Chapitre 70

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Alexis

Ce mardi étant férié, nous avons décidé de partir à la journée pour faire les gorges de l'Ardèche. Nous arrivons tôt à Vallon-Pont-d'Arc. Nous commençons notre programme par la visite de la grotte Chauvet : nous avions réservé pour un des premiers créneaux. J'avais été émerveillé l'an passé, je le suis à nouveau. Enfant, j'avais eu l'occasion avec mon père de visiter la réplique de la grotte de Lascaux, mais Chauvet, c'est Lascaux puissance mille. Des peintures sur toutes les parois et une variété d'animaux impressionnante, unique au monde. Notre groupe n'est pas au complet, ce qui permet de faire la visite dans de très bonnes conditions et de pouvoir suivre aisément toutes les explications du guide.

Une fois sortis, nous reprenons la route vers les gorges. Le site est majestueux, pas encore envahi par les touristes comme en été. Le niveau de l'Ardèche n'est pas bas, bien gonflé par la fonte des neiges et les apports des différents affluents. Il est tôt, mais nous convenons de nous installer sur une des petites plages, face au pont d'Arc, pour pique-niquer.

- C'est la bonne saison pour venir, me dit Layla. Les touristes ne sont pas trop nombreux, même s'il y a les jours fériés : ce n'est pas une période de vacances scolaires et ça fait toute la différence.

- Je suis content de revenir par ici avec toi, dis-je, en lui prenant la main. Je comprends que l'endroit attire, mais tu as raison : c'est tellement mieux de pouvoir en profiter maintenant ! L'an passé, quand j'étais venu, en pleine semaine, c'était tranquille aussi.

- Il y a de quoi s'émerveiller, face à ce que la nature est capable de faire.

Nos regards se tournent à nouveau vers le pont de pierre. J'essaye d'en évaluer la hauteur que j'estime finalement à une cinquantaine de mètres. Mais je suis incapable d'imaginer combien de millions d'années il a fallu pour que la rivière le creuse ainsi.

Nous déballons nos sandwichs et la petite salade de carottes et de chou râpés que nous avions préparés ce matin, avant de quitter les Auches. Après le repas, nous nous allongeons sur le sable un moment, Layla lovée contre moi, sa tête près de mon épaule, sa main sur mon ventre. Nous nous amusons à regarder le ciel, les quelques nuages blancs qui filent au-dessus du pont d'Arc, s'effilochant en passant au-dessus du causse.

Puis Layla se redresse, époussète le sable qui a collé à ses jambes et fait quelques pas en direction de la rivière. Elle ôte ses ballerines sur le bord et s'avance dans l'eau. Un léger frisson remonte le long de ses jambes, sa tête se penche un peu en arrière, sur sa nuque. Les yeux fermés, le visage tourné vers le soleil, elle savoure.

Et moi, je la regarde et m'emplis les yeux, le cœur, les tripes de son plaisir, de sa présence. De cette joie, simple, qui émane d'elle alors qu'elle retrouve des sensations qui la ramènent certainement à son enfance, qui l'ancrent un peu plus dans cette terre. Son pays.

Elle demeure ainsi durant un moment que je ne peux évaluer. J'aime quand le temps semble se suspendre, à travers ses gestes ou les miens, signe qu'elle peut profiter pleinement, se déconnecter de son quotidien professionnel et d'éventuelles préoccupations. Puis elle se tourne vers moi et me sourit :

- L'eau est encore un peu fraîche, mais je crois que je vais tenter de me baigner. Cela te dit ?

- Pourquoi pas ?

Nous avions pris nos maillots "au cas où". Et quelques instants plus tard, nous avançons côte à côte, main dans la main, dans l'eau encore bien fraîche. Néanmoins, cela ne me semble pas pire que certains étés dans la Manche. Nous prenons bien le temps de nous habituer à la température, et je suis le premier à tenter le plongeon. Après une longue brasse coulée, je ressors de l'eau, secoue la tête et me mets vite à nager pour ne pas prendre froid. Layla me regarde avec amusement tout en continuant à avancer dans l'eau.

A un moment, comme pour jouer, elle plonge la tête dans l'eau, puis la ressort très vite, faisant faire un grand arc de cercle à ses cheveux mouillés, projetant des gouttes d'eau tout autour d'elle. Emerveillé, je la regarde. Et l'arche de perles nacrées qu'elle crée ainsi n'a rien à envier à celle de pierre qui lui fait face.

Riant, elle reprend ensuite sa marche et c'est seulement lorsqu'elle a de l'eau jusque sous la poitrine qu'elle se lance à son tour, mais sans remettre la tête sous l'eau. Je demeure immobile, faisant du surplace, pour la laisser me rejoindre. Puis nous partons vers la gauche, pour éviter de nous retrouver dans le courant qui, lui, longe la rive droite.

- Premier bain de l'année ! dit Layla avec un grand sourire. D'habitude, ça m'arrive en bas d'Antraigues ou dans la Besorgues. Mais c'est un bon choix que ce soit ici. Avec toi.

Je souris à ses derniers mots, tends le bras vers elle et l'attrape pour la coller à moi. Son corps qui me frôle me fait frissonner, et je l'embrasse tendrement, d'abord sur le bout du nez, puis sur ses lèvres.

