Chapitre 2
Je me réveille doucement et comme chaque matin, me demande où je me trouve en fixant les poutres de bois au plafond. Puis, ça me revient. La longue route jusqu’ici. Mes sacrifices. Nos sacrifices. La maison. Ma nouvelle vie. La mer. Cette impression d’être loin de tout. Le bonheur. Tom.
Je me retourne. Le lit est vide à côté de moi. Il est déjà réveillé. C’est un lève-tôt, contrairement à moi. Il dit qu’il n’aime pas passer la moitié de sa journée à dormir. Qu’il a tant de choses à faire. Je comprends, mais j’ai besoin de plus de sommeil. Il comprend aussi. Un bref coup d’oeil au réveil. Dix heures. Passe encore, j’ai déjà fait bien plus tard. Je m’extirpe hors du lit et de son matelas dur, enfile un large t-shirt et sors déjeuner dehors.
Comme chaque matin, la table est mise. Le pain frais maison est déjà tranché. Ma tasse de thé, prête à être bue. Depuis que je suis ici, je ne dois me soucier de rien. Tom devance tout. Me comble. A toujours de délicates attentions pour moi. Ici, plus que jamais je ne l’ai été, je me sens en sécurité. Et je me dis que tout quitter valait peut-être la peine finalement. L’avenir nous le dira. Sûrement. J’espère.
La mer semble calme aujourd’hui. Une légère brise souffle et fait chanter le vieux saule pleureur qui trône au milieu du jardin. Je bois mon thé doucement en regardant l’horizon. La mer qui s’étend à l’infini. Aucun obstacle pour l’arrêter. C’est beau. Ça me fait peur, tout cette eau qui est tantôt calme, tantôt agitée. Elle semble incontrôlable. Elle l’est, je crois. Je ne l’avais vue qu’une seule fois dans ma vie avant d’arriver ici. Quand j’avais six ans. Je m’en souviens à peine à vrai dire. Je ne possède aucune photo de ce séjour, seulement des lointains souvenirs influencés par ce que l’on m’a raconté. Mes parents n’étaient pas trop vacances. Ils travaillaient toute l’année et ne s’autorisaient que très rare-ment une semaine de congé. Et encore, c’en était jamais vraiment. Ils avaient toujours leur ordinateur, leur téléphone à proximité. Ils vérifiaient leurs mails à longueur de journée. Et moi, j’étais là. A lire des livres scientifiques ou de grands classiques de la littérature. « Il faut que tu t'instruises », disaient-ils. Je voulais qu’ils soient fiers de moi, alors je le faisais. J’ai lu des centaines de livres pour adultes quand j’étais encore en âge de lire des histoires imagées et innocentes. Je m’asseyais sur la terrasse et lisais ces énormes bouquins aux termes bien trop compliqués. Et lorsque j’avais fini, ils me posaient des questions afin de s’assurer que j’avais effectivement bien tout lu. Dès que j’ai pu, j’ai quitté la maison. Je ne me voyais pas passer ma vie auprès d’eux. Pour mes études, il fallait que je m’éloigne. Que je découvre la vie, la vraie. J’ai choisi de faire hôtellerie. Quand je leur ai annoncé mon choix, ils se sont fâchés. M’ont dit qu’ils étaient déçus. Que ce n’était pas un bon métier. Tout ce qu’ils m’avaient appris ne servirait à rien. Mais je savais que tout ce qu’ils disaient était faux. Je ne voulais et ne pouvais les croire. C’est pour ça que je suis partie. Oh bien sûr, je revenais de temps à autre les voir. Manger avec eux. Mais ce n’était plus pareil. Je sentais bien qu’ils étaient déçus. Qu’ils avaient presque honte de moi. Leur fille unique ne deviendrait pas une ingénieure, ou une scientifique renommée ? Malheur ! Alors mes visites se sont faites de plus en plus rares jusqu’à ce que les ponts soient totalement coupés et que le maigre fil qui me reliait encore à eux soit rompu. Et là, c’est devenu compliqué. Vraiment compliqué.
Et désormais, je suis là. Dans cette magnifique baraque à quelques mètres seulement de la plage et de l’océan. Cette vue royale qui m’accompagne tout au long de la journée. Le calme. L’air marin. La mer qui s’étend à se perdre. Ce bleu étincelant et éclatant. Le chant des mouettes. Les voiliers à l’horizon. Cette vie si différente. Et Tom.
Tom. Que serais-je devenue s’il n’avait pas été là ? Avec son sourire charmeur et son allure de surfeur. Je me le demande bien trop souvent. Et parfois, je me demande aussi ce qui se passerait s’il venait à me quitter. Mais cette pensée-là m’effraie bien trop et je m’efforce de la rejeter au plus profond de moi. Je me dis que ça n’arrivera pas. Que ça ne peut pas arriver. Parce que je ne suis rien sans lui. Je ne suis qu’un corps qui vit pour vivre. Qui se lève péniblement chaque matin, parce que c’est comme ça, il faut se lever. Alors que, depuis qu’il est entré dans ma vie, j’ai l’impression d’être quelqu’un. D’être utile. D’exister. De ne pas être rien. C’est pour ces raisons que je ne peux pas m’imaginer vivre sans lui. Pas maintenant. J’ai besoin de lui comme de l’air qu’on respire.
- Bien dormi, mon rayon de soleil ? murmure-t-il ten-drement à mon oreille.
Je sursaute. Perdue dans la contemplation du paysage, je ne l’ai pas entendu à arriver. Je me retourne et l’embrasse. Ses lèvres ont la saveur de la mer.
