Chapitre 64

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Alexis

- A très vite, mon amour.

J'ai juste le temps de glisser ces petits mots à l'oreille de Layla, après l'avoir embrassée. Nous venons d'arriver à Vals, Maïwenn l'attend en bas des marches de l'hôtel et nous lui faisons signe. Après avoir salué la jeune femme, je les accompagne jusqu'à leur voiture de location qui les attend sur le petit parking et les aide à placer leurs bagages dans le coffre.

Un dernier baiser, un dernier sourire encourageant et Layla s'installe au volant. Je n'en suis pas étonné : d'une part, elle connaît mieux la route que Maïwenn et en plus, je pense que de conduire va l'empêcher de trop penser à notre séparation et à ce nouvel éloignement, même s'il ne sera pas trop long, encore une fois. Car contrairement à ce que j'avais pu faire depuis l'été dernier, je ne pourrai pas remonter prochainement à Paris.

Un dernier signe de la main, je suis la voiture du regard alors qu'elle traverse le pont au-dessus de la Volane, avant de tourner vers la droite. Une fois disparue à mes yeux, je rejoins mon propre véhicule. Je n'ai pas l'intention de m'attarder à Vals : le dimanche après-midi, c'est mortel.

Il est encore tôt en ce début d'après-midi. Layla et Maïwenn prennent le train un peu après 16h à Montélimar. Le temps de déposer la voiture à l'agence de location, elles ont pris un peu de marge pour faire le trajet et s'étaient donné rendez-vous pour 14h15. Elles vont certainement parler de leur visite ici et des rencontres avec les chargés d'études.

De mon côté, je rentre tranquillement sur Antraigues, appréciant la vue sur la vallée de la Volane sans jamais m'en lasser, découvrant toujours un nouveau détail, tant parmi les maisons qui bordent la route que dans le paysage. A quelques jours près, cela va faire un an que je suis ici et je retrouve les lumières, les impressions que j'avais connues au printemps précédent. Cela me semble encore plus beau, car embelli par la présence de Layla, par les sentiments que j'éprouve pour elle, par ce lien indéfectible entre elle et ce pays.

J'ai confiance. Je suis certain que les chargés d'études vont lui communiquer de bonnes nouvelles, que le coût de la restauration des usines ne sera pas plus important que la construction d'un bâtiment neuf à Libourne. Il restera à Maïwenn à évaluer le bassin d'emploi, s'il sera suffisant sur la région. Et là, Layla le reconnaît elle-même, c'est un peu l'inconnu. Tant de gens ont dû quitter le pays au cours des années passées ! Il reste, bien sûr, des fonctionnaires, de petits artisans, des commerçants, et même quelques entreprises de taille moyenne. Mais toute l'industrie a été laminée. Alors relancer une activité de cette ampleur, ce n'est pas rien.

Comme il est encore tôt, je m'arrête chez moi pour me poser un peu. J'irai rejoindre les champions tout à l'heure. J'ai prévu de dormir aux Auches ce soir, car nous n'y avons rien rangé. J'ai dit à Layla que je m'occuperai du ménage et des lessives. J'aurai bien le temps, après la partie de pétanque, de m'y mettre.

**

- Ah, Docteur ! On se demandait si on allait te voir aujourd'hui ! me lance Vincent avec un grand sourire.

- Bonjour à tous, dis-je en serrant les mains tendues. Vous allez bien ?

- En pleine forme, répond Marcel. On n'ira pas t'embêter cette semaine, va... Et toi ?

- Bien. Vous avez commencé ?

- On allait.

On organise les équipes. Samuel n'est pas là pour cause de repas de famille, nous sommes donc six. Depuis cet hiver, je me suis équipé et j'ai désormais mes propres boules. Je ne suis pas mécontent de les retrouver, nos "champions", cela me change les idées après le départ de Layla. Et puis, tout simplement, j'aime passer quelques moments avec eux. Maintenant que j'ai commencé mon activité, c'est plus difficile. Il n'y a plus guère que le week-end que je peux les voir et comme Layla était là la semaine dernière...

Les discussions vont bon train, comme toujours. On échange au sujet des uns et des autres, et je n'échappe pas à la règle. Ils sont surtout curieux de savoir si mes premières journées de travail se sont bien passées et je sens bien, à travers leurs mots, que c'est un poids en moins pour eux. Une inquiétude sourde qui pesait depuis des mois. Je ne les ai pas tous vus défiler dans le cabinet, pas encore. Mais cela ne saurait tarder. Vincent et sa femme doivent venir la semaine prochaine, Maurice et la sienne ont été mes tout premiers patients et je ne devrais pas tarder à la revoir, puisqu'elle a fait sa prise de sang. Maurice me glisse d'ailleurs que, pour lui, les résultats sont bons et qu'il n'ira pas m'embêter tout de suite. Ce à quoi je réponds qu'il ne m'embête pas et qu'il peut quand même passer avec sa femme, je jetterai un coup d'œil à son analyse. Cela ne prendra que quelques minutes.

