De ma dernière demeure...
(Cap Vert - Fogo - Sao Filipe - Cimetière des Blancs)
De ma dernière demeure, au loin j’entends la mer,
L’océan déchiré… pour moi plus de tourments
Car mes os, ici-bas, ne sont plus que poussière
Mon âme : un chant lugubre porté par l’harmattan
Sous mon ombre, le sable, aussi noir que la lune
Des éclats de diamant en font un tapis d’or
Ils se mêlent à mon corps, en parsèment la dune
Et leurs reflets dorés me transforment en trésor
Ma vie a été belle, mon existence faste
J’ai connu les palais... une vraie vie de sultan !
J’ai reçu les traitements dignes des gens de ma caste
Dîné aux meilleures tables, bu des vins pétillants
J’aurais dû, il est vrai, avoir la meilleure place
Celle qui regarde tout droit, là-bas vers l’horizon
Mais c’eût été compter sans la bêtise crasse
Des conjureurs de sort, des donneurs de leçon
J’ai péché pour l’amour, voilà ma triste histoire
D’un être beau comme un dieu, qui m’a mis à genoux
Il avait deux défauts : être né homme et noir
De mes pairs ulcérés, j’ai connu le courroux
Pour lui j’ai tout quitté : amis, femme et enfants
J’ai perdu mon honneur, on m’a ôté mes droits
Si c’était à refaire, je le referais pourtant…
Pour revivre la passion, ne serait-ce qu’une fois
Alors je repose là, hors de la citadelle
Près du cimetière des riches, mais pas vraiment dedans
Mon monument à moi, à nul autre n’est pareil
Pas de fleurs, de couronnes, ni plaque de marbre blanc
C’est vrai, je ne profite pas de la vue la plus belle
Les remparts m’en empêchent, le mur barre l’horizon
A défaut de la mer, je regarde le ciel
Mais j’me dis que les autres, au fond, sont en prison
Je n’ai pas droit non plus aux visites des touristes
Qui viennent parfois chercher, dans le cimetière, un peu d’ombre
Mais ceux qui m’réconfortent et me rendent moins tristes
Ce sont les chiens errants qui dorment sur ma tombe
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