Dans un petit grenier poussiéreux
La pluie avait nettoyé les pavés crasseux de la petite ville qui, la veille, avait connu de grandes festivités. Elle n’avait pas manqué au passage de s’infiltrer dans les toitures les plus vétustes.
— Ha ! C’est malin ça. Mon oreiller est trempé…
Un jeune garçon aux cheveux blonds essayait tant bien que mal de tordre un vieux coussin dont les plumes essayaient de s’échapper à chaque torsion.
— Laisse nous dormir Peter !
Un autre garçon aux cheveux noir cette fois-ci avait mis sa tête sous son oreiller afin ne plus entendre son camarade se plaindre.
— Mais c’est toujours moi qui dors près du trou de la toiture !
— Il fallait être plus rapide à la course.
— Vous avez triché.
— Arrêtez de vous disputer, bailla un troisième garçon beaucoup plus jeune.
— Mais…Je suis quand même le plus grand ! se plaignit encore une fois Peter.
— Justement !
Le garçon aux cheveux noirs lui lança son coussin sur la tête.
— Plus grand, plus bête, rigola-t-il.
— Evan ! Cria une voix féminine.
Une jeune fille plus âgée venait d’entrer dans le petit grenier.
— J’y crois pas ! Vous étiez encore en train de vous disputer. Et toujours en pyjama…Mais quelle bande de gros feignants.
— Élise ! Cria le plus jeune en courant vers elle.
Il savait jouer de son charme et de sa petite bouille d’ange.
— Bonjour Simon, tu as bien dormi cette nuit ?
— Beaucoup mieux qu’avant !
— Tant mieux. Elle regarda les deux plus grands et soupira. Je vais aller voir ce que je trouve à manger, tâchez d’être habillés à mon retour.
Elle referma la porte mais la rouvrit aussitôt.
— Ha, au fait, j’ai amené de quoi réparer le trou.
Elle désigna un petit seau où se trouvaient des planches puis referma à nouveau la porte.
Après s’être habillé, les trois garçons refirent leur lit et Evan apporta les planches à son aîné.
— Bon Peter, c’est ton tour alors c’est toi qui t’y colles !
— Evidemment…Marmonna-t-il
Tandis qu’il enfonçait les clous et tentait tant bien que mal de faire une réparation solide, les deux autres jouaient avec un vieux jeu de carte.
— Mon as prend ton roi !
— C’est pas juste, j’étais pas concentré ! Railla le plus jeune. C’est à cause de Peter, il fait trop de bruit !
— Allez par ici les cartes !
— Rhô.
Simon tendit ses cartes et l’autre joueur en piocha trois.
— Non, c’est pas vrai ! Tu m’as pris mes deux rois ! T’as triché, elles étaient sûrement écornées !
— Haha, mauvais joueur va. Tu verrais ta tête. Allez, tu as perdu donne-moi un bonbon !
Le benjamin du groupe fouilla dans ses poches et haussa les épaules. Il regarda sous son oreiller et fit la grimace.
— Alors, tu as oublié ta cachette ? plaisanta Evan.
— Ma cachette c’est mon ventre d’abord !
Il balaya la pièce du regard et attrapa une montre à gousset posée près de l’oreiller de son ainé.
— T’as qu’à prendre ça !
Il laissa la montre se balancer au bout d’une chaine.
— Simon ! C’est à moi ça !
Peter laissa tombé la planche qu’il tenait et couru vers Simon qui lança la montre à Evan sans trop regardé.
— Ne me lance pas ça dessus !
Il s’écarta et, par miracle, la montre tomba sur un oreiller. Peter s’empressa d’aller la récupérer. Une fois soulagée de la voir en un seul morceau il fusilla ses camarades du regard.
— Oh c’est bon Peter, elle ne marche plus ta vieille montre de toute façon. Un éclat de plus ou de moins, qu’est-ce que ça changerait ?
— C’est la montre de mon père, je vous interdis de la toucher ! Hurla-t-il avant de quitter la pièce en claquant la porte.
Il croisa Élise dans l’escalier mais ne pris même pas la peine de la regarder. Elle entra dans la pièce et regarda les deux autres garçons d’un air déçue.
— Qu’est-ce qui s’est passé encore ?
— Eh bien… Mmmh, il se pourrait qu’on ait joué avec sa montre et …
— Et qu’elle a fait un beau vol plané, ajouta Simon en mimant l’action.
Evan lança un petit regard en coin à Simon lui faisant comprendre de ne rien dire de plus.
— Ecoutez les garçons, vous savez très bien à quel point Peter tient à cette montre. Evan, montre un peu l’exemple et cesse de toujours le chercher.
Elle regarda vers le trou à moitié refait.
— Tiens, montre-moi que je peux te faire confiance. Achève donc de réparer le trou.