- Tu commences à avoir froid, Layla, dis-je en remarquant que ses lèvres changent de couleur.

- Oui, tu as raison. C'est plus prudent de revenir sur le bord.

En quelques brasses, nous regagnons la plage et nous enveloppons vite dans nos serviettes. Une fois rhabillés, nous décidons de retourner à la voiture et de poursuivre notre escapade. Nous nous arrêtons à de nombreuses reprises, à chaque belvédère aménagé, comme je l'avais fait avec Pauline et Aglaé. Nous en profitons aussi, car il n'y a pas grand-monde, pour visiter la grotte de la Madeleine, une grotte où on peut voir de nombreuses concrétions, parmi les plus belles de France. Du belvédère, nous avons aussi un superbe point de vue sur les gorges, la rivière et le rocher dit "de la cathédrale".

Nous descendons non jusqu'au confluent avec le Rhône, car cela fait encore de la distance, mais jusqu'à Saint-Martin d'Ardèche. De là, nous abandonnons la rivière pour Saint-Marcel d'Ardèche et rentrer par le causse, en passant par Bidon, puis Saint-Remèze et revenir à Vallon-Pont-d'Arc.

Entre la balade et les visites, cela nous a fait une bonne route et nous décidons de dîner dans un restaurant de Vallon. Je prends le volant ensuite pour nous ramener, dans la nuit tombante, à Aizac.

Layla

Parcourir les gorges, même en voiture, c'est toujours un dépaysement. Le site est protégé, on ne peut voir la rivière et son défilé que depuis certains points de vue. Cela peut paraître frustrant, mais c'est le prix à payer pour préserver le site, très fragile. Et d'autant plus fragile qu'en plein été, c'est une autoroute à canoés. On peut dire que c'est un mode de parcours peu agressif, et c'est vrai. Mais quand il y a embouteillages pour descendre la rivière, passer certains rapides un peu délicats, voire dangereux quand le niveau de l'eau est bas, ce n'est pas forcément en adéquation avec la volonté de protéger les lieux. Le tourisme est une des ressources non négligeables de ma région, je le sais, il faut faire avec. Cela maintient de l'activité, et c'est complémentaire de petites industries, de l'artisanat et des commerces. Difficile aussi de réglementer, de limiter l'accès à la nature. Et pas simple de parvenir à trouver le juste équilibre.

C'est aussi pour cela que j'évite de venir en plein été dans les gorges. Je ne suis pas en Ardèche pour me retrouver dans la foule, comme si j'étais restée à Paris. Mais en ce début du mois de mai, c'est très agréable. Nous avons eu une belle journée, du soleil sans avoir trop chaud, et pu prendre le premier bain de l'année, ensemble.

Alexis, je le sais, je le sens, apprécie tous ces moments. Nous sommes vraiment sur la même longueur d'ondes pour en profiter, tous les deux.

S'il avait déjà découvert la grotte Chauvet l'an passé, il n'était pas descendu dans celle de la Madeleine et c'est une visite que nous pouvons faire ensemble. Puis nous reprenons la route en lacets en rentrant tranquillement par le chemin des écoliers, après avoir dîné à Vallon.

Il fait nuit quand nous arrivons aux Auches et nous demeurons un moment sur la terrasse, pour nous imprégner des bienfaits de cette douce soirée printanière. En contrebas, nous pouvons distinguer les lumières d'Antraigues. Je me suis appuyée dos contre Alexis et il m'entoure de ses bras. J'ai le sentiment que nos cœurs battent à l'unisson, l'un pour l'autre et tous les deux pour ce pays.

Notre pays.

**

La voix d'Alexis me frôle comme une caresse et me fait sourire :

- J'ai dû te paraître bien idiot, l'an passé, Layla...

- Non, pas du tout. Je te trouvais plutôt... émouvant. Je te sentais... sensible, aussi. Même si je ne savais pas pourquoi.

- Je me dis parfois que j'aurais dû te donner des explications plus tôt, plus vite.

- Elles sont arrivées quand elles le devaient, dis-je avec bon sens.

Il n'ajoute rien, appuie simplement son menton sur mon épaule, tout en resserrant son étreinte autour de ma taille. Il n'y a plus de vent, l'air est chargé des parfums de cette saison : celui délicat des nombreuses fleurs qui s'épanouissent dans le jardin ou entre les murettes, celui léger des châtaigniers dont les feuilles s'ouvrent jour après jour, fraîcheur montant des ruisseaux, de la rivière. Au-dessus de nos têtes la vigne étend ses rameaux, développe ses bourgeons.

Je savoure et je profite encore de la vue, des masses sombres des montagnes, du volcan, des petites lumières d'Antraigues, du chant de la rivière et de tous les parfums qui montent jusqu'à nous. Puis je me retourne lentement, les mains d'Alexis glissent dans mon dos, refermant aussitôt leur étreinte autour de moi. Je passe mes bras autour de ses reins, appuie ma tête contre son cœur et je ferme les yeux.

Je suis bien.

Contre lui, dans ses bras, avec lui.

Ici.

- Layla... Je t'aime.

Je souris :

- Je t'aime aussi, Alexis.

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