Chapitre 8

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Gaïa. Accordés la garde. Disparus. Tant de mots qui tourbillonnent dans ma tête. Plus que jamais, je me demande quel est le passé de Tom. Il n’a pas été sans vague à première vue. Reste à déterminer de quelles sortes de vagues il s’agit. Et puis, qui est cette mystérieuse L. ? Bien sûr, je pourrais en parler avec lui. Lui dire que je suis tom-bée sur ces lettres. Que j’en ai lues. Deux. Et que je suis perdue. Que je ne comprends pas. Que j’aimerais savoir mais que je ne le jugerai pas. Quoi qu’il en soit. Parce qu’on est ensemble, non ? Et qu’on ne se juge pas. Comme un vrai couple.

J’ai seulement été en couple une fois à vrai dire. Mais ça n’a pas duré. On ne partageait pas les mêmes valeurs. Et il m’emmenait avec lui dans ses problèmes. C’était un gars de mon année. On faisait tous les deux hôtellerie. Gabriel, il s’appelait. Un espagnol. Toutes les filles étaient sous son charme. Mais c’était moi, la petite discrète qu’il avait choi-sie. Il disait qu’il m’avait aimée dès le premier regard. Qu’il aimait lorsque je rougissais. Qu’il aimait ma personnalité, mon intelligence, ma vivacité. Qu’il m’aimait, tout simple-ment. C’était un beau parleur. Le genre de gars cliché qui fait des choses clichées et qui vit des relations clichées. Soyons honnête, j’ai été heureuse avec lui. Au début du moins. Un mois après, j’ai décidé de rompre. J’ai arrêté mes études. Et j’ai sombré. Loin. J’étais une coquille vide. Je me la jouais cool. M’envoyais en l’air tous les soirs avec de par-faits inconnus. Buvais jusqu’à en vomir. Fumais jusqu’à en perdre la tête. Ça, c’était la première partie. Après, ç’a été le déni. L’anorexie. Le trou noir. L’autre monde, comme je l’appelle. Je n’étais plus moi. Je n’avais que la peau sur les os. Le regard hagard. Les yeux exorbités. Les dents avan-cées. Les mains abimées. Je me faisais vomir parce que cela me soulageait. J’avais l’impression de retirer ce poids qui me pesait constamment sur l’estomac. Sur le moment, ça me faisait du bien. C’étaient les seuls moments de la jour-née où je me sentais vivre. Le reste du temps, c’est comme si j’étais déconnectée. Hors-circuit. Voilà. C’était ça, la deu-xième partie. Puis, lorsque j’ai remarqué qu’au lieu d’attirer les hommes, mon corps squelettique les faisait fuir, j’ai commencé à me poser des questions. De sérieuses ques-tions. Sauf que je me trouvais bien. Pas trop fine. Plutôt penchant bouboule. Je ne comprenais pas pourquoi plus personne ne venait vers moi. Pourquoi plus personne ne me regardait avec envie. Alors, j’ai conclu que je n’étais pas assez bien. Pas assez belle. Pas assez attirante. J’étais nulle. Mes parents avaient eu raison sur toute la ligne : « Tu es une incapable, Faustine. Tu saccages toutes ces années où tu as pris la peine de t’instruire. Au fond, c’est la seule chose que tu as bien faite. Nous obéir. C’est la seule chose qui nous a rendus fiers chez toi. On était fiers d’avoir une fille intelligente qui faisait ce qu’on lui demandait. Qui ne pas-sait pas son temps à courir dehors comme une pauvre gamine. On croyait avoir eu une fille mature. Déjà qu’on au-rait voulu un garçon. On a eu une fille mais quand on t’a vue grandir, on s’est dit qu’on avait de la chance finalement. On te trouvait parfaite. Mais, ô combien on a eu tort. Dé-sormais, tu nous fais honte, Faustine. Tu entends ? Tu nous fais honte. ». Oui, ils avaient raison. J’étais le contraire de ce qu’ils avaient toujours voulu. Et comme je n’étais pas parfaite, les gens ne m’aimaient pas et ne voulaient pas de moi. Il fallait que je devienne parfaite. Pendant un temps, j’ai essayé de me rattraper. De me changer en un moi par-fait. Mais rien ne semblait s’améliorer. Pire, j’avais l’impres-sion que plus je faisais d’efforts, plus ma situation s’aggra-vait. Alors, j’ai tout arrêté. Comme lorsqu’on lâche le volant. J’ai arrêté d’essayer de tout maitriser. Parce que la vé-rité, c’est que je ne maitrisais rien du tout. Donc j’ai dé-primé. J’ai coulé. Au plus profond des eaux sombres. Et comme je n’avais rien à quoi me raccrocher, eh bien, j’ai coulé encore un peu plus. Jusqu’à toucher le fond. C’est là que j’ai rencontré Tom. Il était aussi au fond du trou. Et c’est comme si ensemble, on pouvait y arriver. Ensemble, on pouvait s’entraider. Ensemble, on pouvait être fort. En-semble, on pouvait être meilleurs.

Tom sait pourquoi j’étais là, au fond du trou. Il ne sait peut-être pas tout, mais il connait les différentes phases par lesquelles je suis passée. Contrairement à moi, qui n’ai au-cune idée, même vague, du pourquoi il était au plus bas.

En tout cas, je ne sais pas si on peut parler de destin, mais le hasard a bien fait les choses. Pour ma part, je suis bien contente d’être tombée sur lui durant mes heures les plus sombres.

- Fau’ ? Tu viens nager ?

Tom m’arrache à mes pensées. Je me lève, le corps en-gourdi et marche doucement vers la mer, les bras croisés, les cheveux au vent. Tom m’attend dans l’eau. Je frissonne lorsque les premières vaguelettes atteignent le bout de mes orteils. Mais je n’y fais pas attention et avance, décidée, vers Tom. Je tente de l’embrasser en arrivant à ses côtés mais il tombe sous l’eau pour m’éviter en riant.

- Tom ! C’est pas du jeu ! je m’écrie en bougonnant faussement.

- Oh allez ! Rigole !

Il se relève et je le repousse avant de me jeter à mon tour dans l’eau et nager du plus vite que je le peux pour m’éloi-gner de lui qui, à tous les coups, cherchera à se venger.

- Ça non plus, ce n’est pas du jeu, Fau’ !

Nous partons alors dans une sorte de course poursuite ponctuée de « Stop ! J’ai bu la tasse » et de « Attention à la vague ! ». Entre ces éclats de rire et deux vagues, j’oublie les lettres mystérieuses. J’oublie Gaïa. J’oublie L. J’oublie le passé. J’oublie le futur. Je vis le présent. J’y arrive. Pour la première fois depuis des mois, je ne me soucie de plus rien si ce n’est l’instant présent. Je ris, ris, jusqu’à en avoir mal aux abdos et à déclarer forfait. Nous remontons alors nous allonger sur nos serviettes et nous nous laissons dorer sous le soleil de fin d’après-midi. A ce moment, plus rien n’a d’importance. Je suis bien. Je voudrais arrêter le temps. Le mettre sur pause. Puis le rembobiner encore et encore pour pouvoir le revivre à jamais en une boucle infinie. Mais ce n’est pas possible et très vite, trop vite, la réalité nous tombe dessus comme on abat un marteau sur un clou.

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