Chapitre 54

9 minutes de lecture

Layla

Les yeux fermés, je savoure. C'est la pleine nuit et Alexis est arrivé il y a quelques heures. J'étais déjà chez moi quand il a débarqué du métro et nous nous sommes aussitôt retrouvés dans ma chambre, dans mon lit. Même si notre séparation a été de courte durée et en tout cas, de durée plus courte que nous ne l'avions imaginée mi-janvier, nos retrouvailles sont intenses.

Nous faisons l'amour, beaucoup. Incapables de nous éloigner l'un de l'autre, de quitter le lit. Fort heureusement, c'est le week-end et nous pourrons en profiter pleinement. J'ai dans l'idée que nous le passerons dans notre cocon.

Et cela fait du bien. Même si je l'ai caché le mieux possible à Alexis, j'avais du mal à retrouver le moral après son départ. Plus les mois passent et plus cela me semble difficile. Pourtant, je me raisonne. Je n'ai aucun doute concernant ses sentiments, même à distance, il me les prouve chaque jour, par ses appels, ses messages, les photos qu'il m'envoie à l'occasion. Je me raisonne aussi en mesurant tout le positif de son projet d'installation. L'Alexis perdu est loin désormais. Il est motivé, presque impatient aussi de pouvoir commencer. Certes, le rendez-vous à l'ARS cette semaine s'est soldé par un résultat mi-figue, mi-raisin, mais au moins, il a leur aval pour s'installer. Une nouvelle étape est franchie. Le projet devient de plus en plus concret.

Le mien est encore loin de l'être autant, même si Maïwenn avance. La prochaine étape va être de dessiner une estimation du coût de la relance des usines : rénovation des lieux, achat de matériel, recrutement, formation du personnel. Elle a pris contact avec deux cabinets parisiens spécialisés en réaménagement et travaux de grande ampleur pour des entreprises, des usines. Notre cas entre exactement dans leurs compétences. Elle leur a déjà transmis des plans et un certain nombre d'indications pour qu'ils nous retournent une première ébauche. Une visite sur site s'impose cependant, mais j'ignore encore quand elle aura lieu.

De mon côté, je dois aussi me préparer pour un déplacement à Berlin avant la fin du mois de février, pour rencontrer notre équipe de commerciaux sur place et faire le point avec eux. J'espère ensuite avoir toute liberté pour accompagner Maïwenn pour un nouveau déplacement en Ardèche.

Mais pour l'heure, tout ce qui compte, c'est Alexis. Alexis qui a décidé en pleine semaine de venir. Pour profiter tant que c'est possible et tant qu'il peut encore faire des déplacements avec souplesse. Dès son retour à Antraigues, ce sera moins facile : il lui faudra veiller à la livraison du matériel, à l'aménagement du cabinet médical, aux raccordements divers et variés. Pour être fin prêt le plus tôt possible et dans les meilleures conditions possibles.

La moindre de ses caresses me rend folle, le moindre de ses baisers m'entraîne dans un autre monde. Il n'y a plus que nous deux. Le plaisir et l'amour. Ses regards me brûlent, ses mots me font chavirer et je suis incapable de dire si c'est lui qui m'emporte ou moi qui nous fais succomber.

Il est bien tard quand nous sombrons enfin dans le sommeil, ivres de plaisirs, le corps comblé et le cœur serein.

Alexis

Ma semaine parisienne est bien remplie. Je parviens à mener plusieurs choses de front, avec une efficacité dont je n'aurais pas été capable il y a encore quelques mois. Dès le mardi matin peut se dérouler un rendez-vous avec un agent immobilier pour une première estimation de l'appartement. Dans la foulée, l'après-midi, je vois un déménageur spécialisé dans les déménagements inter-régionaux. Il me promet un devis pour la semaine suivante. Le notaire pouvait difficilement me voir ces jours-ci, mais nous convenons d'un premier contact plus long par téléphone dans dix jours. Nous pourrons nous rencontrer plus tard et convenir d'un rendez-vous pour le début du mois de mars. J'ai déjà en tête de me donner un peu de marge pour l'ouverture du cabinet, car je ne pourrai sans doute pas m'occuper aussi facilement des démarches pour l'appartement après.

Ces rendez-vous remplissent donc une partie de mes journées. Le mercredi après-midi, je passe voir Pauline et Aglaé. Le samedi après-midi, nous verrons Bruno et Adèle. Ils sont très curieux d'en savoir plus sur mon projet, même si je les ai tenus régulièrement au courant.

