Chapitre 66
Alexis
Les semaines s'enchaînent et se ressemblent toutes un peu. Mes journées sont bien remplies, les rendez-vous quasiment complets. Je commence à revoir mes premiers patients, ceux auxquels j'avais prescrit des analyses ou examens divers. J'adapte certains traitements, pour d'autres, je renouvelle simplement les prescriptions du Docteur Lambert.
Tous les lundis après-midis, je passe à la maison de retraite. La plupart des résidents sont encore assez autonomes et leurs pathologies sont sensiblement les mêmes que celles de mes patients âgés. En effet, la maison de retraite ne possède pas d'unité Alzheimer et les personnes atteintes de cette maladie sont accueillies dans les structures spécialisées d'Aubenas ou de Privas. Pour les résidents d'Antraigues, j'ai peu de modifications à apporter dans les traitements, puisque contrairement aux habitants, ils ont bénéficié d'un suivi régulier grâce aux visites du gérontologue. Néanmoins, la santé de certains est fragile et ils doivent être bien pris en charge.
Je vais déplorer mon premier décès dans le courant du mois d'avril. Une résidente de la maison de retraite, âgée de quatre-vingt-neuf ans. Asthmatique et atteinte d'une insuffisance cardiaque. Son enterrement se déroulant en début d'après-midi un jeudi, je ne prévois aucune visite à domicile ce jour-là pour y assister. Sans surprise, je croise une bonne partie des habitants d'Antraigues et des alentours. Ses enfants, un fils et une fille, me remercient de m'être occupé de leur maman, alors que je viens leur présenter mes condoléances. Même si je n'avais vu cette dame que durant quelques semaines, je suis touché par leurs propos. C'est aussi ce jour-là que je prends pleinement conscience que je fais désormais partie de la vie du village.
Que je suis devenu un des leurs.
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Le week-end, je repars sur les chemins de randonnée. Cela me fait du bien et m'aide à garder une bonne forme physique, car en semaine, je bouge finalement peu. Je m'organise pour trouver des randonnées pas trop longues, en partant le matin, me permettant d'être de retour à la maison en milieu d'après-midi afin de participer à la partie de pétanque. J'ai toujours plaisir à retrouver les "champions" et je crois qu'ils sont bien contents de me voir ces jours-là.
J'essaye cependant de profiter de températures encore clémentes pour randonner dans la vallée ou sur le causse. J'arpente ainsi plusieurs chemins autour de la vallée de l'Ibie, du plateau autour de Saint-Remèze ou de Balazuc.
Je m'attarde moins souvent chez Mariette et pour cause, mais je prends toujours plaisir à les saluer, elle et son mari, quand il m'arrive de traverser la place, en-dehors bien sûr du week-end. Parfois aussi, je déjeune chez eux, pour me simplifier les choses et pour profiter de leur terrasse.
Le 20 avril, j'ai gardé mes heures de début d'après-midi pour être présent à l'arrivée des déménageurs, et superviser avec eux ce qui est à déposer au gîte et ce qui est à amener aux Auches. Ils sont rapides et efficaces et n'ayant finalement pas tant d'affaires que cela, ça va vite. Je les laisse cependant au gîte pour me rendre au cabinet. En partant, ils y font un saut pour me laisser les clés, m'indiquant que j'ai tout le week-end pour signaler d'éventuels problèmes. Mais tout s'est bien passé et je suis bien content que cette nouvelle étape soit effectuée. Maintenant reste la vente de l'appartement : l'agent immobilier m'a fait savoir qu'il fait des visites régulièrement, mais qu'il n'a reçu aucune offre pour l'instant. Il n'est pas inquiet cependant : avec les mutations et l'été qui approche, il est quasiment certain de réaliser la vente dans les deux mois qui viennent.
A côté de mes appels quotidiens à Layla, je prends aussi régulièrement des nouvelles de mes proches et déjà se dessinent des projets pour les vacances d'été : ma tante, mon oncle et un de mes cousins aimeraient venir, Bruno et Adèle ont aussi fermement l'intention de séjourner à Antraigues. Quant à Pauline, elle me fait savoir qu'Aglaé veut absolument retourner en Ardèche. Durant quelques jours, j'ai l'impression d'être devenu agent touristique pour réussir à caser tout ce monde.
Au final, mon oncle, ma tante, mon cousin et sa petite famille viendront passer deux semaines en juillet. Je leur trouve facilement un gîte à Genestelle, car chez moi, c'est trop petit pour les héberger tous. Pauline et Aglaé enchaîneront sur une dizaine de jours, à cheval sur juillet et août, et devraient pouvoir croiser Layla. Bruno et Adèle, quant à eux, séjourneront fin août et pourront également voir Layla quelques jours.
J'ai prévu de prendre deux semaines de vacances, dès l'arrivée de Layla. Comme elle repartira sans doute un jour ou deux avant la fin de ses congés, pour passer à Bordeaux, autant être avec elle dès le début.
Ils pourront tous visiter les alentours sans avoir besoin que je les accompagne, mais je pourrai profiter de leur présence le soir et le week-end. Je suis heureux de revoir ma famille, puisque je n'ai pu me rendre en Normandie depuis mon arrivée à Antraigues. Je sais que ma tante s'est fait du souci pour moi, mais elle est rassurée désormais de me savoir reparti sur de bons rails. Je lui ai également parlé de Layla et elle regrette de ne pas la voir cet été. Je promets d'essayer d'organiser un déplacement avant la fin de l'année pour la leur présenter.
