Chapitre 125

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Layla

Nous avons à peine atterri à Roissy-Charles de Gaulle que je reprends le train pour Montélimar. Je n'ai pas besoin de demeurer à Paris suite au voyage et à la vente des usines, puisque j'étais sur place avec les principales personnes ayant suivi cette vente et concernées par ce dossier, hormis Valérie, la responsable du service financier, qui était demeurée à Paris pour assurer la direction de l'entreprise du fait de notre absence à Laurent et moi. Enfin, disons qu'elle a expédié les affaires courantes : toutes les réunions et décisions d'envergure ont été reportées et planifiées pour le mois de décembre.

J'avais de toute façon à l'esprit de retourner en Ardèche dès mon retour, pour y présider les réunions de bilan de fin d'année. Le mini-séisme - qui n'a pas eu d'autres conséquences que susciter un peu de frayeur chez les habitants - est cependant un motif de plus pour moi de me rendre aux usines. Aucun dégât n'a été constaté, de même dans les villages et hameaux où l'onde a été ressentie. D'après les informations que j'ai pu recevoir - en particulier par Alexis et Stéphanie - il ne s'agit finalement pas d'une réplique de celui du Teil : l'épicentre est situé entre Génestelle et Saint-Joseph-des-Bancs - autant dire à portée d'Aizac et d'Antraigues -, mais fait partie des petits séismes que la région connaît régulièrement. Etant une ancienne zone volcanique, et même le pays des jeunes volcans, c'est assez fréquent et plutôt habituel. Celui du Teil, en revanche, est une véritable exception car la faille n'était pas répertoriée comme dangereuse ou en activité. Les scientifiques sont encore à la recherche d'explications. Une ancienne activité minière pourrait éventuellement présenter un lien.

J'ai demandé à Valérie d'estimer si une ligne de crédit de soutien pouvait être débloquée pour les victimes du séisme, afin d'aider à leur relogement dans un premier temps, sachant que les assurances devraient prendre le relais rapidement, l'état de catastrophe naturelle ayant été reconnu.

C'est donc avec des préoccupations bien éloignées des aléas de la vente de l'usine turque que je regagne mon chez-moi. J'avais prévenu Serge de mes déplacements et il a décidé de se rendre à Montélimar la veille de mon arrivée pour me conduire au moins à Aizac. Il est aussi prêt à demeurer sur place la semaine prochaine pour m'assister dans mes trajets quotidiens. Il est en effet possible que je doive me rendre à Privas pour rencontrer les élus départementaux.

Nous avons quitté Izmir, puis Ankara, en tout début de matinée et sommes arrivés à Paris sur l'heure de midi. J'ai aussitôt repris le train et c'est en fin d'après-midi que j'arrive à Montélimar, bien contente de voir que Serge est au rendez-vous : je n'ai pas bien dormi la veille, pour notre dernière nuit en Turquie, entre les soucis de la vente et l'inquiétude liée au séisme. Dans le train, je me suis assoupie, mais Serge note tout de suite mes traits tirés. Et que va dire Alexis en me voyant...

- Bonjour, Mademoiselle, me dit-il en se saisissant aussitôt de ma valise, plus imposante que celle que j'utilise d'habitude, puisque j'avais emporté plus de vêtements pour nos deux déplacements. Vous m'avez l'air fatigué...

- Bonjour, Serge. En fait, je crois que je suis épuisée... Le voyage et de difficiles négociations en Turquie, sans oublier l'annonce du séisme hier soir...

- Je comprends. Mais c'était un petit, comme il s'en produit régulièrement. Il n'y a pas d'inquiétude à avoir.

- Oui, je le reconnais. Mais ça fait beaucoup. Je vous remercie d'avoir quitté Paris pour me récupérer ici. Je suis bien contente de vous voir !

- J'avais bien pensé que le voyage serait assez éprouvant, rien qu'avec les décalages horaires que vous avez encaissés en deux semaines. Mais je ne pensais pas que vous auriez rencontré des soucis...

Nous arrivons près de la voiture, Serge charge mes bagages pendant que je m'assois à l'avant.

