Made in china.
Je suis un cadeau de grand-mère. C'est bête, quand même, comme vie, pour un objet. Si j'avais été un objet de grand-mère, j'aurais eu une histoire, j'aurais eu un sens.
Mais non. J'étais un cadeau de grand-mère, un de ces cadeaux nuls, qu'on pose dans un coin et qu'on oublie. Un attrappe-poussière un peu bête.
Je suis une petit statuette d'angelot, du pur made in china. Je suis le troisième petit ange de ce genre qu'elle reçoit, la petite ; et pas son préféré. Il y en a d'abord eu un, assis sur une pierre, yeux baissés, qu'elle a posé sur son bureau ; puis un deuxième, son préféré, celui qui porte un chat dans ses bras ; elle l'a posé sur l'étagère à DVD. Parfois, elle le regarde, et elle sourit. C'est vrai que cet ange-là lui ressemble un peu. Les même cheveux bouclés. Et presque le même chat.
A moi, elle n'a jamais prêté beaucoup d'attention. Le premier jour, elle m'a posé sur la bibliothèque. Le deuxième, je prenais la poussière. Le troisième, elle m'a fait tomber en cherchant un livre.
J'étais une petite statuette d'ange en robe blanche, les bras tendus devant moi ; d'une main je tenais une bougie, de l'autre, j'en protégeais la flamme. Mon bras gauche, celui à la bougie, fut cassé en deux. La bougie fut jetée, et tout ce que je protégeais désormais, c'était mon moignon de pierre.
Elle m'avait reposé sur l'étagère malgré tout. Et je pouvais la voir, chaque jour. C'était une fille renfermée, pas particulièrement joyeuse, pas particulièrement triste. La vie lui faisait peur, parfois. Elle ne sait pas où elle va, mais elle est jeune. Elle aime. Elle rougit, parfois, en regardant son téléphone ou son ordinateur. Je ne l'ai jamais vu, l'élu. J'aimerais bien. Je suis un petit angelot curieux. Mais elle n'a pas besoin de moi.
Moi, je reste sur l'étagère et je regarde le temps passer en prenant la poussière. Un an. Deux ans. Elle grandit. Elle ne fait pas grand chose. Elle est assez travailleuse. Elle est assez seule. Elle est beaucoup de chose, modérément, elle laisse couler le temps.
Cinq ans, dix ans. Elle est partie de chez elle. Aujourd'hui, elle revient.
Sa grand-mère est morte et elle est seule. Elle est là pour l'enterrement.
Ca faisait si longtemps qu'elle ne l'avait plus vue, sa grand-mère. Elle l'aimait bien, au fond. A l'enterrement, elle réalise qu'elle la connaissait peu, si peu. Elle est pensive. Toute ces histoire, toute cette vie dont elle vient d'entendre parler, de rires, de souffrances, de bêtises, elle n'en savait rien. Elle est encore jeune, et naïve. Entre sa maison familiale et sa vie, elle est un peu perdue. Elle veut partir et elle ne trouve rien. Elle m'attrappe et me retourne pour voir le nom que m'a donné le fabriquant.
« Angel of hope ». Elle aimerait bien en avoir un peu plus, de l'espoir. Elle me tient toujours, elle sourit un peu. Elle trouve ça mignon, comme cadeau. Mais il est trop tard pour y songer.
Elle est partie désormais, elle s'efface doucement de la maison familiale, habits après habits, meuble après meuble. Et moi, je reste dans une chambre vidée, et j'observe les posters qu'elle avait collé pour ne pas avoir à faire face au vide d'un mur blanc.
Je suis un ange au bras cassé dans une chambre vide. Je n'évoque aucun souvenir hormi une bougie perdue et une rencontre manquée.
Et pourtant j'étais là.
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