Le jeudi en fin de matinée, Serge passe me récupérer à l'appartement pour me conduire à la Défense. Layla m'a parlé d'une de ses rares amies sur Paris, Aurélie, qui a très envie de faire ma connaissance. Nous devons déjeuner avec elle. Ce sera rapide, car Layla n'a que très peu de disponibilités. Quand j'ai suggéré une sortie le soir pour voir Aurélie, elle a décliné. Elle préfère que nous gardions nos soirées pour nous. Egoïstement, a-t-elle ajouté avec un petit sourire qui en disait bien long.

C'est ainsi que je me retrouve, pour la première fois, à me rendre au siège de l'entreprise Noury. Lors de mes précédents séjours, je n'avais pas eu l'occasion d'y passer. Serge a garé la voiture au sous-sol et m'accompagne jusqu'à l'étage de la direction. Le groupe occupe en tout quatre niveaux de ce grand immeuble. Toute la direction, le service des ressources humaines, le service financier, les responsables des implantations à l'étranger, se trouvent regroupés ici. A Libourne, les agents administratifs qui y travaillent ne gèrent que les questions locales.

C'est Lisa qui nous accueille. Layla m'a souvent parlé d'elle, mais c'est la première fois que je la vois. Je lui donne autour de trente-cinq ans. Elle me fait d'emblée bonne impression : très professionnelle, souriante. Je la sais aussi très efficace et d'une aide précieuse pour Layla. Nous la saluons avec plaisir et elle me fait aussitôt entrer dans le bureau de Mademoiselle la PDG.

Assise derrière la grande table, son ordinateur ouvert devant elle, elle lève aussitôt les yeux et me sourit. Quand je la vois ainsi, je sais que durant quelques secondes, elle oublie le travail. Que c'est une respiration dont elle a besoin, aussi. Elle se lève, fait le tour de son bureau et s'approche de moi. Je l'attrape aussitôt, l'enlace. Un instant, je plonge dans son cou, laisse ses cheveux caresser mon visage, puis je l'embrasse. Elle n'a pas eu le temps de dire un mot et moi non plus.

- Ca va ?

- Oui, me répond-elle. Et toi ?

- Bien. Content de te voir ce midi. Tu as des choses à finir ?

- Très peu. J'en ai pour quelques minutes à peine.

Je la lâche et alors qu'elle reprend place, j'observe les lieux. C'est un bureau sobre, mais chaleureux. La pièce est de belle taille sans être immense. Un bureau, deux fauteuils face à celui de Layla. Un meuble bas très simple. Et dans un coin deux belles plantes. Les murs sont de couleur claire, un blanc cassé légèrement rosé. Y sont accrochés une grande carte mondiale avec les implantations de l'entreprise. En la regardant, je me dis qu'Antraigues, Ucel, Labégude, à côté, c'est minuscule. Et pourtant, c'est de là que tout est parti. Et qu'une part de la fabrication pourrait revenir, d'ici quelques années.

Sur le mur, face à Layla, on peut voir une grande photo d'Antraigues, que j'estime avoir été prise depuis le chemin qui longe le ruisseau des Fuels et permet d'aller d'Aizac au pont de l'huile. La photo a été prise au printemps.

- Prise un peu au-dessus de chez toi, me précise Layla alors que mon regard se perdait dans la photo.

- C'est ce que j'étais en train de me dire.

- A hauteur des Blanchons. Je l'ai prise lors de la dernière promenade que j'ai faite avec Tantine. Du moins, la dernière fois que nous sommes descendues, elle et moi, depuis le col jusqu'à Antraigues, à pied, en passant à travers les châtaigneraies et les petits champs.

- C'est une belle photo. Je ne suis pas surpris de la trouver dans ton bureau.

- Le premier jour où j'ai me suis assise derrière ce bureau, dans le fauteuil en cuir noir de mon père, j'ai vite pris une décision : les murs étaient très dépouillés, de couleur gris clair. Avec les immeubles gris au-dehors, j'avais l'impression d'être dans un film en noir et blanc. J'ai changé le bureau, le fauteuil, fait repeindre les murs en ce blanc rosé. J'ai installé des plantes vertes, une photo d'Antraigues. J'ai juste gardé la carte avec les implantations, parce que ça parle plus à la majorité des gens qui entrent dans cette pièce que la photo.

- Cela humanise ton bureau. Il demeure sobre comme on s'y attend de la part d'un bureau de chef d'entreprise, mais il est accueillant quand même.

