Layla

Après le départ d'Alexis, je me plonge dans le travail. Peut-être encore plus que d'habitude. Je m'entretiens par deux fois avec Maïwenn pour préparer notre déplacement. Laurent avait raison : elle est très efficace et a déjà collecté beaucoup de données, même si elle n'a pas encore eu le temps de toutes les exploiter, ce qui est bien normal. Elle possède ainsi tous les bilans des dernières années de nos usines turque et thaïe et différentes projections sur l'évolution des coûts de l'énergie et notamment du pétrole. En revanche, pour le moment, elle n'a pas prospecté pour tout ce qui concerne un rééquipement des usines, attendant que l'on s'y rende pour mieux évaluer les choses.

Et je compte bien l'accompagner autant que possible, même si je ne ferai sans doute pas tous les déplacements avec elle.

Pour la Toussaint, je descends à Bordeaux. C'est un peu la tradition dans la famille de maman, d'être là pour se retrouver en famille et honorer nos chers disparus. Je songe cependant à ceux qui sont à Aizac et qui ne recevront aucune visite familiale à cette période de l'année. Heureusement que je peux compter sur Jérémie, le voisin qui s'occupe de ma voiture. Sa femme, Elise, prend toujours soin de fleurir de ma part la tombe de mes grands-parents et celle de Tantine.

Le programme de ces cinq jours ressemble à chacun des séjours que je fais ici : retrouvailles en famille, également avec les deux frères de maman, mes tantes et les cousins-cousines. Je vais passer un après-midi avec mes neveux que j'emmènerai au cinéma pour voir un dessin animé et pour manger une pâtisserie délicieuse dans un établissement un peu chic. Ils adorent. Justine leur offre souvent des sorties ; je suis moins présente qu'elle et ils sont toujours ravis que je leur accorde un peu de temps à chacune de mes visites.

Je consacrerai aussi une journée à l'usine et au laboratoire de Libourne. Je ne reprends le travail au siège qu'en milieu de semaine. Avec déjà en tête le déplacement en Ardèche dont la date approche à grands pas.

**

Papa est, comme toujours, curieux de savoir où en est l'entreprise. Comme il va bien, que ses derniers examens sont rassurants, je décide de lui apporter quelques précisions concernant le projet de relocalisation.

Nous nous trouvons tous les trois, maman, papa et moi dans le salon, après le petit déjeuner. Le temps est maussade. Gabin, Margot et les petits viennent déjeuner ce midi et tantôt, j'emmène donc mes neveux au cinéma. Un bon feu brûle dans la cheminée : depuis son AVC, papa est plus frileux qu'avant, sans doute est-ce lié aussi au fait qu'il est moins actif.

Maman commence à s'inquiéter de moi, de mon rythme de vie, à Paris. Je la rassure en lui disant que tout va bien. Pour l'heure, j'ai décidé de ne pas leur parler d'Alexis. J'ai besoin de garder notre relation encore un peu secrète, juste pour moi. Il sait que je suis à Bordeaux pour quelques jours et nous nous contentons de nous envoyer des messages, discrètement. En général, il attend que ce soit moi qui lui écrive pour me répondre. Ce que je fais le plus souvent quand je me retrouve seule dans ma chambre.

- Comment s'annonce la fin d'année, Layla ? me demande papa.

Je lui souris : je sais très bien ce qu'il entend par cette phrase. Dans la bouche de maman, cela aurait signifié quelque chose comme : "Comment penses-tu t'organiser pour les fêtes ? Sais-tu déjà à quelle date tu pourrais arriver ?". Alors que pour papa, il s'agit de nos résultats et de notre bilan annuel.

- Bien, répondis-je. Les perspectives sont bonnes. Nous avons engagé une campagne de promotion en Allemagne et dans les pays voisins, pour relancer nos ventes qui avaient tendance à baisser. A cette occasion, nous avons annoncé la future gamme biologique. On sent un léger frémissement pour les ventes et j'attends des résultats meilleurs pour la fin d'année dans ces pays, avec Noël. On a repensé les coffrets cadeaux, en mettant en avant le côté "nature" de nos produits, la lavande, la rose, bref, plusieurs parfums qui plaisent aux Allemands, et surtout aux Allemandes. Les trois photos choisies pour décorer les coffrets sont vraiment jolies et je pense que cela attirera l'œil.

- C'est toujours Gabriel qui est chargé du département publicité ? me demande papa.