- Tu as déjà été dans l’eau. A cette heure, tu es fou… C’est bien trop tôt pour moi.
Il sourit contre mon visage.
- Et toi, tu es une incorrigible dormeuse.
Il s’assied à mes côtés.
- Quel programme aujourd’hui ? je demande en sirotant mon thé.
- Vivre.
Je me satisfais de sa réponse. Sa réponse quotidienne à ma question quotidienne. Il se contente de vivre. Et moi aussi. Il fait ce dont il a envie. Il ne se soucie pas de ce que sera demain et pour ça, je l’admire. J’en suis incapable. Sé-rieusement incapable. J’ai ce besoin de contrôler. De tout savoir à l’avance. Je tiens sans doute ça de l’éducation dras-tique que mes parents m’ont donnée. J’aimerais perdre ça. Selon moi, c’est un défaut. Tom m’a déjà tant de fois rassu-rée en me disant qu’il faut de tout pour faire un monde, l’objectif étant de s’accepter tel que l’on est et qu’être comme lui, nonchalant, un peu baba cool, ce n’est pas tou-jours une qualité. Je lui dis que c’est épuisant de tout vouloir contrôler. De se mettre la pression pour que tout soit par-fait. Il me répond que c’est fatiguant d’être jugé pour ce que l’on est et que les gens devraient arrêter de se comparer en permanence. Qu’il aimerait bien qu’on ne juge pas sa manière d’être. Les gens jugent, jugent et jugent encore. Pourquoi ? Peut-être pour se sentir mieux, se dire qu’il y a pire que soi. C’est un engrenage infernal et incessant. Un cercle vicieux. Mais tant qu’on s’accepte soi, tout ira bien. Tom est imperméable aux critiques. Avant pas mais main-tenant oui. Ça s’apprend. Avec un peu de volonté et beau-coup de bonne foi, on peut le devenir. « Tu le seras un jour, m’a-t-il confié, sois patiente et ouvre les yeux. Apprends, accepte et sois juste».
Tom m’aide à débarrasser la table et je pars ensuite m’habiller. Simple t-shirt et short feront l’affaire. Je m’at-tache les cheveux en un chignon lâche et accroche un col-lier de coquillage autour de mon cou. C’est Tom qui me l’a offert. « Pour ton arrivée dans mon monde. Bienvenue chez moi. Enfin, chez nous », il a rectifié. Il se distingue par sa perle dorée au milieu et je le trouve magnifique. Et puis, c’est Tom qui me l’a offert et ainsi, lorsque je le porte, je me sens un peu plus intégrée dans ce nouvel environne-ment. Etrange, je sais, tout bête, je sais encore, mais peu importe. Chaque jour, je le mets. Chaque jour, Tom le re-marque. Et chaque jour, ça le fait sourire.
- Tu l’aimes bien, hein ? s’assure-t-il chaque fois.
S’ensuit un hochement de tête décidé.
- Je l’adore
Et chaque jour, c’est la même. Je ne m’en lasse pas, lui non plus visiblement. On a plusieurs rituels ainsi, tel que le programme du jour, le collier, et d’autres. Je crois que ça me rassure. D’avoir quelques petites choses qui ne changent en aucun cas. Quelles que soient nos humeurs respectives. Tom est un homme qui bouleverse en perma-nence le quotidien. Avec lui, aucune routine. Aucune base. Aucun pilier. J’aime cet air d’inconnu. J’aime sa façon de voir les choses. Et j’aime encore plus ne pas savoir de quoi demain sera fait. Mais j’ai tout de même ce besoin d’avoir encore quelque chose à quoi me raccrocher.
Quand je sors finalement dehors, il est déjà 11 heures. Je descends sur la plage à quelques mètres au fond du jar-din. Le soleil est déjà haut dans le ciel. Je rejoins Tom au bord de l’eau. Les pieds dans l’eau, les bras croisés sur son torse, il a le regard errant sur cette étendue bleue. Je l’enlace tendrement et observe à mon tour cette masse d’eau toute puissante.
- A quoi penses-tu ? je murmure.
- A ce que sera demain.
D’abord surprise, je finis par me dire que c’est normal. Ne jamais penser à demain serait anormal, n’est-ce pas ?
- Et comment penses-tu qu’il sera ?
- Différent.
Je ne bouge pas. Reste un moment comme cela, l’enlaçant. Le regard perdu. Chacun dans ses pensées. Unis par l’amour que nous nous portons. J’espère que différent ne signifie pas moins bien pour lui. J’espère tellement. Qu’il ne me lâchera pas. Qu’on sera ensemble et qu’on fera face aux épreuves que nous imposera la vie. Il est comme ça Tom. Mystérieux. Peu loquace. Mais bienveillant. Et atten-tif. Et doux. Et si parfait. C’est sa personne entière que j’aime. C’est lui que j’aime.
Je le laisse à ses pensées vagabondes et rentre à la mai-son, bien décidée à faire un peu de ménage. Je veux lui montrer que je m’investis aussi. Je ne compte en aucun cas laisser mes bonnes manières au fond d’un tiroir. Malgré l’éducation stricte que j’ai reçue, j’ai été bien élevée. Une enfant modèle. Sage. Mes parents souhaitaient que je les surpasse. Que je fasse mieux qu’eux. Que je sois parfaite, en d’autres termes. J’ai compris ça bien plus tard. Quand j’ai pris du recul. Et je me suis dit que j’avais bien fait de partir loin d’eux. Je ne voulais pas et ne veux pas être comme eux. Je ne veux pas être parfaite. Je veux être moi. Reste encore à déterminer qui je suis.
Annotations
Versions