jour et qu'il pouvait contempler la vue. Là, c'est à peine si on devine la masse sombre de la montagne en face et sans quelques lumières, on ne saurait pas qu'il y a un village en contrebas.

Je demeure ainsi, sur le pas de la porte, à le regarder, sans oser bouger. Il ne m'a pas entendue, il n'a pas senti ma présence. Je distingue à peine ses traits, mais je devine à son attitude qu'il est très songeur. A quoi peut-il donc penser ? Encore à son avenir professionnel ? Ou bien revit-il la soirée que nous venons de passer à Craux, ces moments de pur partage, mais aussi d'émotion ?

Je savais que Ferrat était un magicien des mots et les deux albums qu'il a consacrés à des textes d'Aragon sont sans doute parmi ceux qu'il a le mieux réussis, avec une alchimie des mots qui n'étaient pas les siens, de la musique qu'il a su apporter et de sa voix, magistrale. Il a donné toute résonance à ces poèmes et a su les populariser. Mais qu'il soit parvenu à ce que chacun puisse s'en emparer...

Et surtout qu'Alexis et moi les ayons faits nôtres, c'est quelque chose que je ne pensais pas vivre.

Le regard brûlant d'Alexis, durant cette chanson, est gravé dans mon esprit et dans mon cœur, cette émotion qui passait comme à bout de souffle entre nous, me faisant oublier tout ce qui se passait autour de nous.

Je l'aime.

Et j'ose enfin me l'avouer.

**

Et mes sentiments sont partagés. Même si on se le dit encore du bout des mots, du bout des doigts. Je ressens un grand élan de joie, quelque chose de pur et presque d'innocent quand il me dit qu'il est tombé amoureux de moi. N'est-ce pas une des plus grandes joies qu'on puisse ressentir ?

Et je me sens si heureuse, en retour, de pouvoir lui avouer mes propres sentiments.

Nous demeurons longtemps ainsi, enlacés, dans la nuit tiède. Les parfums nous entourent, thym et lavande, herbes sèches, châtaigniers. Le chant de la Volane monte de la vallée et nous berce. J'ai appuyé ma tête contre son torse, refermé mes bras autour de sa taille. De même ses bras m'enlacent et me gardent tout contre lui, alors que sa tête repose sur mon épaule. Je suis bien. C'est juste un moment hors du temps, un de ces moments que je parviens à arracher au rythme trépidant qui est le mien. C'est très rare que cela m'arrive à Paris, plus fréquemment ici. Et pourvoir partager un de ces moments avec Alexis, c'est tout simplement merveilleux.

Je rouvre les yeux et vois la couleur du ciel changer au-dessus de la montagne, l'aube est proche.

- Alexis ?

- Hum ?

- Veux-tu regarder le soleil se lever ? Le jour est proche...

Il redresse la tête, mais me garde toujours tout contre lui.

- Et toi ?

- Je crois que je préférerais retourner me coucher.

- D'accord.

Et nous rentrons dans la maison.

Alexis

Etendu à côté de Layla, je la regarde tout en effleurant son visage du bout des doigts. J'ai l'impression de la redécouvrir. Qu'elle est encore plus belle. Que son regard est encore plus merveilleux, plus profond, plus surprenant aussi.

Sa main repose sur mon torse, ses doigts dessinent les contours de mes muscles. Puis elle vient chercher un baiser et nous nous embrassons longuement alors qu'elle bascule sur moi. Son corps est si doux, si chaud, si accueillant. Cette première étreinte après nos aveux est délicieuse. Comme si nos échanges gagnaient encore en sincérité, comme si la vérité ne nous faisait plus peur. Le plaisir nous emporte ensemble. Le chemin deviné et espéré s'ouvre réellement devant nous. Et nous pouvons nous y engager sereinement.

Quant à l'avenir... Il est soudainement passé aux oubliettes. Plus rien ne compte que l'autre. Plus rien d'autre n'a d'importance. C'est elle. C'est moi.

Et c'est tout.

Layla demeure étendue sur moi, le souffle encore court. Je glisse lentement ma main dans ses cheveux, repousse une mèche légèrement collée par la sueur. Elle sourit, heureuse.

Et je souris, heureux.

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