- Oui, bien sûr. Il a le sens de la communication, il sait mettre en avant les produits. Et la photographe qui travaille pour nous depuis deux ans est vraiment douée. Elle fait de très belles photos. Je lui confierai d'ailleurs prochainement une nouvelle série autour de l'usine de Libourne : je voudrais avoir des photos de l'état actuel de nos installations, avant qu'on ne lance les travaux de rénovation. Il y aura peu de changements sur la chaîne de fabrication elle-même, mais les bâtiments seront, pour certains, profondément modifiés. Du moins dans leur aspect extérieur, avec la nouvelle isolation, la réfection des toitures, etc... Nous axerons aussi la communication sur notre prise en compte des économies d'énergie. Gabriel réfléchit déjà à ce projet.

- C'est bien. Il est bien, ce jeune homme.

- Il n'est plus si jeune que cela, papa ! Il a bientôt trente-huit ans, si j'ai bonne mémoire ! ris-je.

Papa sourit.

- Il est marié ? me demande maman.

- Pas encore. Il s'est pacsé avec son compagnon il y a quelques années, je ne sais pas s'ils ont l'intention de se marier ou pas, dis-je en rappelant à ma mère que Gabriel, qu'elle a eu l'occasion de rencontrer quand papa était encore à la tête de l'entreprise, est gay et qu'il ne peut pas du tout prétendre au titre de gendre.

Papa fait un vague geste de la main, lève les yeux au plafond : les considérations de ma mère le dépassent parfois. Quand il rabaisse son regard, c'est pour croiser le mien. Je lui souris, il secoue lentement la tête et me sourit en retour. Nous avons bien compris tous les deux le petit manège de maman.

- Bien, reprend-il. Et ton projet de relocalisation, ça en est où ? L'étude avance ?

- L'étude démarre, et bien. Laurent m'a présenté Maïwenn Le Gall, une jeune chargée d'études qui avait travaillé pour lui durant un an, en alternance, et qu'il a aussitôt fait embaucher, car elle était très prometteuse et compétente. C'est une tête. Vraiment. Elle possède une grande culture générale, s'intéresse à beaucoup de choses. J'ai eu l'occasion de déjeuner un midi avec elle et tu sais bien que dans ces moments-là, j'apprécie de faire plus connaissance avec mes interlocuteurs. Nous ne parlons donc pas de travail. Elle m'a expliqué que son père est musicien, plutôt classique, mais très ouvert à toutes les musiques. Et que sa mère est enseignante en lettres classiques, grec et latin. Ses parents lui ont ouvert le plus possible différents horizons : elle aime autant visiter un musée qu'un joli village, aller au cinéma ou à un concert de rock, comme à l'opéra. Et professionnellement, elle est effectivement très compétente.

Je vois que papa s'apprête à poser une question, je le devance :

- Elle a déjà rassemblé beaucoup de données et commence à les exploiter. Je lui ai précisé mes souhaits, mes attentes. C'est un très gros projet. Elle va mener une étude longue et ayant plusieurs axes, plusieurs développements. Elle doit me présenter plusieurs solutions possibles pour que nous puissions faire notre choix.

- Bien, dit papa. Et quels sont ces axes ?

Je ne peux plus reculer, je n'en avais pas l'intention de toute façon. Notre discussion se déroule dans un bon climat, papa est attentif et curieux. Maman aussi, d'autant que je veille à ne pas entrer dans trop de détails techniques et financiers, qui la font vite décrocher d'une conversation. J'ai une pensée pour Serge qui m'a conseillé d'y aller par étape avec papa, pour lui parler de mon idée. Je ne vais plus rien lui cacher, mais je vais présenter les choses à ma façon.

- Premièrement, elle va envisager la relocation de la production des deux types d'emballages, et deuxièmement uniquement des emballages carton et papier. Je veux en effet pouvoir envisager soit la relocalisation de tous, soit uniquement les derniers.

- Ce qui reviendrait à fermer l'usine en Thaïlande, fait papa.

- Oui, c'est la plus éloignée et cette fermeture ou revente - je pense que ce sera plutôt une revente -, nous permettra aussi de faire des économies substantielles sur le transport.

- C'est juste, dit encore papa.

- Ensuite, il va falloir choisir le lieu d'implantation pour la production de ces emballages. Maïwenn va proposer deux possibilités : une extension de l'usine de Libourne et une rénovation des usines d'Ucel et Labégude.

Ma bombe est lâchée. Ma mère émet un petit hoquet de surprise et, alors qu'elle me regardait et m'écoutait attentivement, elle tourne aussitôt la tête vers mon père. Je vois l'inquiétude s'afficher sur son visage. Papa, lui, reste calme, encaissant la portée de mes paroles. Son visage s'est un peu fermé, mais son regard demeure concentré. Il encaisse, certes, mais il réfléchit déjà.