Layla
Au cours de ce mois d'avril, je reçois deux appels très différents, mais qui, chacun, m'engagent aussi un peu plus. Le premier est de Pauline et d'Aglaé, qui viennent prendre de mes nouvelles, ce qui me touche beaucoup. Avec l'arrivée du printemps, les sorties dans les parcs peuvent à nouveau être très agréables et nous convenons de nous retrouver un dimanche après-midi. Je leur propose de venir arpenter le bois de Boulogne, ce qu'elles acceptent. Nous passons alors un bon moment ensemble, Aglaé toujours curieuse de faire de nouvelles découvertes. Nous parlons d'Alexis aussi, forcément.
Je les invite ensuite à venir prendre le goûter chez moi. J'ai prévu de bonnes pâtisseries, des jus de fruits ou du chocolat chaud, selon les goûts. Aglaé est ravie et emporte aisément l'adhésion de sa mère. J'espère que Pauline ne se sentira pas mal à l'aise à découvrir mon appartement, mais ça me fait aussi plaisir de les recevoir.
- Wahou ! s'exclame Aglaé en entrant dans le salon. Tu as une belle vue !
- Oui, je le reconnais, dis-je. Et j'apprécie beaucoup. J'ai toujours eu besoin de voir la nature et en arrivant à Paris, je n'ai pas du tout hésité à occuper l'appartement de mes parents. Pour des tas de raisons, car ça me simplifiait grandement les choses alors que j'avais déjà beaucoup à faire pour prendre le relais de papa, mais je t'avoue que le fait qu'il donne directement sur le bois de Boulogne n'était pas pour me déplaire. A Montussan, quand nous avons quitté l'Ardèche, j'avais aussi choisi la chambre qui donnait sur l'arrière de la maison et offrait la vue la plus dégagée sur le jardin. J'avais besoin de cet espace.
- C'est un bel appartement, souligne Pauline. Et proche de ton travail.
- Tout à fait. Je n'ai pas à traverser Paris, ni à prendre le périphérique pour m'y rendre ou en revenir, c'est un avantage. Mais installez-vous, dis-je. Je prépare le goûter.
- Je peux t'aider ? demande Aglaé.
- Volontiers !
Elle me suit alors dans la cuisine, je lui donne les petites assiettes à dessert et les cuillères à emmener dans la salle. Pauline a pris place à table. Puis Aglaé apporte les verres, pendant que je dispose les pâtisseries et viennoiseries sur un grand plat. Je leur propose différents jus de fruits que j'avais ramenés d'Ardèche l'été dernier et sans surprise, Aglaé choisit pomme-myrtilles.
La petite me raconte ce qu'elle fait à l'école, parle de ses copines. Pauline l'écoute avec attendrissement et un doux sourire sur ses lèvres. Sa fille est vraiment tout pour elle et je suis heureuse de les connaître. Pauline me semble aller un peu mieux aussi que cet hiver, lorsque nous nous étions vus pour marquer Noël ensemble, début janvier.
Puis Aglaé me fait remarquer :
- Tu as mis des photos des volcans, toi aussi ?
- Pas uniquement des volcans, mais d'Ardèche, oui. J'ai du mal à m'en passer... J'ai besoin d'avoir mon pays sous les yeux, près de moi, et parfois, de manger de ses produits, pour garder mes forces, lui expliqué-je en souriant.
- C'est un beau pays, dit Pauline. Je suis contente d'avoir accepté l'invitation d'Alexis, l'été dernier, et de l'avoir découvert.
- On y retourne cet été, maman ! s'exclame Aglaé avec enthousiasme. On te verra aussi, Layla !
Je lui souris en retour. Alexis m'a raconté avoir eu tous ses proches au téléphone avec un vrai "Tétris" à réaliser pour les recevoir cet été. Il a trouvé sans difficulté un gîte pour sa famille, puis pour Bruno et Adèle, et hébergera comme l'an passé Pauline et Aglaé chez lui. Je suis très heureuse de cet arrangement et qu'il puisse toujours les voir.
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L'autre appel que je reçois, dans la semaine qui suit la visite de Pauline et Aglaé, est purement professionnel. Il s'agit d'une équipe de journalistes voulant réaliser une longue enquête sur l'entreprenariat au féminin. Ils ont déjà rencontré des auto-entrepreneuses ou des femmes s'étant reconverties en cours de carrière, mais mon parcours les intéresse vivement. J'accepte de les recevoir, en présence de Laurent.
L'entretien est très cordial, je sens des gens intéressés, sans parti pris. A l'issue de cette première rencontre, Laurent me pousse à accepter leur proposition : il a pris quelques renseignements sur cette équipe et ce sont des gens sérieux. Lisa se charge alors de leur envoyer une réponse positive et je les revois fin avril, quelques jours avant de partir à Bordeaux.
Cette fois, l'entretien est beaucoup plus conséquent, les questions précises. J'évoque tour à tour mon parcours professionnel, mais aussi l'histoire de l'entreprise. Nous y passons pratiquement tout un après-midi. Ils me demandent la possibilité de me suivre, au moins durant une journée, lors d'un prochain déplacement à Libourne, mais aussi de pouvoir passer une journée ou deux demi-journées ici, avec moi, pour me voir travailler, sans forcément m'interviewer ou très peu. Le but n'est pas d'entraver le déroulement de ma journée de travail, mais de me filmer dans mon quotidien professionnel.
Je leur apprends donc que je me rendrai à Bordeaux début mai et nous convenons d'une journée de tournage là-bas, à cette occasion.
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