Saut à ski
Quand je passe devant ce trophée, je ressens toujours un pincement au cœur que je préfère cacher. Malgré ce sentiment oppressant, celui d'une nostalgie non désirée, je continue de lever la tête chaque matin et de poser mes yeux vides sur cette paroi dorée, reflétant mon reflet livide.
Je n'ai plus accès aux hauteurs de cette étagère où mes succès d'antan sont étalés. Une femme de ménage vient une fois par semaine tout nettoyer, passer le chiffon sur ces vieux trophées poussiéreux.
Je n'ai plus la possibilité d'espérer en gagner de nouveaux, mon corps étant coincé dans ce fauteuil roulant depuis ce fichu accident. Je me remémore souvent cet instant, celui où je me trouve presque au niveau des nuages, debout, fier, sur mes deux skis de compétition. N'entendant aucunement les cris d'encouragement de la foule qui m'attend bien plus bas, pris dans un tourbillon d'adrénaline lorsque je dévale la pente, que je glisse encore et encore prenant cette vitesse de plein fouet qui fait tant battre mon coeur.
Mon esprit, empli de sensations fortes, de pensées victorieuses et je dévale la piste à toute allure jusqu'au rebord de cette route, me permettant de m’envoler dans ce ciel bleu infini de janvier 1983.
La sensation vertigineuse d’une chute plutôt lente et rapide à la fois, l’air qui s’engouffre jusqu’au dernier centimètre de mon épiderme, contractant tous les muscles de mon corps athlétique.
Les cris de ces inconnus m’acclamant comme le Messi avaient le don de raviver en moi une flamme, une flamme maintenant éteinte depuis bien longtemps.
J'étais prêt, j’en avais l’habitude, je connaissais tous les mouvements, comment bien retomber, la puissance de la gravité, le choc mais je n’avais pas prévu une seule petite donnée… Celle de m’évanouir à l’instant où mes pieds toucheraient cette neige blanche tant appréciée.
Un réveil brutal dans un lit d’hôpital. Un médecin sans empathie annonçant la grande nouvelle, tant redoutée.
- Monsieur Clart, votre moelle épinière a été touchée lors de votre accident en ski. Nous avons fait de notre mieux, mais j’ai le regret de vous apprendre que vous serez désormais dans l’incapacité de marcher.
Ce n’était plus une peine, c’était une mise à mort. Je ne pourrais vous dire mon ressenti à l’entente de ces mots. Peut-être était-ce de la colère, de la pitié, du regret, de la haine, de la peur, de l’incompréhension et de l’anxiété, ou même tout cela à la fois. Je ne sais plus.
Je suis resté planté là, couché sur ce foutu lit au matelas dur, l’écoutant me marmonner des choses que je ne pouvais entendre, du moins que mon cerveau avait décidé de ne pas enregistrer.
C’est après plusieurs mois de rééducation que j’ai pu enfin rentrer chez moi, dans un fauteuil roulant. Cette glisse, était tellement différente, ce béton dur et gris, ces petites roues fragiles ayant même du mal à passer par-dessus un petit caillou, la lenteur à laquelle j’avançais faisait désormais allusion à mon présent et à mon futur devenu si ennuyeux.
Les regards des gens transpirant de pitié à mon égard, n’avaient rien à voir avec les yeux pétillants des admirateurs de mes moments de gloire.
Seuls quelques médailles et trophées sont entreposés comme des trésors dans ce hall d’entrée afin que chaque jour, je puisse me souvenir de qui je suis, et non pas de celui que je suis devenu, un lâche, un faible, un incapable, un handicapé, rêvant d’une seule chose, pourtant pas si simple. La victoire.
Annotations
Versions