Chapitre 120

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Alexis

Je boucle le cabinet médical alors que la nuit est en train de tomber : les jours raccourcissent de plus en plus, l'automne est vraiment là. Ce soir, je dîne à nouveau à Antraigues, chez Julien. C'est petit, mais il avait envie de nous inviter tous les trois. J'ai accepté, même si je les quitterai vers 21h30 pour descendre à Montélimar récupérer Layla. Elle m'a envoyé un message tout à l'heure pour me dire qu'elle était bien dans le train et qu'elle venait de quitter Paris. Elle a ajouté un smiley avec un grand sourire ravi. Je ne sais pas où elle a dégoté ça, mais ses smileys ont tous la forme de la châtaigne ardéchoise. Le message se terminait par smiley-châtaigne en forme de cœur. J'en ai eu un sourire béat, comme à chaque fois.

Nous passons une bonne soirée tous les trois. Julien a préparé un pot-au-feu, le premier de la saison, et Aglaé se régale. Il y avait aussi quelques tranches de saucisson bien sec pour elle, cela va sans dire. Heureusement qu'elle cavale beaucoup et est en pleine croissance. Pauline a préparé le dessert, une tarte aux pommes. Elle m'en glisse une part pour Layla.

C'est donc bien lesté que je prends la route en ce début de nuit. A cette heure, il y a très peu de circulation et, une fois passé Aubenas, je croise surtout quelques camions qui remontent de la vallée du Rhône. J'arrive avec une dizaine de minutes d'avance à la gare, j'attends dans la voiture : à cette heure, tout est fermé. J'en sors une ou deux minutes avant l'annonce du train et gagne directement le quai. Ici le vent est plus soutenu et s'engouffre dans la vallée. Je remonte le col de ma veste alors que je distingue au loin les phares de la locomotive qui trouent la nuit. Quelques instants plus tard, le TGV en provenance de Paris s'arrête dans un long crissement de freins. Je m'étais placé au niveau de la voiture de Layla et je l'aperçois qui remonte le couloir pour gagner la sortie. Plusieurs passagers se trouvent devant elle.

A peine me voit-elle qu'un grand sourire s'affiche sur son visage, puis elle se retrouve dans mes bras et je l'embrasse longuement. Même si elle est partie dimanche dernier seulement, elle m'a manqué toute la semaine. D'un côté, c'est bien qu'elle vienne plus souvent, d'un autre, je me dis que ses absences sont plus difficiles à supporter. Enfin, il me semble. Mais je garde cela pour moi, car je ne veux pas lui mettre de pression. Elle en a assez comme cela.

Nous gagnons vite la sortie, je lui glisse que Pauline a laissé une part de tarte aux pommes pour elle.

- Je la mangerai à la maison, là, ça va, sourit-elle. Tout le monde va bien à Antraigues ?

- Oui. Tout le monde te passe le bonjour. Et toi, ta semaine ?

- Très dense, mais ça va. J'avais craint un peu, à la fin des vacances et en étant beaucoup ici que ce serait compliqué, mais en fait, non. Je ne perds pas le fil des dossiers, de toutes ces petites choses qu'il faut avoir en tête au quotidien, même si cela n'engage pas l'entreprise dans de profonds changements. On a pu tenir également la réunion du CE et plusieurs réunions de direction. On a eu de lourds investissements cette année et je ne pourrai pas octroyer d'augmentations supérieures à l'inflation pour l'an prochain. Je l'ai déjà annoncé aux élus.

- Ils ont tiqué ?

- Un peu. Mais plus pour la forme, car ils savent pourquoi je ne peux faire mieux. Il y aura quand même quelques promotions individuelles. J'espère que nous aurons un peu plus de marge l'année prochaine, mais ils savent bien qu'avec la relance des usines, les embauches supplémentaires, la marge est très réduite pour au moins deux années. Ensuite, on verra...

- Et la vente des usines à l'étranger ?

- Les contrats sont en cours de finition. Côté thaï, c'est bon. Côté turc, il reste encore deux ou trois petites choses à préciser, mais ça devrait se faire la semaine prochaine. J'aurais aimé avoir les contrats bouclés tant que j'étais à Paris, mais bon...

- Ca ne remet pas en cause la vente ?

- Non, pas du tout. Lisa est donc en train de préparer notre voyage.