- Pourquoi cette éventualité, Layla ? finit-il par demander.

- Pour plusieurs raisons. La première est que j'ignore la différence de coût entre la construction d'un nouveau bâtiment et la rénovation d'un ancien. Ensuite, je ne suis pas certaine que le bassin d'emploi de Libourne soit suffisant pour recruter assez d'employés, surtout dans l'hypothèse où nous aurions tous les emballages à fabriquer à nouveau en France. Les usines turque et thaïlandaise emploient beaucoup d'ouvriers et d'ouvrières. Je table sur un recrutement similaire ici, sans oublier les postes administratifs et d'encadrement.

- C'est effectivement un élément qu'il faut avoir à l'esprit. Mais je ne suis pas certain que tu parviendras à recruter autant de personnes en Ardèche également.

- C'est aussi pourquoi l'étude de Maïwenn est intéressante : il se peut que je choisisse un autre site d'implantation, différent de ces deux-là, par rapport à la question du bassin d'emploi. Mais cela induirait des coûts de transports qu'il faudra aussi avoir à l'esprit.

- Si tu relances les usines ardéchoises, tu auras de toute façon des frais de transports entre Labégude et Libourne, pour livrer les emballages. Alors qu'actuellement, ils étaient débarqués au port de Bordeaux. Le transport par camions était réduit.

- Tout à fait. Et c'est un des points névralgiques. Je veux réduire au maximum les frais de transport, car à l'avenir, ils seront de plus en plus coûteux, alors que les coûts salariaux ne suivront pas forcément la même tendance. Voilà donc les grands axes de son travail. Elle va en avoir pour plusieurs mois, peut-être une année pour le mener à bien.

- C'est une décision lourde de conséquences pour notre entreprise, Layla, me dit papa en se penchant un peu vers moi.

- Je le sais. Et c'est pourquoi je veux avoir tous les éléments à ma disposition pour faire le bon choix. Et surtout, pour anticiper. Tu avais su le faire, papa, même si c'était un choix difficile. Pour moi aussi, ce n'est pas facile, mais nous sommes dans une situation favorable : nous avons une bonne capacité d'investissement, les coûts des matières premières, de l'énergie, sont encore bas donc intéressants pour mener de gros travaux, qu'il s'agisse de construction ou de rénovation. Ce n'est pas pour rien que j'ai lancé il y a deux ans l'étude sur la rénovation thermique de l'usine de Libourne et que j'insiste pour que ces questions soient désormais prises en compte pour chaque rénovation de magasins à l'étranger. Il faut en profiter. Ce n'est pas quand les prix vont monter, que la crise sera là qu'il faudra alors se dire : "Comment fait-on ?". Mon but est de continuer à produire et de permettre la distribution de nos produits. Toi et grand-père aviez su faire le gros dos, lors des chocs pétroliers, dans les années 70. Ma responsabilité, aujourd'hui, c'est de préparer l'entreprise à encaisser celui qui va arriver.

Papa ne dit rien, mais hoche la tête : les arguments économiques et financiers sont toujours ceux qu'il comprend le mieux. Et mieux que les arguments humains. C'est ainsi.

- Bien, soupire-t-il. Tu me tiendras au courant, au fil de l'étude ?

- Bien sûr, papa, dis-je en souriant. Et je ne doute pas que tu sauras aussi m'apporter de précieux conseils.

Il fait un vague geste de la main, sourit, mais d'un sourire un peu las.

- Je ne suis pas certain d'avoir toutes les bonnes données à l'esprit, désormais, tu sais. Les choses changent... et sans doute que ta génération y est plus sensible. Ce qui, au final, est une bonne chose.

Maman tend la main vers lui, la pose sur son poignet. Il la regarde un moment, puis lui sourit pour la rassurer.

- Cela va te demander vraiment beaucoup de travail, Layla, dit-elle en se retournant vers moi, après ce petit intermède entre eux.

- Je suis bien secondée, maman. Je te rappelle que ce n'est pas moi qui mène l'étude. Et Laurent saura aussi m'aider à faire des choix, de même que Valérie et quelques autres cadres de la direction qui seront évidemment partie prenante.

- Quand même... J'espère que tu auras du temps pour toi, à travers tout cela.

- J'y veille, maman, lui dis-je d'une voix assurée.

Et dans ma tête se dessine alors le visage d'Alexis. Oui, j'y veille. Et de plus en plus.