Evan attrapa la planche et le marteau et s’approcha du toit.
— Et fait ça bien, d’accord ?
— Oui, promis Élise ! Répondit-il avec un petit sourire.
La jeune fille sortie et retrouva Peter assis sur le toit, surplombant la ville.
— Ils m’énervent…
— Je sais bien Peter mais au fond ils t’aiment beaucoup.
— J’en suis pas aussi sûr que toi moi…
— Tu sais bien qu’Evan est un vrai boute-en-train et que Simon l’adore, alors il l’imite.
Elle regarda le garçon qui serait la montre au creux de sa main et posa la sienne dessus.
— Je suis sûr que tu le retrouveras.
— Elle lui adressa un sourire qu’il finit par lui rendre.
— Allez viens, on va allez manger sinon il ne restera peut-être plus rien.
Peter fit un petit signe de tête et suivit Élise jusque dans le grenier qui leur servait de chambre.
L’endroit dans lequel vivait les trois garçons n’étaient pas très spacieux, ni des mieux entretenu mais, ils avaient tout de même un endroit où vivre. Un petit grenier pour dormir et une petite salle d’eau sous l’escalier. Le passage avec le rez-de-chaussée, autrefois utilisée comme petit commerce, avait été condamné et ils devaient passer par une porte située à l’arrière du bâtiment pour rentrer discrètement dans leur cachette. C’est Élise qui s’était chargée de leur trouver un toit, ils n’avaient jamais posé trop de questions à la jeune fille, trop contents de ne pas devoir dormir à la rue entouré d’ivrognes aux intentions douteuses.
Une fois la porte passée, Peter s’arrêta et regarda le trou réparé avec soin, il tourna la tête vers Élise qui lui sourit comme pour signifier « Tu vois, j’avais raison. »
— Je… je suis désolé Peter.
Evan s’excusa rapidement puis donna un petit coup de coude à Simon.
— Ah… oui pardon d’avoir joué avec tes affaires !
— Bon, je pense que l’affaire est réglée non ?
Élise regarda vers Peter qui fit un petit oui de la tête.
— Et si nous passions à table ? Je vous ai apporté du pain et quelques tranches de fromage.
Simon aida la jeune fille à faire les tartines et tous mangèrent avec appétit, sauf Élise qui ne partageait que rarement un repas avec eux.
— Je vais devoir vous laisser. Elle regarda sa montre avant de la remettre dans sa poche. On se retrouve près du marché vers 17h ?
Elle quitta le petit grenier espérant qu’ils ne se chamailleraient pas dès qu’elle aurait le dos tourné. Elle fit bien d’espérer, ni Evan, ni Simon n’embêtèrent leur aîné. Après avoir fait un peu de ménage, ils sortirent prendre l’air en direction du port.
Sur le chemin, ils discutèrent de tout et de rien. Enfin, c’est surtout Simon qui discutait le plus. Soit il posait des questions, soit il répondait lui-même par des réponses farfelues à des questions qu’il s’était posées.
— De toute façon, moi quand je serai grand, je me marierai avec Élise !
— C’est beau de rêver haha !
Evan frotta la tête du blondinet en rigolant. Peter se contentait d’écouter et de répondre quand on lui parlait.
Ils passèrent devant quelques petites échoppes vendant des fruits et des légumes et Evan en profita pour chaparder une pomme ni vu ni connu.
— Evan ! S’écria Peter.
— Oh, il faudra que tu m’apprennes ça, s’enthousiasma le cadet.
— Élise nous donne déjà à manger, n’entre pas dans ce petit jeu tu sais que ça pourrait mal finir !
— D’accord monsieur « je suis un sage comme une image », je vais la remettre.
Il fit quelques pas sur le côté puis croqua dedans.
— Ah bah mince trop tard, je ne vais pas remettre une pomme abimée, autant la manger maintenant !
Peter soupira tandis que les deux autres pouffaient de rire devant lui tout en mangeant la pomme qu’Evan avait coupée en deux en empruntant discrètement un couteau à un marin qu’ils croisèrent.
Ils finirent par arriver au port, où un grand bateau était amarré. Peter s’arrêta net en voyant le bateau. Des souvenirs de son enfance le submergèrent à la vue de celui-ci.
