Chapitre 32

10 minutes de lecture

Alexis

Ce week-end, j'ai proposé à Layla d'aller nous aérer un peu et nous prenons la route assez tôt pour la Normandie. Nous n'irons pas voir ma famille qui vit dans le Cotentin, mais nous partons pour le pays de Caux. J'ai réservé pour la nuit dans un petit hôtel à Etretat. Il fait assez beau, mais beaucoup de vent. Nous en profitons pour faire une belle randonnée l'après-midi en suivant le sentier côtier pour découvrir les falaises de craie.

Le dimanche, nous allons jusqu'à Fécamp, nous nous promenons sur le port et nous pouvons même visiter le musée des Terre-neuvas. Je connaissais un peu l'histoire morutière de la côte. Cela intéresse aussi beaucoup Layla. En sortant, nous faisons à nouveau une balade le long de la mer, avant de rentrer sur Paris.

- Merci pour la bouffée d'air marin, Alexis, me dit Layla alors que nous faisons route vers Rouen. C'était une bonne idée.

- Je me suis dit que ce serait plus sympa que de rester à Paris, et comme je pouvais conduire, autant en profiter.

- Tu as eu raison. Cela faisait bien longtemps que je ne m'étais rendue à Etretat ! La dernière fois, je devais avoir seize ou dix-sept ans, nous étions venus passer un week-end prolongé du mois de mai à Paris et mes parents nous avaient emmenés en balade jusqu'ici. Nous nous étions arrêtés aussi à Giverny, pour voir la maison et le jardin de Monet, et nous avions passé une journée à Rouen à déambuler dans la ville, les vieux quartiers... C'est un joli souvenir.

- Cela m'arrivait parfois de venir par ici pour des petits breaks, pendant les études ou même quand j'ai commencé à travailler. Avec Bruno, Adèle, quelques autres amis. On campait, c'était à la bonne franquette. J'ai ainsi découvert la Haute-Normandie, alors que ma famille vivant dans le Cotentin, c'était surtout là-bas que j'allais avec mon père et pour les vacances aussi.

- Tu as gardé des liens avec ta famille ? Depuis la mort de ton père, je veux dire ?

- Oui. Avec mes deux cousins, nous sommes dans les mêmes tranches d'âge. L'un a juste une année de plus que moi, et son frère deux ans de moins. Nous avons passé une grande partie de nos vacances ensemble, à Portbail, c'est quasiment en face de Jersey, sur la côte ouest du Cotentin. Ma tante, la sœur de mon père, s'y est installée en rencontrant mon oncle. Elle a quitté Paris et ne l'a jamais regretté. On prend des nouvelles les uns des autres régulièrement.

- Je ne connais pas le Cotentin, m'avoue Layla.

- C'est beau aussi. Faudra qu'on y aille, un jour.

Nous échangeons un bref sourire avant que je ne me reconcentre sur la route.

- Et tu n'as pas d'autre famille, alors ?

- Non. Ma mère est fille unique et vit en Allemagne, comme je te l'ai dit. Elle est interprète et à la faveur d'un voyage, elle a fait connaissance avec mon beau-père. Il y avait déjà de l'eau dans le gaz entre mon père et elle, et ça a conduit à leur divorce. Elle s'est installée là-bas, moi, je suis resté avec mon père.

- Vous viviez dans quel quartier, ton père et toi ?

- Pas très loin de la porte d'Orléans, entre la rue d'Alésia et le parc Montsouris.

- C'est un quartier tranquille, fait-elle remarquer.

- Oui, c'était sympa.

- Finalement, en allant à Créteil, tu ne t'es pas trop éloigné.

- Je suis passé de l'autre côté du périphérique et en banlieue, mais effectivement, on ne peut pas dire que je sois allé au bout du monde. A la fois le hasard et une opportunité de poste, au CHU. Après, les choses se sont enquillées... dis-je vaguement.

Layla

Je note bien qu'Alexis parle de son passé avec un certain détachement. Néanmoins, il ne mentionne pas vraiment son travail au CHU et ce qui l'a conduit à faire un burn out. En tant que cheffe d'entreprise - et comme toute mon équipe de la direction ainsi que les chefs des différents services -, c'est une question à laquelle nous avons été sensibilisés, mais sans forcément en prendre pleinement la mesure. Pour nous-mêmes, bien sûr, car les postes à responsabilité sont souvent concernés, mais surtout pour nos employés. Alexis est cependant la première personne que je rencontre qui ait été touchée par ce phénomène, qui l'a pleinement vécu, et de plein fouet. Pas évident de rebondir. Ce que je retiens des échanges que j'avais pu avoir avec une psychologue du travail venue faire une conférence sur le sujet, chaque étape pour s'en remettre est cruciale. L'entourage compte beaucoup. C'est un peu comme une dépression. Il faut de l'empathie, de la patience. Prendre du recul, se laisser du temps. Il faut beaucoup de force morale pour affronter de tels moments, une telle épreuve.