**

Le dos tourné à mon bureau, les jambes croisées, je laisse mon regard s'envoler loin. C'est la toute fin de matinée, je sors d'une réunion de direction assez chargée, mais constructive. J'ai mis mon équipe au courant du projet de REA, avec obligation de garder l'information secrète pour l'instant, ce que tout le monde a bien compris : il en est toujours ainsi lorsque nous lançons un nouveau projet. Et ce n'est pas propre à notre entreprise.

Je viens de regagner mon bureau, après un petit aparté avec Laurent et Valérie concernant le financement de l'étude de Maïwenn : pour certains aspects, il va nous falloir recourir aux services de sociétés extérieures, demander des devis tant pour la construction d'un nouveau bâtiment que pour la rénovation des usines existantes, de même pour les équiper en matériel. Sans ces données, il sera difficile de préciser notre choix. Mais cela a un coût et je tenais à avoir leur avis à ce sujet, que Valérie puisse prévoir une ligne de crédit substantielle.

C'est l'heure de ma pause déjeuner et j'en profite pour regarder mes messages personnels. Un petit coucou de ma sœur qui m'a envoyé deux photos prises au cours du week-end passé avec nos neveux. Et un message plus long d'Alexis qui me laisse bien rêveuse.

Bonjour mon amour, je te souhaite bon courage pour ta journée. Peut-être que ce que je vais te raconter t'aidera d'ailleurs. J'ai rêvé de toi, cette nuit. C'était un doux et tendre rêve. Je me perdais dans ton regard et dans ton corps. Quel délicieux voyage ! Je t'embrasse... Alexis

Je soupire : s'il commence à me raconter les rêves coquins qu'il fait, ça va être dur ! Il m'arrive aussi de rêver de lui... et de me sentir bien attristée au réveil en constatant qu'il n'est pas à mes côtés. Enfin, notre séparation ne va pas durer : je pars vendredi pour l'Ardèche. Et là, rêves coquins ou pas, Alexis et moi ne serons plus seuls chacun dans notre lit, mais bel et bien côte à côte.

Un léger toc-toc à ma porte me tire de ma rêverie et me ramène bien vite de ma chambre des Auches à mon bureau de la Défense. Je fais tourner mon fauteuil alors que Lisa entre en portant mon plateau-repas.

- Voilà, Mademoiselle. Avez-vous besoin d'autre chose ?

- Je boirai un thé rooibos tout à l'heure, Lisa, merci. Mais j'irai peut-être marcher un peu dans le quartier avant de reprendre, quand j'aurai terminé mon repas.

Elle me sourit. J'ai encore le téléphone à la main et sans doute le regard lointain. Elle fait glisser le plateau repas sur mon bureau et va pour s'éloigner, avec sa discrétion habituelle.

- Lisa ?

- Oui, Mademoiselle ? fait-elle en se retournant.

- Je suis heureuse de pouvoir retourner en Ardèche la semaine prochaine.

Elle me fixe un instant, puis sourit :

- Je comprends. Cela va vous faire du bien et je suis certaine que vous avancerez bien avec Mademoiselle Maïwenn.

- Ce n'est pas la seule raison, Lisa. Il y en a une autre, plus... personnelle.

Lisa est bien entendu au courant du projet REA, je l'en ai informée très vite, après en avoir parlé avec Laurent : elle va voir passer des courriers, des comptes-rendus. Elle aura à tenir compte dans mon planning de mes réunions avec Maïwenn. Mais après Serge, je me dis qu'elle est aussi ma plus proche collaboratrice à qui je peux annoncer ma relation avec Alexis. Laurent se doute sérieusement de quelque chose, que je n'ai pas nié d'ailleurs. Et Maïwenn verra certainement Alexis la semaine prochaine...

- Lisa, j'ai rencontré quelqu'un à Antraigues. Il n'en est pas originaire, mais va s'y installer. Il s'appelle Alexis et est médecin. Il est déjà venu me voir à Paris et on va essayer de se voir aussi souvent que possible. J'avais en tête le projet REA avant de le rencontrer, mais cela contribue également au fait que je retourne là-bas plus régulièrement qu'auparavant.

- J'en suis heureuse pour vous, Mademoiselle, me dit-elle avec un grand sourire. C'est une belle nouvelle et je vous souhaite de trouver le bon équilibre, même en étant à distance. Que vous soyez très heureuse.

- Merci, Lisa, lui souris-je.

J'aime sa simplicité, qui rejoint celle de Serge. J'ajoute :

- Je préfère que vous soyez au courant, que vous ne vous inquiétez pas si je suis parfois rêveuse ou triste.