Durant tout le trajet, nous discutons tranquillement. Je lui confie mes inquiétudes pour deux de mes patients, je lui dis aussi avoir croisé Emilie un midi alors que je quittais le cabinet médical et qu'elle sortait de la pharmacie. Puisque Layla sera à Aizac pour deux semaines, j'ai proposé qu'on dîne ensemble un de ces jours, peut-être vendredi ou samedi prochain. On les invitera aux Auches ou on ira manger à Genestelle, on n'a encore rien décidé.

Pour demain, ce qui se profile, c'est la tournée des antiquaires et autres vendeurs de meubles anciens, pour commencer l'aménagement des chambres, en haut. Pour la salle de bain, Layla avait trouvé un petit meuble en bois qu'on a déjà placé sous le lavabo et qui rend très bien. Il faut rester dans le style de la maison, trouver des meubles qui conviennent. Il faut aussi qu'ils soient en bon état. Je ne me suis jamais amusé à restaurer un meuble, et Layla n'a pas du tout le temps de se lancer là-dedans. J'avoue que cette tournée des boutiques ne m'emballe pas franchement. La journée s'annonce belle et j'aurais préféré randonner. Mais on va essayer de faire les deux. Une petite balade l'après-midi et les boutiques le matin.

Une fois arrivés, je ne suis pas surpris de la voir se précipiter dans la maison et s'installer devant la cheminée, bras tendus, avant même d'avoir ôté son manteau. Son sourire se fait plus large, son regard est plus lumineux. Retrouver sa maison, son ambiance chaleureuse la transforme toujours.

Ou plutôt la fait redevenir la vraie Layla.

Je dépose sa petite valise et sa mallette de travail dans un coin, puis je viens l'enlacer. Elle appuie aussitôt sa tête contre mon torse et soupire :

- Ca fait une semaine que je rêve d'un bon feu de cheminée...

- Et moi, ça fait une semaine que je rêve de te tenir dans mes bras devant cette même cheminée, dis-je en souriant.

- Embrasse-moi...

Elle se tourne vers moi, et je m'exécute.

**

- Je suis certaine qu'elle sera encore très bonne au petit déjeuner...

- Hum ? De quoi parles-tu, chérie ?

- De la part de tarte aux pommes de Pauline...

Je rouvre les yeux. Ah oui, la part de tarte aux pommes... On l'a complètement oubliée. Layla est blottie contre moi, son corps imbriqué contre le mien, sa main posée sur mon torse.

- Tu as faim ? m'étonné-je.

- Hum... Seulement de toi, rit-elle doucement.

- Tu dors à moitié...

- A moitié seulement.

- Et moi, je dors presque complètement.

- Vraiment ?

La coquine... Sa main est en train de me caresser, juste sur mon épaule, explorant lentement vers mes mamelons. Elle s'y arrête, insiste un peu, repart et, imperceptiblement, descend... de plus en plus bas. J'adore ses caresses légères, presque aériennes. Je la laisse faire un moment, l'air de rien. Puis je me tourne et la plaque dos au lit, lui faisant pousser un petit cri de surprise. Je plonge mon regard dans ses perles mauves et souris :

- Donc, tu as encore un peu d'appétit...

- Oui...

Et je l'embrasse.

- Je t'aime, Layla, dis-je en rompant notre baiser et en laissant déjà courir mes lèvres dans son cou.

Elle ferme les yeux, gémit, se cambre.

Et me laisse faire.

Layla

- Ca, c'est pas mal du tout. Deux lits bateau. Mes neveux vont adorer.

- Et on les ramène comment ?

- On fait livrer. On ne va pas s'embêter. Et on prend l'option installation-montage en prime. On a autre chose à faire que bricoler.

- D'accord.

Je me doutais que traîner Alexis dans les magasins d'ameublement ne serait pas une sinécure, j'en ai la preuve. Nous avons commencé par une boutique de mobilier ancien, tenue par un menuisier dans la zone d'activité d'Aubenas. Nous y avons trouvé l'essentiel : jolies tables de nuit, commodes. Et une armoire de type bonnetière. Difficile de prendre plus grand et plus large, les pièces ne permettant pas de les meubler avec des éléments trop grands. Pour les lits en revanche, il n'avait que des grands et très peu de choix, d'où le fait que nous nous trouvons maintenant dans un magasin de mobilier plus classique.

- Hugo passera chez le menuisier, avec la camionnette. Mais ici, autant profiter du service.