- Installez-vous derrière, Mademoiselle, me dit-il. Je pense que vous allez vite vous endormir...

- J'ai pourtant fait une petite sieste dans le train, mais vous avez raison...

Je change rapidement de place, puis il met le moteur en route et nous quittons le parking de la gare.

- Comment allez-vous, Serge ?

- Oh bien, Mademoiselle ! Merci. Tout le monde va bien chez moi aussi.

- Parfait, souris-je.

- J'ai pris des nouvelles de vos parents en début de semaine, Madame Noury m'a dit que tout allait bien de leur côté.

- Je ne les ai pas appelés de tout mon séjour... Juste envoyé quelques messages à maman pour la tenir au courant de nos voyages, la rassurer pour lui dire que nous étions bien arrivés à tel ou tel endroit...

- Vous allez pouvoir leur en parler un peu plus.

- Je pense que je ne vais pas m'étendre... Je vais vous confier quelque chose, Serge, mais je suis bien contente de m'être débarrassée des usines à l'étranger.

- Surtout celle de Turquie, n'est-ce pas ?

- C'est vrai, soupiré-je.

Je me laisse aller contre le dossier du fauteuil. Mon regard se perd sur la vallée du Rhône : à cause du séisme, la route du Teil est fermée et nous devons passer un peu plus au sud, par celle de Viviers, heureusement rouverte assez rapidement. Mais même en passant un peu plus au sud, on peut voir les dégâts : maisons en partie affaissées, étais placés pour limiter les risques d'effondrement, tas de pierres, vitrines brisées dans certains magasins. Pour un peu, on pourrait penser que des bombes sont tombées sur les alentours.

Mais plus on remonte vers le nord, et plus les paysages et villages retrouvent l'aspect que je connais. Je me sens rassurée. Serge conduit souplement, en silence. Je sens que mes paupières deviennent lourdes. Je lutte quelques instants, puis me laisse finalement aller au sommeil : il avait bien raison de me conseiller de m'installer à l'arrière de la voiture.

**

- Mademoiselle ?

- Hum ?

- Je viens de passer Aubenas. Nous arriverons bientôt à Labégude...

J'ouvre les yeux. J'ai dormi près d'une heure. Je passe la main dans mes cheveux, me redresse. La haute cheminée d'une ancienne usine se détache sur le ciel gris : oui, nous sommes bien à Labégude.

- Voulez-vous qu'on passe devant l'usine, Mademoiselle ?

J'hésite : bien sûr que j'aimerais être rassurée, mais je fais confiance à ce que Stéphanie, Jean-Christophe et Alexis m'ont fait savoir : le séisme de Génestelle était vraiment de faible ampleur et n'a causé aucun dégât. Je me sens aussi peu présentable, lasse et j'ai franchement besoin d'une bonne douche. De plus, il est déjà assez tard et je ne croiserai sans doute pas grand-monde.

- Non, Serge. Nous irons demain, lui réponds-je raisonnablement. J'ai hâte d'être à la maison maintenant.

- Je comprends. Nous arrivons bientôt, me sourit-il en jetant un coup d'œil dans le rétroviseur.

Je lui souris en retour.

Malgré un peu de circulation à cette heure - mais rien de comparable avec ce que nous avons vu ce matin autour d'Izmir ou de Paris -, il franchit vite le pont sur l'Ardèche. Son flot est tranquille, un peu plus élevé que la dernière fois que je suis passée, preuve que les pluies des derniers jours ont gonflé les ruisseaux. Là aussi, rien d'alarmant, pas de signe de crue. Puis nous traversons Vals-les-Bains, avant de pouvoir enfin remonter la vallée de la Volane.

Et c'est seulement à ce moment-là que je sens un nœud se détendre en moi : oui, il était temps que je rentre à la maison.

Alexis

"Merci, Serge".

J'envoie mon message alors que je m'apprête à prendre mon dernier patient, un papa qui accompagne son jeune garçon de sept ans, bien enrhumé et fiévreux. J'avais proposé de passer à domicile, mais le papa préférait venir, pour s'arrêter ensuite directement à la pharmacie, avec l'ordonnance. J'ausculte le petit. Gorge bien rouge, nez qui coule, fièvre...