- Vous pouvez bien vous offrir quelques moments de détente à penser à lui, me répond-elle en souriant toujours. C'est normal ! Mais je ne pense pas voir la tristesse sur votre visage les prochains jours, puisque vous partez en fin de semaine.

- Vous avez tout compris !

- Bien, fait-elle. Je vous laisse déjeuner, sinon, votre repas sera froid !

- Merci, Lisa.

Et elle sort du bureau. Je commence mon repas tout en écrivant une courte réponse à Alexis :

C'était un très joli rêve. Je pense qu'il est prémonitoire. Je veillerai tout particulièrement à le réaliser dès vendredi prochain. Je t'aime et je t'embrasse. Layla

**

Ce mardi soir-là, je n'ai pas beaucoup le temps de rêvasser. Je passe un long moment au téléphone avec Alexis : ce matin, lui et François, le maire d'Antraigues, avaient rendez-vous à l'ARS. Et l'essentiel de notre conversation tourne autour de ce sujet. De son ressenti et de celui de François, c'est positif. Une étape est franchie, reste à ce que cet organisme travaille maintenant de son côté. J'espère que ça ne prendra pas trop de temps, qu'ils donneront leur accord et apporteront une petite subvention à la mairie. Même si Alexis m'a confirmé qu'il n'attendait pas après ça, cela me semble normal que l'Etat soutienne financièrement les jeunes médecins qui choisissent de s'installer en milieu rural. Après n'avoir rien fait pour enrayer la désertification des campagnes, voire l'avoir encouragée à certaines périodes, c'est la moindre des choses d'apporter de l'argent là où il y en a cruellement besoin. Facile d'accorder des ponts d'or aux grandes agglomérations, sous prétexte que la population est plus nombreuse. Mais les petites communes ont aussi besoin de soutien.

Le lendemain, cependant, je prends le temps entre l'étude de deux dossiers pour appeler la mairie d'Antraigues. François est présent et peut me parler, ça me simplifie directement les choses.

- Bonjour, Layla, commence-t-il. Tu vas bien ?

- Oui, François, bonjour. Je ne vais pas prendre trop de ton temps, le mien est précieux aussi, mais je voulais te parler de quelque chose.

- Je t'écoute.

- Tu sais que je suis au courant du projet d'installation d'Alexis comme médecin sur Antraigues.

- Oui, répond-il et je l'entends sourire. Je ne suis pas surpris que tu sois au courant.

- Il m'a fait part de votre rendez-vous hier à l'ARS, mais que rien n'était gagné pour la subvention.

- En effet. Tu te doutes de comment cela va se passer...

- Un peu oui. Ils vont vous faire mariner, il va manquer des pièces au dossier, puis quand tout sera complet, il faudra encore attendre...

- Exactement. Mais cette subvention, nous y avons droit et j'entends bien l'obtenir, ajoute-t-il.

- Oui, bien sûr. Je te fais confiance pour défendre les intérêts de la commune. Cependant, je voulais que tu saches que si c'est nécessaire, je peux faire en sorte que mon entreprise y participe, sous forme d'opération de mécénat.

- C'est gentil d'y penser, Layla. Tu n'es pas obligée.

- Sache que je l'aurais fait, même si cela avait été un autre médecin et que tu avais eu du mal à obtenir les financements ou que ce médecin ne se trouvait pas dans une situation financière aussi favorable qu'Alexis.

- Hum, hum, oui, bien sûr. Layla, je sais que tu es toujours prête à nous aider. Toutes les communes n'ont pas cette chance. Jean avait fait beaucoup pour Antraigues. Maintenant, c'est toi. Promis, je garde ta proposition en tête et je t'en parlerai si besoin. Même si je pense que tu seras informée des suites de nos démarches bien avant que je ne t'appelle.

- Il y a des chances, oui, souris-je.

- Très bien. Je te remercie encore une fois. Dis-moi, tu reviens nous voir bientôt ou seulement au printemps ?

- Je viens quelques jours la semaine prochaine.

- D'accord ! On se croisera peut-être alors. D'ici là, je te souhaite bon courage !

- Merci, François. Bonne journée pour toi aussi.

- Merci, Layla. A bientôt.

Et nous raccrochons.

Oui, je viens bientôt. Très bientôt même, pour être plus précise. Nous sommes mercredi matin. Vendredi soir, je dors à Antraigues. Vendredi soir, je serai dans les bras d'Alexis. Il me reste deux soirs pour préparer mes affaires.

C'est une perspective des plus réjouissantes.