Layla

- Maman !

Je fais quelques pas sur le quai, m'accroupis pour prendre dans les bras ma petite puce. Ses longs cheveux blonds sont soulevés par la course qu'elle réalise pour me rejoindre, alors qu'Alexis la suit d'un pas tranquille. Je l'attrape et me redresse, lui plante deux baisers sur les joues. Elle entoure mon cou de ses petits bras. Et l'instant d'après, c'est Alexis qui nous enlace.

- C'était bien le voyage, maman ?

- Oui, ça s'est bien passé. Et vous, la semaine ?

- Bien ! J'étais avec Aglaé mercredi ! On a mangé des crêpes et on est allé à la baignade.

Je souris. Aglaé est assez grande maintenant pour garder notre fille le mercredi. Celà lui évite d'aller toute la journée à la garderie à Vals, du moins quand je m'absente.

Je repose Iona à terre, Alexis m'embrasse, puis nous prenons chacun une main de la petite et nous nous dirigeons vers les escaliers.

Depuis la naissance d'Iona, et même depuis le premier confinement, beaucoup de choses ont changé pour moi. Je travaille désormais quasiment à temps plein depuis Ucel, ne me rendant à Paris que pour le comité central d'entreprise, une fois par mois, et à Libourne quand cela est nécessaire. Je garde cependant le contact avec mes équipes là-bas, et m'y déplace au moins une fois par trimestre.

La pandémie et surtout les mesures qui ont été prises pour lutter contre elle ont modifié les habitudes de travail. Le télétravail s'est développé. Dès la fin du premier confinement, alors que l'épidémie était encore loin d'être enrayée, nous avons lancé des négociations avec les représentants du personnel pour organiser un cadre au télétravail dans l'entreprise, pour tous les postes où il était possible, c'est-à-dire essentiellement les postes administratifs.

En ce beau soir de juin, je suis donc de retour à la maison, après un déplacement de trois jours à Paris. Y rester plus longtemps est exceptionnel. Pour autant, Laurent et moi n'avons pas perdu en efficacité. De même avec le reste de la direction, ou avec les responsables des ventes à l'étranger : avec eux, de toute façon, les contacts se faisaient déjà à distance.

Dans la ville, l'air embaume des parfums de l'été qui s'avance : lilas, roses, glycines. Mais dans la vallée de la Volane, ce seront d'autres parfums, ceux des sous-bois, de la rivière, des dernières fleurs d'ajoncs, des premières myrtilles que nous pourrons apprécier.

Sachant que je rentrais dès ce soir, Alexis s'est débrouillé pour ne pas finir trop tard pour pouvoir me récupérer à Montélimar aux alentours de 20h30. Iona a grignoté dans la voiture, petit privilège des "soirs où on va chercher maman au train".

**

Durant le trajet, elle babille. Me raconte ses journées. S'extasie en voyant un rapace planer, les douces couleurs des vignes après Alba, les formes étranges des volcans du plateau du Coiron. Puis c'est : "On arrive !" qui fuse alors que nous entamons la remontée de la vallée de la Volane. Habituellement, elle est au lit vers 20h30, mais ce soir, c'est une exception. Et pas question de s'endormir avant de voir Antraigues... En revanche, les virages du volcan ont un effet soporifique sur notre petite poupée, effet qui ne s'est pas démenti depuis la période où elle faisait ses premières dents et où même la bercer en faisant le tour de la maison n'était pas suffisant pour l'endormir. Le volcan a des vertus magiques insoupçonnées...

A notre arrivée, Alexis la détache délicatement de son siège auto et la porte jusqu'à son lit. Depuis sa naissance, nous avons changé nos habitudes : notre ancienne chambre a été reconvertie en chambre d'amis, j'ai installé un vrai bureau dans le salon. Et nous dormons à l'étage, dans la chambre voisine de celle d'Iona.

Pendant qu'Alexis s'occupe de la coucher, je dépose mes affaires dans le salon, rebranche mon portable sur le bureau. Puis je regagne l'étage en même temps que lui.

- Viens, dit-il en me prenant la main.

Nous ressortons sur la terrasse. C'est une douce et belle soirée. Les étoiles scintillent au-dessus du volcan, Antraigues s'endort dans la vallée. Les parfums, soulignés par une très légère humidité, montent jusqu'à nous. Le ruisseau chante sur les cailloux.

Je ferme les yeux, m'appuie contre le torse d'Alexis. Il m'entoure de ses bras.

Nous sommes bien. Là, simplement.

Tous les deux.

Amoureux.

