Sur le bord de l'événement

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Ne le serions-nous pas et alors nous serions sortis de ces étranges représentations, nous serions ailleurs qu’en leur belle rhétorique. Si notre thèse est logique (et il faut qu’elle le soit), en toute rigueur nous dirons que le sublime, à l’instar du paysage qui le sécrète, c’est nous qui le fondons et lui donnons essor. Essentiellement de deux manières. Ou bien nous inclinons à une attitude apollinienne teintée de réserve, allouée au calme, longuement méditative et alors nous serons dans la photographie situé à l’incipit de cet article où tout semble reposer dans la sérénité, où la nature elle-même est empreinte d’une douce poésie, non encore saisie du rythme du temps, en attente, sur le bord de l’évènement. Ou bien nous sommes pris dans une sorte de bouillonnement dionysiaque, de turbulence et alors, avec Caspar David Friedrich nous serons face à un spectacle grandiose, à des éléments en mouvement, à l’effervescence blanche des nuages, à la majesté des pics pareils aux arêtes des glaciers. Mais peu importe la nature à laquelle s’abreuve le sublime. Ce qui demeure essentiel c’est la trace déposée à la manière d’un vivant sédiment dans la conscience humaine. Ces moments de recueil, jamais ne s’effacent, qu’ils soient liés au repos ou à la puissance. Et ils s’oblitèrent d’autant moins que c’est nous qui les avons amenés à leur déploiement à la seule force de notre regard. Ce pouvoir, cette condition de possibilité strictement humaine est, bien évidemment, une des composantes, peut-être la plus inaperçue, la plus secrète de la sublimité, mais ô combien fondatrice d’un sentiment d’exister, parfois avec ivresse.

Certes l’homme crée le paysage mais est, en retour, créé par lui. Comme si tout sens n’était que le passage d’une réalité à une autre, d’une relation à une autre, une transitivité, une mobilité, un échange, l’intervalle à combler entre deux mots que leur autarcie réduirait à néant. La phrase ne prend son effectivité réelle qu’au principe de l’enchaînement des mots. Les mots, isolés, abstraits de leur contexte, sont immanquablement atteints de vacuité et résonnent comme les gouttes d’eau qui, se détachant de la margelle d’un puits, se précipitent dans un abîme sans fond. Du lexique épars qui nous est confié, il faut faire une syntaxe, élaborer une sémantique, puisque, aussi bien, nous sommes langage et sans doute que cela. Oui, nous sommes cette médiation de nous-mêmes aux autres, des autres à nous-mêmes. Tout autre essai d’exister en dehors de se sublime balancement, de cette immémoriale oscillation serait voué aux gémonies. Nous ne sommes qu’un balancier entre deux pôles identiquement fascinants, naissance et mort en tant qu’accomplissement des projets-jetés que nous sommes. Là est la plus belle aventure de notre condition. Il suffit d’en écrire la légende.

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