Chapitre XI

3 minutes de lecture

  La pluie tombait drue et froide, formant des flaques par endroit, que Lucrèce essayait d'éviter pour ne pas abîmer ses bottines neuves. Toute de noir vêtue selon son habitude, la journaliste replia son parapluie en pénétrant dans le hall de l'hôpital Ronald Reagan de Los Angeles. La chaleur bienfaisante du hall tranchait avec le froid peu habituel à L.A. même pour un mois de février. Le hall d'accueil était bondé, mais coup de chance, elle vit passer l'infirmière qui s'occupait du service d'oncologie dans lequel la vieille dame était soignée :

  — excusez-moi, je viens voir madame Manson, nous nous sommes vues avant-hier et sommes convenues d'un rendez-vous aujourdhui à quinze heures.

  — Je me souviens de vous en effet, vous êtes la journaliste ?

  — C'est bien ça, je suis Lucrèce Dante, je travaille pour plusieurs revues et magazines scientifiques et votre patiente souhaite me transmettre des informations sur son séjour en Antarctique il y a trente ans.

  — Je vais vous conduire à sa chambre. Cependant, vous ne devez pas la fatiguer, elle a été transférée dans le service de soins palliatifs et d'après le professeur Lecter qui la suit, son cancer évolue défavorablement. Nous pensons qu'il ne lui reste que quelques jours, ou une semaine, tout au plus. Depuis que son compagnon est décédé, elle a perdu cette force de caractère qui nous donnait l'espoir de la voir s'en sortir. Elle n'a que soixante-six ans, mais en paraît quinze de plus.

  Elle poussa un soupir avant de reprendre :

  — voilà, nous y sommes ! Bonjour Norma, je vous amène une visiteuse, passez un bon après-midi.

  L'infirmière a raison, pensa Lucrèce, la maladie lui a volé son âge. Seuls les yeux bleu-acier qui la scrutaient semblaient vivants. Toute la force, l'intelligence et la volonté de la vieille dame semblaient concentrées dans ce regard. Son visage ridé avait pris une teinte olivâtre et son crâne lisse, dépourvu de la belle chevelure blonde qu'elle possédait encore avant le cancer, mettaient la journaliste mal à l'aise.

  D'une main amaigrie dont l'aspect rappelait un vieux parchemin, Norma lui fit signe d'approcher. Elle prit un grand verre à demi rempli d'eau et en but une gorgée afin de s'humecter les lèvres avant de rompre le silence qui devenait pesant :

  — Asseyez-vous, je vous prie, j'ai beaucoup de choses à vous raconter, je crois qu'il ne me reste plus beaucoup de temps – et baissant la voix, elle ajouta – il s'agit d'un secret d'état bien gardé, j'espère que vous aurez la possibilité de le publier.

  — Afin de disposer de l'intégralité de vos révélations, je vais les enregistrer, sachez que je ne divulgue jamais mes sources afin, le cas échéant, de les protéger d'éventuelles poursuites.

  — En ce qui me concerne, vous pourrez me citer à l'appui de vos dires, là où je serai, je ne craindrai plus les poursuites !

  Lucrèce lui adressa un sourire, mais s'abstint de répondre à cet humour macabre. Elle mit en marche son petit dictaphone quelle plaça à proximité de la malade alitée qui raconta alors les événements qui avaient eu lieu sur la terre de Mary Byrd en Antarctique. Son long récit débuta par l'éruption volcanique du mont Andrus, pour parvenir à la découverte du vaisseau alien, les combats contre celui-ci qui avaient abouti à l'auto destruction du vaisseau, à la mort de son mari ainsi que de ses derniers compagnons d'armes à l'exception de Norman Gacy qu'elle avait pu ramener blessé, mais vivant, à la station Byrd, après une pénible odyssée en motoneige.

  La journaliste écouta le récit rapporté, sans prononcer le moindre mot ni émettre le plus petit doute. C'était la stricte vérité, au fond d'elle, elle le savait, bien que jamais la moindre information sur ces aliens n'ait été divulguée.

  Après avoir bu un peu d'eau, Norma poursuivit et expliqua que les autorités lui avaient enjoint de taire ces faits pour des raisons de sécurité nationale. Un gros hélicoptère militaire est venu les chercher pour les transporter sur un navire de la Navy qui les ramena à San Diego. Le black out le plus total fut imposé sur cette affaire, une version officielle annonça la mort de ses compagnons à la suite d'une nouvelle éruption du volcan qui fit exploser le site du chalet. Lequel fut d'ailleurs transformé en base militaire, camouflée en mission scientifique permanente, le continent étant une zone internationale démilitarisée. Et personne n'a jamais su que des extra-terrestres s'étaient crashés sur terre et que l"un d'entre eux avait massacré treize personnes avant de détruire totalement son vaisseau.

  Lorsque Norma eut terminé, Lucrèce éteignit son dictaphone, le rangea au fond de son sac, puis ouvrit la bouche pour remercier celle qui allait lui permettre de faire un bond énorme dans sa carrière. Cependant, en relevant le visage, elle s'aperçut qu'elle ne pourrait plus le faire ; sa mission enfin achevée, Norma avait fermé les yeux pour ne plus jamais les rouvrir.

~~~~~~~~

Ad'H & JI 11/10/20

Annotations

Vous aimez lire Jacques IONEAU ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0