- Si je parviens à faire redémarrer l'activité à Ucel et Labégude, je ferai aussi retirer les photos anciennes des usines.

- Celles qui sont au mur du salon, aux Auches ?

- Oui et quelques autres. Une vue d'ensemble de l'usine de Labégude notamment. Et une d'Ucel avec les citernes d'eau dans la cour, du temps où elles étaient amenées sur des petites remorques.

- Tu me les montreras à l'occasion ?

- Bien sûr, me sourit-elle. Mais allons, nous sommes attendus.

**

Nous quittons rapidement l'immeuble, traversons l'une des grandes places grises et sans âme de la Défense pour rejoindre un restaurant situé à quelques pas. Layla a fait réserver une table. Aurélie se trouve déjà là quand nous en franchissons le seuil. Un serveur nous guide jusqu'à l'étage, plus tranquille que la grande salle du rez-de-chaussée. Je comprends vite qu'ici, les services s'enchaînent. On est loin de "La Montagne" ou de "La Béalière", le petit restaurant situé au pont de l'Huile où il m'est arrivé de déjeuner à l'occasion.

Aurélie se lève en nous voyant arriver, la bise à Layla, une pour moi aussi. Hum, une bise qui me semble plus appuyée que pour Layla alors que nous venons à peine de nous saluer. C'est une belle jeune femme, je lui donne autour de trente-cinq ans, souriante et dynamique.

- Ravie de faire ta connaissance, Alexis, me dit-elle après que nous avons pris place autour de la table. Et de te revoir, Layla. Ca fait une éternité !

- Tu as été bien occupée avec tes formations au dernier trimestre, fait Layla.

- Oui, c'est vrai. J'ai passé mon temps à l'hôtel et dans le train ! Mais j'ai fait de sympathiques rencontres et c'était très intéressant.

- Tu te formais ou tu étais formatrice ? lui demandé-je.

Layla m'a expliqué qu'Aurélie était ergothérapeute. Par certains côtés, son métier rejoint la médecine.

- Formatrice, fait-elle avec un soupçon de fierté dans la voix.

Elle enchaîne en nous racontant ses déplacements, les différentes villes dans lesquelles elle s'est rendue. Je comprends vite que si son métier la passionne, elle a aussi profité de ces voyages pour avoir des aventures sans lendemain. Sur ce point, elle m'apparaît à des lieues de Layla. Pourtant, son dynamisme, son enthousiasme la rendent sympathique et je peux comprendre que Layla se soit liée d'amitié avec elle. Elle me donne cependant l'impression d'être bien différente d'Emilie ou des quelques autres personnes que j'ai pu rencontrer à Antraigues et dont Layla est proche.

Alors que nous entamons le repas, elle me demande :

- Et toi, Alexis, alors comme cela, tu es médecin !

- Oui, en effet. J'ai commencé par les urgences et maintenant, je vais exercer comme généraliste.

- En région parisienne ?

- Non, à Antraigues.

- Ah... fait-elle d'un air étonné avant de jeter un regard à Layla.

Elle n'ajoute rien et Layla enchaîne sur un autre sujet de conversation. Je reste à les écouter, souriant de temps à autre, intervenant peu. Alors que le serveur vient nous proposer un café, Aurélie regarde sa montre, déclare qu'elle n'a pas le temps, qu'elle doit filer, mais qu'elle était très contente de faire ma connaissance. Et elle nous quitte aussitôt.

- Une pile électrique, ta copine, dis-je à Layla alors que nous nous retrouvons tous les deux, avec le serveur qui attend de savoir si nous voulons un café ou pas.

J'ajoute en direction de ce dernier :

- Je veux bien un expresso, s'il vous plaît.

- Un thé rooïbos pour moi, s'il vous plaît, complète Layla.

Elle me répond une fois qu'il est parti :

- Oui. Aurélie vit à cent à l'heure. D'une certaine façon, nous nous ressemblons. Elle a moins de choses en tête que moi, mais elle est toujours occupée. Je crois qu'elle est hyperactive, en fait.

- C'est l'impression qu'elle me donne. Et de croquer la vie à pleines dents... Et les hommes aussi.

- Ca...

Je passe mon bras par-dessus l'épaule de Layla, la rapproche de moi pour déposer un baiser dans ses cheveux.

- Ne t'inquiète pas. Moi, elle ne me croquera pas. Il n'y a que toi.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Pom&pomme ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0