Lettres à l'Humanité - De notre côté joueur
Lettres à l'Humanité
De notre côté joueur
"Dieu ne joue pas aux dés !"
Il avait était drôle d'entendre Einstein prononcer cette phrase. Bien sûr, tous avaient compris qu'il n'était jamais question de Dieu lors de ses raisonnements, mais plutôt de la nature et de ses manifestations. Einstein était un fervent athéiste mais se laissait parfois aller au jeu de la personnification des phénomènes physiques lorsqu'il sentait juste d'extérioriser ses pensées avec cynisme.
Ça avait été drôle, puisque, au-delà du fait que l'un des plus grands cerveaux de la science fasse référence à la divinité, la communauté scientifique mondiale avait pour habitude ni de se soucier de la question religieuse (sauf pour la démentir), ni de se résoudre à accepter le hasard pour des questions de phénomènes existentiels (tels que, en l'exemple présent, le statut du spin d'un électron au moment de la mesure).
C'est vrai ; pourquoi diable accepter le fait que l'état de quelque chose d'aussi élémentaire qu'un électron ne soit décidé qu'au moment de la mesure humaine ? Il ne s'agissait même plus de "savoir" au moment de la mesure, mais de dire que la mesure, elle-même, forçait l'électron à se décider entre deux états.
"Dieu ne joue pas aux dés !"
Ce qui est drôle, aujourd'hui, c'est que c'est la nature qui prend la mesure. Aujourd'hui, Dieu veut savoir si nous jouons aux dés.
On nous force à choisir entre plusieurs états d'humanité : celle qui redresse la barre, celle qui coule avec le bateau, celle qui panique en voyant son Eden prendre feu, celle qui lui dit au revoir en s'envolant avec tout ce qu'il faut pour brûler d'autres jardins.
Je pense que notre race a décidé d'une chimie instable résultant des seconde et quatrième options. Je pense que nous avons construit un gros bateau dans lequel mourir confortablement. Et je pense que nous laissons un berger à la barre, nous amener vers le cimetière galactique de sa préférence.
Un berger immortel, un berger potentiellement plus intelligent que toute forme de vie jamais imaginée dans notre Univers, un berger qui ne s'embarrasse pas de la malédiction de la chair.
Un berger pas assez con pour se soucier de quelques millions de chèvres.
Dieu veut savoir si nous jouons aux dés, et nous répondons par un hold'em, un hold'em foireux où l'on tient un deux de trèfles et un sept de cœurs dans la main, en laissant l'Autre regarder par-dessus notre épaule, mais sans jamais nous coucher.
Notre seul espoir est que Dieu ait envie de pisser pour qu'on puisse échanger les cartes.
Paul Schreiber,
sur l'Arche,
13 mars 2144.
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