Ils me disent aussi que je vais découvrir d'autres endroits, que je vais encore mieux connaître le coin, à aller en visite chez les uns et les autres.

Puis ils s'étonnent de ne presque pas avoir vu Layla et ne sont pas surpris quand je leur dis qu'elle est repartie en début d'après-midi. Je n'ajoute rien, même si je devine leur curiosité : si elle était venue pour une semaine de vacances, ils l'auraient vue. Or, cela n'a pas été le cas. Mais comme aucun ne s'engage dans des questions plus précises, je n'ajoute rien et change de sujet. Histoire aussi de faire comprendre que je préfère ne pas trop parler d'elle, alors que nous venons de nous quitter.

Layla

Durant tout notre trajet en voiture, je parviens à mener une conversation normale avec Maïwenn, notamment autour de la promenade qu'elle a faite la veille, mais aussi des différents lieux que nous traversons. Parler de mon pays est un moindre mal alors que je ne pense qu'à Alexis. Nous arrivons avec une bonne demi-heure d'avance à Montélimar, ce qui nous permet de laisser la voiture sur le parking de l'agence de location et de déposer les papiers dans la boîte à lettres, puisqu'elle n'est pas ouverte le dimanche.

Une fois dans le train, nous consacrons une petite heure à travailler. Monsieur Legris lui a déjà fait parvenir une liste de documents ou d'éléments complémentaires dont il va avoir besoin. Ce monsieur me paraît aussi efficace que Maïwenn. Elle a également reçu un message de Monsieur Charny, lui disant que la visite avait été très complète pour lui et qu'il lui ferait parvenir les premiers éléments de son étude prochainement. Je ne doute pas que nous allons vite avoir de quoi mener notre réflexion et avancer. Je sens Maïwenn très enthousiaste et je la comprends. Cela me fait du bien et me permet aussi de relativiser : oui, les choses avancent. Et même plus vite que je ne le pensais. D'autant que dans le courant du mois d'avril, elle va se rendre en Thaïlande et en Turquie. Elle sera accompagnée par l'adjoint de Laurent, Jean-Michel. Dans ces pays où la place de la femme est parfois reléguée au-delà du second rang, un interlocuteur masculin passera mieux. N'en déplaise à mes idées féministes. Il faut être réaliste, aussi. Et Jean-Michel connaît bien le terrain pour se rendre dans ces deux usines au moins une fois par an et pour être l'interlocuteur privilégié des deux directions sur place.

Ainsi Maïwenn aura-t-elle, à son retour, tous les éléments pour terminer son étude, car je suis quasi-certaine que les chargés d'études auront rendu leurs conclusions pour la fin avril. Avec un peu de chance, nous pourrions présenter de solides arguments lors d'une réunion de direction en juin. Avant l'été. Et peut-être engager des travaux avant la fin de l'année, que ce soit à Libourne ou en Ardèche. Ce qui me fait penser qu'il va falloir que je descende à Libourne prochainement, pour voir où en sont les travaux de rénovation de l'usine. D'après les comptes-rendus que je reçois chaque semaine, le chantier se déroule bien. Les syndicats n'ont pas lancé d'alerte particulière quant aux changements pour certains postes ; la plupart du temps, il s'agit de changements ponctuels : des bureaux déplacés dans des algécos pour le personnel administratif, le temps que les travaux soient réalisés dans le bâtiment de la direction. Des arrêts ponctuels de la chaîne de fabrication, même si nous avions convenu avec le maître d'œuvre que cela se fasse le plus possible la nuit ou le week-end, pour interrompre au minimum la fabrication des produits.

En quelques mots, les choses roulent et ça me va.

Nous nous plongeons ensuite chacune dans d'autres occupations : après tout, nous sommes le lundi de Pâques, c'est férié et Maïwenn a droit à son repos. Elle poursuit la lecture d'un "pavé" entamé lors du trajet aller. Quant à moi, je laisse mes pensées vagabonder tout en regardant le paysage. Je lis peu : j'ai peu de temps à consacrer à la lecture, même si je m'efforce de lire quelques pages chaque semaine et notamment le week-end.

Mes pensées repartent vers Antraigues et Alexis. A cette heure, il a dû rejoindre les champions pour une partie de pétanque. Du fait de ma visite, il n'avait pas partagé ce moment avec eux depuis deux semaines, juste avant l'ouverture du cabinet. Je les imagine bien, tous, sur la place, profitant aussi de ce doux soleil printanier.

Et cette pensée apaise un peu ma tristesse de m'éloigner de lui.

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