- Bon, dis-je, après l'examen. Une bonne rhino-pharyngite. Vous le gardez bien au chaud, lait chaud, miel si possible. Pour les médicaments...

Je m'installe derrière mon bureau et commence à rédiger l'ordonnance.

- Voilà mon grand. Pas d'école demain, bien entendu... Et pour lundi, on avisera. N'hésitez pas à revenir lundi matin, j'ai encore quelques créneaux de libres en fin de matinée. Au pire, je passe le voir avant d'aller à la maison de retraite en tout début d'après-midi.

- Merci, Docteur, me dit le papa. Allez, mon bonhomme, on y va...

Il aide son fils à remettre son manteau et sort du cabinet. Je me lave les mains, puis désinfecte la table d'auscultation, mes appareils. Un dernier coup rapide sur le bureau, je ferme les volets et je sors. La nuit est tombée, j'ai hâte de rentrer à la maison et de retrouver Layla.

Serge m'a donc envoyé un petit message tout à l'heure pour me prévenir qu'il avait laissé Layla à la maison, mais qu'elle était bien fatiguée du voyage. Il retournait à Aubenas pour y passer la nuit et m'assure qu'il reviendra demain matin pour 8h30 pour la chercher et l'emmener aux usines. Evidemment, pas question pour Layla de se reposer au retour du voyage. Heureusement que le week-end arrive. Je n'ai rien prévu du tout, le temps est à la pluie, voire à la neige sur le plateau : il fait aussi plus froid ces derniers jours. On en profitera pour passer un week-end tranquille.

Lorsque j'arrive à la maison, tout est silencieux. Tout juste un feu pas très vaillant brûle-t-il dans la cheminée : je l'avais relancé ce midi et je note que Layla a dû y ajouter quelques bûches. Sans faire de bruit, je gagne le rez-de-chaussée, entrouvre la porte de la chambre : Layla dort à poings fermés.

**

- Hum... Alexis ?

- Oui, chérie...

- Quelle heure est-il ?

- 20h à peine. Je suis rentré depuis peu.

Je me suis assis sur le lit, près d'elle, et caresse doucement son épaule nue. Elle se tourne, ouvre les yeux et me fixe. Ses iris mauves sont empreints d'une nette marque de fatigue.

- La fatigue m'est retombée dessus en arrivant, soupire-t-elle en venant se blottir contre moi. J'avais besoin d'une bonne douche... A peine Serge était-il reparti que j'ai relancé le feu, me suis lavée et puis... Je me suis dit que j'allais m'allonger cinq minutes avant que tu n'arrives, que je préparerais ensuite le repas...

- Ne t'inquiète pas de cela, j'ai prévu : une bonne soupe de pois cassés à réchauffer, du fromage et une salade de fruits frais.

- Hum... Tu es un amour, sourit-elle en fermant les yeux.

- Tu veux dormir encore ou tu te lèves, marmotte ?

- Je me lève. Je vais manger et dodo. Ce voyage m'a épuisée.

- Je vois ça. Allez, je monte, je prépare le repas. Ne te rendors pas...

Elle me sourit, se redresse dans le lit. Un instant, j'admire ses formes, soulignées par la jolie nuisette qu'elle a enfilée. Puis je regagne l'étage et m'active. Quelques minutes plus tard, Layla me rejoint en une tenue qu'elle apprécie de porter ici, l'hiver : pull à col roulé, pantalon. Et sans doute un top sous le pull. Elle s'est coiffée aussi et m'offre un visage aux traits certes tendus, mais au regard serein. Je l'enlace et nous nous embrassons longuement.

- Je suis contente d'être de retour et de venir ici, juste après le voyage. Et de te retrouver enfin, dit-elle alors que je la tiens toujours dans mes bras.

- Et moi, je suis heureux de te retrouver, tout simplement.

Nous échangeons un long regard, puis un baiser des plus tendres.

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