Alexis paraît dubitatif, ou du moins lointain. Il me laisse décider sans trop donner son avis. Se bornant à dire : "si ça te plaît, c'est bien". Je me tourne vers la vendeuse qui nous accompagne et lui dis :

- On prendra deux lits bateau de ce modèle. Vous proposez bien la livraison et le montage ?

- Oui. Venez, on va regarder cela.

Et nous voilà partis pour la commande. Stock disponible, date de livraison et paiement.

Lorsque nous sortons du magasin, Alexis pousse un long soupir :

- C'est fini ? On a tout ?

Je pouffe et lui pince gentiment le bras :

- Oui. Ton calvaire est terminé.

- Merci...

- Ca n'a pas été trop long ?

- Si...

- Arrête. On n'a fait que deux magasins.

- C'est déjà un de trop pour moi. On aurait pu commander les lits au menuisier.

- Il a des commandes et des restaurations par-dessus la tête. Tu as bien vu qu'il tiquait fortement quand je lui ai posé la question.

- Je le reconnais.

- Et il faut deux lits pour Jacob et Maxime. Voire pour y faire dormir Aglaé si on devait la garder ponctuellement. Les matelas de camping, ça va un temps.

- Je le reconnais aussi. Bon, on rentre ?

- Non, dis-je. On va faire une balade.

D'un coup, son air un peu grognon disparaît et un sourire illumine son visage. Ses paillettes dorées se mettent à scintiller.

- Où veux-tu aller ?

- Je te propose une jolie balade autour du col de l'Escrinet. Entre deux et trois heures de marche. De toute façon, on a pris le pique-nique...

Il réfléchit un instant et dit :

- Ca ne fait pas trop loin d'ici pour aller au col de l'Escrinet ?

- Non, il y a une assez belle route, presque toute droite, ce qui est un vrai exploit en Ardèche, je le reconnais. En une vingtaine de minutes environ, on y sera.

- Ca me va. On n'a pas encore beaucoup randonné dans ce coin-là.

- On aura quelques beaux points de vue, sur le plateau du Coiron, vers chez nous aussi.

**

- C'est une belle balade. Tu avais raison de nous emmener jusqu'ici.

Nous sommes arrivés au point le plus élevé de la randonnée et nous admirons la vue. La montée est assez raide, même en étant de bons marcheurs. Alexis avait vraiment besoin de se défouler, de se retrouver au grand air. Et je prends conscience que c'est aussi ce qu'il fait, le week-end, quand je ne suis pas là : soit il part randonner, soit il s'active autour de la maison. Et il rejoint souvent les champions, en passant par le sentier.

Je glisse ma main dans la sienne, il se penche vers moi.

- Excuse-moi, Layla. Je n'étais pas de très bonne humeur ce matin. Mais franchement, je déteste faire les magasins.

- Ca me semblait important qu'on y aille tous les deux, dis-je. Ce sont les premières pièces qu'on peut aménager ensemble. Tout le reste, c'est moi qui l'ai choisi, seule ou à partir des affaires de Tantine que j'ai gardées.

- J'ai bien compris. Mais je t'assure que tu as fait de très bons choix.

Je souris.

- Bon, oublions ça. C'est fait et je me chargerai de la petite décoration : lampes, cadres photos...

- Et ce sera très bien. Et je suis content qu'on ait le temps de faire cette randonnée. Il fait beau, ça aurait été dommage de rester enfermés.

- J'en conviens. J'apprécie aussi le grand air.

Il m'entoure de son bras.

- J'aime profiter de la nature avec toi, tu sais. Je découvre ton pays, tu le partages avec moi...

- C'est ton pays, maintenant, Alexis.

- Je n'ai pas encore tellement l'accent.

- Ca n'a pas d'importance. Tu l'aimes et c'est tout ce qui compte.

Nous demeurons silencieux un moment, puis il dit :

- J'avais fait une belle randonnée autour de Saint-Jean-Le-Centenier. Il faudrait qu'on retourne par-là.

- C'est vrai. Ca ne fait pas si loin et il y a de beaux chemins. Je n'en ai pas fait beaucoup dans ce coin-là. Et quand je partais seule, ce qui arrivait souvent avant de te rencontrer, je privilégiais les petites randonnées. En cas de souci, c'est toujours mieux de ne pas être au fin fond de la pampa.

- Et tu venais surtout en été aussi. Avec la chaleur, c'est difficile de faire de longs parcours.

- Aussi.

- Allez, on repart ? Si on ne veut pas arriver à la nuit à la maison...

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