Alexis

En cette belle soirée de fin juin, nous nous tenons, Layla et moi, sur la terrasse. Le calme est revenu aux Auches après cette journée riche en émotions de toute sorte et en retrouvailles. Il règne là la même sérénité qu'au petit matin, alors que nous avions pris notre petit déjeuner, juste tous les deux. Avant qu'un petit vent coquin, un petit vent de folie ne nous embarque pour nous faire vivre cette journée à un tempo trépidant.

Je l'ai enlacée, mon menton appuyé sur son épaule. Nous contemplons la vue, celle que nous prenons toujours plaisir à admirer, chaque jour. Cette vue immuable. Ce pays m'a accueilli. J'y ai fait ma place. Je lui rends du mieux possible tout ce que j'ai pu recevoir. A commencer par l'amour de Layla.

Mon amour. Si belle avec ses cheveux d'or qui coulent sur ses épaules, ses perles mauves qui se posent aux mêmes endroits que mon propre regard, son sourire qui m'enchante et me charme.

Mon amour. Qui, aujourd'hui, est devenue ma femme.

**

Cela a commencé par une impressionnante file de voitures remontant de la vallée jusqu'à la place du village, sur le col. De voir tout ce monde se garer, puis sortir des véhicules, s'embrasser, se féliciter... Ca donnait un peu le tournis. Iona ne quittait pas Liliane. Maxime et Aglaé se glissaient le long de la salle des fêtes et se dirigeaient vers le chemin de randonnée du volcan. Heureusement que Julien les avait aperçus lui aussi pour mettre le hola à toute velléité d'exploration. Ce n'était pas le moment.

Les dernières voitures arrivèrent, le cortège se forma dans un joyeux tohu-bohu. J'attrapai la main de Layla, ses parents suivaient avec Iona, ma mère et Hans. Juste derrière venaient mon oncle et ma tante, puis le reste de la famille et les amis. Parmi eux, Laurent, son épouse et leurs deux enfants, Hugo et Emilie avec leurs petits bouts, Véronique et Sébastien avec leur deux filles. Bruno, Adèle et Jules qui s'était déjà fait des copains. Pauline et Julien, bras dessus dessous. Eux avaient officialisé les choses il y a deux ans, à la faveur d'un des déconfinements auquel nous avions eu droit.

La mairie d'Aizac était bien trop petite pour accueillir tout ce monde, aussi seule la famille proche, nos témoins et nous-mêmes avons pu nous y tenir. Mais les deux fenêtres de la salle commune étaient restées ouvertes afin que tout le monde puisse suivre la cérémonie. Véronique et Emilie étaient les deux témoins de Layla. Pour ma part, j'avais demandé à mes cousins de remplir ce rôle, ce qu'ils avaient volontiers accepté. La cérémonie fut brève, puis tout le monde remonta dans les voitures pour gagner Antraigues.

L'église était plus grande que la salle de la mairie, mais pas assez cependant pour accueillir tout le monde. Je crois bien que tout le village s'était rassemblé pour nous voir passer. Je n'étais pas croyant, mais j'avais accepté volontiers cette cérémonie religieuse, car c'était important pour Layla et ses parents.

A la sortie, nous avions passé au moins une bonne demi-heure à recevoir les félicitations de tout le monde. Puis tout le monde s'était rendu sur la place du village. Nous avions mis à contribution tous les restaurateurs d'Antraigues pour préparer un grand buffet. Chacun pouvait venir se servir à volonté.

En fin d'après-midi, les champions avaient profité que j'avais dû lever mon verre une fois de trop pour me demander de faire une partie avec eux. Je n'avais pas tiré bien droit et Layla s'amusait à me voir loucher vers elle plutôt qu'à calculer la distance du cochonnet.

Ce soir, la fête se poursuit. Un bal se déroule sur la place et on entend encore quelques échos de musique venir jusqu'à nous. Nous sommes restés un bon moment avec tous nos proches, amis et connaissances. Puis nous avons eu envie de remonter jusque chez nous, de nous retrouver juste tous les deux puisque Iona a obtenu l'extrême privilège de rester avec mon cousin et surtout avec ses deux filles.

Et c'est donc tout naturellement que nous passons un petit moment sur la terrasse.

La terrasse de cette maison héritée de Tantine. Maison qui est depuis le tout début le point d'ancrage de Layla et qui est devenu le mien, au fil des mois et même des années. Layla avait sa place ici, elle l'a retrouvée naturellement quand elle a relocalisé la production dans la vallée. Et j'ai trouvé la mienne, naturellement, dans ce village qui m'a accueilli et qui est devenu le mien.

Layla ne se lassera jamais de la vue que cette terrasse nous offre, et moi non plus.

Car ici, nous avons trouvé notre petit paradis.

Aux Auches.

FIN