Il me semble bien qu'Alexis est en train de passer ce cap. Du repos, il s'en est octroyé. Plutôt forcé au départ, puis finalement, il en a vite tiré les bienfaits. Avec beaucoup de chauvinisme, je reconnais qu'il aurait pu atterrir dans un village beaucoup moins agréable qu'Antraigues, beaucoup moins dépaysant aussi. Il avait certainement besoin de cela : se retrouver dans un autre endroit, avec un rythme de vie différent. Non seulement pour lui, mais dans tout son environnement. C'est certain que la bonhomie des "champions" de la place d'Antraigues n'a pas grand-chose à voir avec la dure réalité d'un service d'urgences sous tension continue.

Et maintenant, il peut aussi envisager son avenir dans une tout autre perspective, tout en restant dans son domaine d'activité. Il m'a déjà parlé de ses études, de son intérêt pour la médecine, que les heures de travail durant les années de faculté ne lui avaient pas fait peur. C'était dense, complet, intense. Et qu'après des semaines de cours très chargées et ce durant plusieurs années, il n'imaginait pas que l'exercice de sa profession pourrait être si destructeur. Comme tout étudiant, il pensait que le plus dur était derrière lui, une fois le diplôme en poche.

Désormais, il va pouvoir se projeter en tant que médecin de campagne, dans un cadre de vie qu'il s'est mis à apprécier, auprès de gens dont il se sent proche. Il va pouvoir être plus qu'utile : nécessaire, et je sens bien que c'est quelque chose de très important pour lui, que ça a été une de ses plus puissantes motivations pour passer les moments difficiles des études. Et c'est aussi une des raisons l'ayant maintenu debout, durant son burn out et pour en affronter les conséquences.

Nous demeurons silencieux un moment, puis Alexis me demande :

- Tu pensais à quoi, Layla ?

- Et bien, je me disais que tu étais solide. Et je me sentais admirative de ce que tu as fait ces derniers mois.

- Ah ? s'étonne-t-il.

- Oui. Tu sais, comme tout le monde, j'ai entendu parler du burn out. En tant que cheffe d'entreprise, j'y ai été sensibilisée par la médecine du travail et j'avais même fait venir une psychologue du travail, il y a deux ans environ pour nous en parler. Mais je ne connaissais personne à avoir traversé cela. Alors oui, je trouve que tu t'en sors bien et que tu rebondis bien. Ce n'est pas donné à tout le monde.

Il hoche la tête, puis dit, après un petit temps de réflexion :

- Tu m'as aidé aussi. Tu m'as encouragé à un moment où j'étais hésitant et alors que je ne voyais pas très clair en moi, que j'avais beaucoup de doutes.

- J'espère que tu ne doutes plus de tes capacités à exercer, à être à l'écoute de tes futurs patients et à bien les soigner.

- Non. Sur ces questions, ça va. Bien sûr, au début, j'aurai sans doute des hésitations face à quelques pathologies, mais quand j'ai rencontré l'ancien médecin, il m'a dit de venir le voir si j'avais des questions sur certains patients, en accord avec eux, bien entendu. Et je sais que je peux compter sur Bruno, aussi, pour parler d'un cas particulier. En même temps, je ne pense pas que je serai confronté à trop de "cas". Et je pourrai toujours les envoyer vers un spécialiste, si je le juge nécessaire.

- Oui. A Aubenas ou au pire, à Montélimar, voire à Lyon pour les cas graves, tu auras des relais. Je dis Lyon pour les cas vraiment particuliers, cancers, notamment.

- C'est ce que j'ai compris.

- Tu as encore des doutes, cependant ?

- Disons que tant que le dossier n'a pas plus avancé du côté de l'administration, je me sens encore un peu entre deux eaux. J'y verrai plus clair une fois que nous aurons eu ce rendez-vous à l'ARS, avec le maire.

- Est-ce que c'est bien qu'il vienne avec toi ?

- Tout à fait. C'est même mieux. François va rappeler l'importance d'avoir à nouveau un généraliste pour sa commune et les communes alentours. Il va défendre mon installation, d'une manière que je ne saurais pas faire. Parce qu'il a mieux en tête les enjeux que moi, pour la population. Alors que moi, j'aborde les choses plus sur l'aspect médical.

- Vous serez assez complémentaires, lors de ce rendez-vous, fais-je remarquer.

- Oui, c'est ainsi que nous le préparons.

Je souris, puis je dis :

- Je suis contente, tu sais, que tu aies cette opportunité. Pas seulement pour Antraigues, pour les gens que je connais. Pour toi aussi. Il m'arrive de me sentir impatiente que tu puisses commencer !

Il rit légèrement :

- Merci de ton enthousiasme. Je ferai au mieux, tu sais.

Nous arrivons alors aux abords de Rouen et il me demande si je veux y faire un tour. Il n'est pas très tard et nous pourrions y dîner, faire une petite promenade dans la vieille ville, avant de rentrer sur Paris. Il ajoute cependant : "si cela ne fait pas trop tard pour toi".

