Chapitre 72

7 minutes de lecture

Layla

Ce jeudi 10 étant férié, Alexis ne travaille pas et nous avons décidé la veille de faire une belle randonnée à partir d'Antraigues. Nous allons remonter au-dessus de la vallée du Mas, vers le nord et passer sur le versant au-dessus de la Volane, avant de surplomber la vallée de la Bise. Cela fait du dénivelé, mais sans trop de difficulté pour des marcheurs aguerris comme nous.

Nous avons cependant soigneusement préparé la sortie, car certaines portions du parcours ne sont pas toujours bien nettoyées, surtout en ce tout début de saison : les chemins dans les alentours sont nombreux, contrairement aux cantonniers ou aux randonneurs qui entretiennent aussi les sentiers. Nous avons donc prévu des pantalons légers, que nous pourrons remonter dans les passages faciles, et qui couvriront et protégeront nos jambes si nous en venons à traverser des champs d'ajoncs ou des coins touffus.

Alexis s'est lesté du pique-nique et des deux grandes gourdes d'eau. Je porte les encas et une gourde plus petite, ainsi qu'une pharmacie de secours. Lui n'a encore jamais fait cette randonnée, quant à moi, cela remonte à l'année de mes seize ans, quand, avec les amis, nous partions souvent ainsi en balade dans les alentours, que ce soit au départ d'Antraigues ou d'Aizac. Nous avons arpenté à peu près tout ce qu'il était possible de parcourir alors qu'aucun d'entre nous n'avait encore le permis de conduire et qu'il n'y avait pas toujours de parents ou proches disponibles pour nous emmener à droite ou à gauche.

Nous partons à la fraîche, alors que le soleil vient tout juste d'émerger au-dessus de la montagne et nous commençons par grimper jusqu'à la chapelle Saint-Roch d'où nous avons une jolie vue en contre-plongée sur Antraigues. Nous voici déjà plus haut que le village, puis nous basculons côté Volane et suivons le sentier à flanc de montagne sur une bonne distance, avant de grimper un peu plus, de passer la crête et de rebasculer au-dessus de la vallée du Mas. Nous longeons ainsi la crête sur une bonne distance avant d'arriver au point le plus éloigné de notre randonnée. C'est là, à l'ombre des châtaigniers, que nous nous arrêtons pour le pique-nique.

Il fait beau. Un vent léger souffle et nous apporte un peu d'air, ce qui est bien agréable. Tout est calme, nous n'avons croisé personne et on observe à peine un peu d'activité autour des quelques maisons disséminées ça et là et dont nous apercevons parfois juste les toits ou une cheminée qui dépasse de la végétation. Les couleurs sont celles d'un printemps éclatant, les parfums aussi.

Et je savoure. Ce sont de vraies retrouvailles avec mon pays. J'évoque plusieurs souvenirs de ma précédente randonnée avec Alexis, lui raconte quelques anecdotes sur Julien, Emilie, Hugo, Véronique. La petite bande que nous formions. Notre complicité qui a perduré au-delà des années et des trajectoires des uns et des autres. La voie toute tracée pour certains - Julien qui comptait prendre la suite de son père à la boucherie d'Antraigues, moi qui m'investirais dans l'entreprise familiale -, moins nette pour Hugo et Emilie, même si ces deux-là savaient déjà qu'entre eux deux, ce serait pour la vie.

Après la pause déjeuner, nous repartons et très vite, nous nous retrouvons à surplomber la vallée du Mas et de la Bise. Le parcours devient un peu complexe, car moins bien balisé et le chemin se distingue parfois à peine à travers les genêts. Mais je me repère bien, reconnais quelques passages et après une demi-heure à tâtonner, nous retrouvons le sentier. Un dernier détour et les toits d'Antraigues se dessinent devant nous, dans la lumière de fin d'après-midi. J'aime voir mon village à cette heure-là, quand les rayons du soleil ont pris cette teinte chaude et soulignent avec tendresse les roses et nacres des pierres, des tuiles.

Main dans la main, nous finissons notre parcours en arrivant sur la place. Les "champions" sont là, nous les saluons, mais déclinons une partie pour nous installer à la terrasse de "La Montagne". Je ferme un instant les yeux, savoure autant le repos après cette journée bien sportive que le chant de la fontaine, les stries des hirondelles et les éclats de voix des joueurs de boules. Mais aussi la main d'Alexis qui se pose sur la mienne, son souffle qui effleure ma joue alors qu'il dépose un simple baiser sur mon front.

C'est un instant d'éternité. Un de ces moments où tout me semble immuable.