*
A cette époque, Peter menait une vie remplie d’amour et de joie entouré de ses parents et de sa petite sœur adorée, Garance. Ils habitaient une belle grande maison, Peter se revoyait très bien courir dans les jardins après son petit chiot, un Welsh Terrier, appelé Pumkin. Le choix de ce nom remonte au jour de son adoption. C’était une journée d’automne ensoleillée. Peter, après avoir longuement hésité, avait jeté son dévolu sur ce petit chiot. Sur le chemin du retour, il tenait fièrement dans ses bras, le sourire aux lèvres tout en cherchant un nom avec l’aide de son père. C’était sans compter sur la vivacité du petit chien qui, profitant du manque d’attention de son jeune maître, sauta et couru à travers un champ de citrouille. Monsieur Sutton lui avait couru après pendant 10 longues minutes. Il revint finalement de lui-même avec une petite citrouille dans la gueule, qu’il déposa fièrement au pied du petit garçon, tout en remuant la queue. Peter n’hésita plus quant au nom qu’il donnerait à son meilleur ami.
Cependant, tout bascula quand il avait 10 ans. La petite famille était partie durant un mois à Paris, séjourner chez la sœur de Madame Sutton. Quand vint la fin de leur vacances en France, Mademoiselle Hayes raccompagna sa sœur et sa famille jusqu’au port et ils se quittèrent sur des embrassades, parlait déjà à leur futurs retrouvailles. Le sifflet du Saint-Honoré II retentit et celui-ci s’éloigna petit à petit de la terre ferme, jusqu’à ne devenir plus qu’un point à l’horizon.
Durant le trajet, Peter jouait avec sa sœur sur le pont.
— Attends-moi Peter ! Peter !
— Viens, Garance.
Il lui attrapa la main et ils coururent jusqu’à l’avant du bateau.
— C’est Tigry le capitaine, c’est lui qui va donner les ordres.
La petite fille secoua la peluche de tigre que sa tante lui avait ramené de son voyage en Inde.
— On va tous sur le pont, parce que les vilains pirates ils arrivent.
— D’accord capitaine, répondit Peter avec le plus grand sérieux.
— Oh mais on dit que c’est toi le pirate alors !
— D’accord, mademoiselle, dit-il d’une voix plus grave. Je suis le capitaine barbichette et vous allez me donner votre trésor capitaine Tigry !
— Jamais vilain barbichette !
— En garde !
Peter mima un mouvement d’épée et ils se mirent à courir un peu partout sur le pont sous le regard bienveillant de leurs parents.
Soudain le vent se mit à souffler un peu plus fort.
— Peter, on rentre s’il te plaît.
— D’accord, viens.
Ils retournèrent à l’intérieur et le bateau se mit à tanguer de plus en plus. Garance serra sa peluche tout contre elle.
— Tigry n’aime pas quand ça bouge.
— Ne t’en fais pas ça va aller.
Ils trouvèrent une petite pièce à l’abri du vent et s’y blottirent. Peter racontait des histoires à sa sœur pour qu’elle ait moins peur. Ils finirent tous les deux pas s’endormir.
Le vent souffla de plus en plus fort, sifflant sous la porte. La mer devint encore plus agitée et des vagues commencèrent à déferler sur le pont. Un bruit sourd venant de la cale du bateau, réveilla Peter qui se leva d’un bond. L’eau avait commencée à pénètre leur cachette.
— Garance réveille-toi, il faut sortir d’ici.
Elle se frotta les yeux et attrapa la main que son frère lui tendait. Une fois sur le pont, elle s’agrippa à lui. C’était une scène de cauchemar. Les vagues s’abattaient sans trêve sur le bateau et le ciel sombre était éclairé de temps à autre par la foudre.
— Peter, je veux voir papa et maman.
— On va les trouver viens.
Le garçon attrapa un gilet de sauvetage qu’il mit à sa petite soeur. Ils avancèrent prudemment sur le pont désert et, entendant des voix, s’approchèrent du bord.
— Et les enfants, venez pas ici.
Un homme portant des rayures leur fit signe en contrebas, depuis un canot.
— Vas-y, Garance. Je suis derrière toi.
Il aida sa petite sœur à rejoindre l’embarcation.
— Peter, monsieur Tigry !
Il regarda autour de lui et vit la peluche gisant dans une flaque d’eau salée.
— Il est là, je vais le chercher et je reviens.
Il ramassa la ramassa et s’approcha à nouveau du bord quand une grosse vague vint heurter le bateau. Frappé de plein fouet par celle-ci, Peter se redressa et se frotta les yeux tout en toussant.
— Peter !!!
La vague avait éloigné le canot au loin et déjà, les silhouettes s’estompèrent, emportées par les flots.
— Ne me laissez pas !!!! Hurla-t-il dans la tempête, les cheveux dégoulinant.
Alors que, jusqu’à présent, il avait fait preuve de beaucoup de sang froid, il se mit à hurler et se laissa tomber contre la rambarde. Ses cris devinrent des sanglots. La foudre vint frapper le mât qui s’effondra sur le pont. Peter se souvint très bien des secondes qui suivirent. Il s’était précipité vers un tonneau qu’il lança à la mer et dans lequel il se réfugia.