Je suis partante. Après tout, ensuite, nous ne serons qu'à une heure de route et cela lui permet aussi de faire une pause dans la conduite. Nous quittons donc la rocade pour entrer dans la ville et nous arrêtons près de la place Saint-Marc. Dans une des petites rues autour de la cathédrale, nous trouvons un restaurant pour dîner. Nous flânons ensuite un moment dans le quartier, pour ne pas rejoindre trop vite la voiture. Nous marchons bras dessus, bras dessous. Je profite au maximum de ces moments avec lui, car jeudi, il repart pour l'Ardèche.

Je suis à mille lieues du travail et cette détente, c'est Alexis qui me la procure.

**

Allongée sur Alexis, je caresse son torse du bout des doigts et savoure le dessin de ses muscles. Il me sourit, amusé, tout en se laissant faire. J'ai bien noté qu'il appréciait mes initiatives et qu'il ne rechignait pas à me laisser prendre les devants. J'avoue que j'aime cet équilibre entre nous, chacun pouvant se laisser aller à ses envies, à son désir de donner du plaisir à l'autre. Ma seule vraie expérience de relation amoureuse s'est terminée il y a plus de quatre ans maintenant, quand j'ai quitté Bordeaux pour monter à Paris. Cela faisait un peu plus d'un an que je sortais avec Mathieu. Mes parents l'appréciaient, moi, je me sentais amoureuse. Et je l'étais ! Mais avec le recul, je peux me dire que notre rupture était inévitable et je ne suis pas certaine que nous aurions continué bien longtemps. Certes, il se préparait à entrer dans l'étude notariale de son père, à le seconder jusqu'à ce que ce dernier prenne sa retraite. Nous avions des parcours similaires qui nous attendaient. L'AVC de papa en a décidé autrement.

Lorsque j'étais montée à Paris, nous avions décidé de "rester ensemble". Il est venu me voir deux fois à Boulogne, puis a cessé ses visites. J'ai vite senti qu'il s'éloignait et de toute façon, je n'avais pas le temps de me consacrer à lui. J'ai rompu avant qu'il ne m'annonce que j'avais été remplacée. J'avoue ne pas avoir beaucoup hésité à faire ce choix.

Avec Alexis, même si au quotidien nous sommes loin l'un de l'autre, je n'ai pas du tout cette impression de distance, d'éloignement. Au contraire, j'ai le sentiment qu'il reste tourné vers moi et je demeure tournée vers lui. Nous ne précipitons rien, non plus. Nous prenons le temps d'apprendre à nous connaître tout en faisant déjà des projets. Quand je lui ai annoncé que j'allais venir mi-novembre, soit juste après son rendez-vous à l'ARS, il en a été très heureux. Son sourire parlait pour lui. Je ne lui ai pas encore fait part de mon intention de passer les fêtes de fin d'année avec lui, je ne veux rien bousculer. Et je dois déjà négocier cela avec mes parents, enfin, surtout, ma mère.

Ce début de relation entre nous n'est pas rare de nos jours. Parfois, on se rencontre, et les opportunités professionnelles font que l'un s'éloigne, mais la relation se maintient. A chaque fois, c'est un équilibre à trouver, beaucoup de confiance à accorder, des concessions à faire aussi. Je n'ai pas le sentiment de devoir en faire d'insurmontables ou de trop difficiles, trop douloureuses. Du moins pour le moment.

Je ne peux pas dire que mes précédentes histoires - et surtout celle avec Mathieu - m'ont permis d'acquérir de l'expérience. Après Mathieu, j'ai eu quelques brèves aventures, mais très peu : le travail passait avant toute chose. Et la plupart, je les ai eues à Bordeaux, lorsque j'y retournais pour voir ma famille et retrouver mes amis. Ma réflexion amuserait certainement Aurélie, mais sincèrement, je peux dire que je fais presque mes premiers pas dans la vie de couple avec Alexis.

Je sais aussi que lorsqu'il va repartir, ça va me faire un choc, que je ressentirai un manque très profond. Mais je me raccrocherai au fait que nous allons vite nous revoir, que huit jours à Aizac en plein mois de novembre, c'est inespéré. Et si je compte bien aider au mieux Maïwenn à évaluer l'état des usines, je souhaite aussi bien profiter de tous les moments que je pourrai passer avec Alexis. S'il commence à exercer en début d'année, peut-être au mieux au printemps, lors de mes prochaines visites, il sera moins disponible. Alors autant prendre tout ce que le destin peut nous offrir.

Et pour l'heure, le destin m'offre un Alexis toute attente, qui savoure chacune de mes caresses, chacun de mes baisers. Qui me laisse épancher mes envies et assouvir mes désirs. Qui répond à mes caresses par des caresses plus audacieuses encore, qui répond à mes baisers par des baisers plus mordants encore. Qui me murmure que je suis belle et qu'il a envie de moi. Très fort.

Et qui m'accompagne bien haut vers les sommets du plaisir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Pom&pomme ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0