Alexis

Après notre belle randonnée de jeudi, Layla s'offre une journée de repos alors que je reprends le travail. Le samedi, nous montons sur le plateau et randonnons encore, pour un parcours offrant peu de dénivelé, à partir de Lachamp-Raphaël. Nous ne pouvons pas faire de boucle, mais cela permet de découvrir les paysages particuliers du plateau, de cheminer à travers champs et landes rases. Après une marche de près de deux heures, nous faisons demi-tour pour regagner le village et récupérer la voiture. Nous faisons un arrêt au Mont-Gerbier, Layla va goûter l'eau de la Loire et nous achetons quelques provisions. Nous rentrons par la route de Burzet et faisons un arrêt à la cascade du Ray-Pic.

Je n'y étais pas revenu depuis notre première excursion sur le plateau, à Layla et moi, il y a un an. C'était juste avant notre première fois et cette journée reste gravée en moi. D'abord le souvenir de la découverte, celle de ces paysages extraordinaires, puis le sentiment de partage avec Layla : partage de son pays, de ses souvenirs d'enfance, de sa maison aussi, puisque c'était la première fois que je mettais les pieds aux Auches. Puis notre folie, le désir l'un de l'autre qui nous avait menés. Ce mélange un rien déstabilisant entre sentiment d'être perdu et extase délicieuse, comme si j'étais passé en un éclair entre purgatoire et paradis, mais sans bien savoir où exactement j'avais atterri.

Les lieux sont fidèles au souvenir que j'en avais gardé et d'autant plus que nous nous y rendons à la même période de l'année. Mais alors que nous demeurons silencieux, à admirer les chutes d'eau et l'harmonie entre elles et les pierres, cette fois, je n'hésite pas quand Layla se tourne vers moi. Je prends son visage entre mes mains et l'embrasse longuement et tendrement, comme pour rattraper l'occasion que j'avais laissé fuir, un an plus tôt.

Lorsque nous rompons notre baiser, elle me sourit, resserre l'étreinte de ses bras autour de ma taille et m'embrasse à son tour. Cet instant a comme un goût d'éternité, au creux de cet endroit secret, sauvage et beau.

Et c'est un magnifique écrin pour notre amour.

**

Je suis assis, seul, sur la terrasse des Auches. Mes yeux ont suivi la voiture qui s'éloignait vers le col d'Aizac, jusqu'à ce qu'elle disparaisse à un tournant, sous les châtaigniers. Le bruit du moteur a décru jusqu'à disparaître et je me retrouve ainsi à contempler le ciel d'un bleu clair, le volcan et la vallée de la Volane. D'ici une dizaine de minutes environ, Serge et Layla s'y engageront. Elle pourra jeter un dernier regard à Antraigues, graver encore dans sa mémoire les détails de la vallée qui serpente entre les pans de montagne, avant de traverser Vals-les-Bains et de s'engager sur la route en direction du col de la Chavade.

Elle est repartie pour Paris, après cette semaine de vacances, ce bol d'air pour elle et moi, cette parenthèse dans nos vies bien remplies, bien chargées. Je sais déjà que je vais descendre au village cet après-midi, que je ferai une partie de pétanque avec les "champions", que j'apprécierai la petite étape chez Mariette pour clore la rencontre. Et que je remonterai certainement aux Auches ce soir, même si cela m'obligera à me lever plus tôt demain matin pour reprendre le travail. Mais j'ai besoin désormais, à chaque fois que Layla vient, de passer la soirée qui suit son départ ici. Pour garder encore un lien étroit avec elle, pour ne pas me sentir trop perdu sans elle, pour réapprendre à être seul au quotidien.

Notre séparation sera cependant de courte durée : juste une semaine puisque je monte à Paris le week-end prochain, pour la Pentecôte. Le lundi étant férié, j'ai décidé de m'arranger pour ne pas prendre de rendez-vous vendredi après-midi, afin de pouvoir prendre un train à Montélimar vers 19h. Je consacrerai le début d'après-midi à mes patients de la maison de retraite, ce que j'avais envisagé depuis un moment, le lundi étant férié. J'arriverai tard à Paris, mais cela nous permettra de passer trois jours ensemble, Layla et moi.

Oui, trois jours complets, car je ne repartirai que le mardi après-midi. Je ne m'y attendais pas, mais je suis obligé de prolonger mon déplacement à Paris d'une journée : l'agent immobilier auquel j'ai confié la vente de l'appartement a trouvé de potentiels acheteurs, un jeune couple très intéressé. Il m'a prévenu la semaine passée et je me suis donc organisé pour rester sur Paris mardi matin et ne rentrer à Antraigues que mardi soir. Il m'a fallu déplacer plusieurs rendez-vous, mais cela a pu se faire sur la semaine. La plupart ne présentaient pas de caractère d'urgence. Et le notaire a bien compris la nécessité de dégager un rendez-vous de son côté pour la signature du compromis de vente.

Ce serait donc une bonne chose de faite, un pas de plus dans ma tête pour mon installation définitive à Antraigues. En vendant mon appartement, je me délaisse d'un dernier point d'attache dans la capitale.

Et je vais m'ancrer un peu plus au cœur de ces montagnes.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Pom&pomme ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0