*
Peter revint à lui quand un le bouscula, faisant tomber ses papiers.
— Excusez-moi monsieur, dit-il penaud tout en quittant le bateau des yeux.
Il se baissa et l’aida à ramasser ses prospectus.
— Ce n’est rien mon garçon, je n’ai pas regardé où j’allais.
En se relevant, le garçon vit une bourse accroché à la ceinture de l’homme. Il la regarda pendant un petit moment avant que son propriétaire, s’en étant rendu compte, ne lui mette une de ses feuilles devant les yeux.
— Tiens prends en un, si tu ne sais pas quoi faire, viens donc faire un tour au cirque.
Il attrapa le prospectus et lui redit ceux qu’il avait ramassés.
— Merci et à bientôt peut-être.
— Attendez, monsi…
Bien trop pressé, l’homme s’éloigna et repris sa distribution à travers la foule.
— …sieur… soupira-t-il tout en le regardant aborder des gens avec ses feuilles.
Il analysa le papier en question d’un peu plus près. On pouvait lire, écrit en lettre d’or « Cirque bonne étoile, là où tout peut arriver. »
— Et si … pensa-t-il avant de secouer sa tête de gauche à droite. Je dois en avoir le cœur net.
Il plia soigneusement le tract qu’il mit dans sa poche et courut à travers la foule pour tenter de retrouver l’étrange personnage. Il n’était déjà plus là. Peter regarda une dernière fois autour de qui avant de se décider à rejoindre ses camarades au lieu de rendez-vous.
— Et bah dis, donc tu en as mis du temps ! Le temps de manger un dizaine de pommes non ? Le taquina Evan.
— Mais non, je ne suis pas un voleur moi !
— Mouai, rien ne nous le prouve…
Peter décida de ne pas répondre à ses provocations. Il sortit le papier de sa poche et Simon pencha la tête tout en le lisant à haute voix.
— Il faut que j’y aille !
— Oh oui, moi aussi je veux y aller. S’enthousiasma le plus jeune. Ça va être amusant.
— Je n’y vais pas pour m’amuser. Je dois retrouver l’homme qui m’a donné ce papier.
— Pourquoi ? Pour qu’il t’engage comme clown ? Tu ferais surement fureur, haha, moi je viendrai te voir tous les soirs. Ricana le second
— Mais non, je …
Evan ne lui laissa pas le temps d’en dire plus. Bien trop occupé à imiter Peter faisant le clown. Il lui prit l’affiche des mains et monta sur une caisse tout en l’agitant.
— Qu’est-ce qui se passe encore ici ! Gronda une voix féminine.
— Élise, ils sont encore en train de se chamailler, se plaignit le blondinet.
— Donnes moi ça Evan.
Il redescendit de son perchoir et donna le tract à la jeune fille puis il s’assit en tailleur.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Le prochain emploi de Peter, pouffa-t-il.
Celui-ci le regarda du coin de l’œil tout en faisant la moue.
— Peter ? Tu m’expliques s’il te plait ?
Elle posa sa main sur son épaule et il prit une grande inspiration avant de se mettre à parler.
— Eh bien, tu vois, tout à l’heure quand j’étais sur les docks … L’homme qui m’a donné cette feuille, il … enfin, tu vois je …
Il ne savait pas par où commencer.
— Il a fait tomber ses feuilles et j’ai vu la bourse accroché à sa ceinture.
— Elle était bien remplie au moins ? Tu as réussi à la lui prendre ?!
— Chut, Evan !
— Pfff
— Donc, euh, oui, l’homme. Eh bien, sur sa bourse était brodé le même blason que celui sur ma montre.
— C’était ton père ? Se réjouis Élise.
Non, je l’aurais reconnu, répondit-il tristement. Mais il a peut-être travaillé pour lui, il a peut-être des informations sur lui, il pourra sûrement m’aider ! J’aurais voulu lui parler là-bas mais je n’en ai pas eu le temps…
Élise regarda le prospectus.
— Et donc, tu veux allez au cirque pour essayer de le retrouver ?
— Oui, avoua-t-il timidement.
— Et bien dans ce cas, nous irons tous les quatre au cirque !
— Oh, oui ! S’écria Simon qui se mit à sautiller partout.
— Je vais voir si nous pouvons y aller, hmm, disons … Demain soir !
— Merci Élise !
Peter ne put s’empêcher de retenir un large sourire.
— D’accord va pour une sortie au cirque, conclut Evan.
Ils se promenèrent à travers les échoppes du marché et se quittèrent vers 17h45, là où ils s’étaient donné rendez-vous.
Ce soir-là, Peter eut du mal à trouver le sommeil. Il ne pouvait s’empêcher de contempler sa montre, éclairée par les rayons de lune qui s’infiltraient par la petite lucarne du grenier.
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