Je devais le faire...
Le psychologue était à présent seul dans la salle et il profita de ce moment de répit pour rouvrir le dossier du meurtrier. Il voulait avoir toutes les informations en tête avant pour mieux appréhender le rendez-vous.
Alors que ses yeux se portaient sur la pile de documents jaunis par le temps, ils croisèrent la tache de thé qui s'étendait du haut de sa cuisse jusqu'à son genou. James soupira. Il était exaspéré par la maladresse de sa secrétaire, qui lui causait bien des ennuis, mais comment réprimander une âme aussi charitable que la sienne ?
Les mots défilaient à une vitesse folle sous ses doigts crochus, ses yeux avaient du mal à en déchiffrer le sens. Tout ce qu'il découvrait lui glaçait le sang. Comment un homme qui n'avait, auparavant, jamais eu de problèmes avec la justice pouvait s'en prendre aussi violemment à sa famille et tuer de sang-froid ses deux enfants ? Il ne comprenait pas et la situation le dépassait. Il souffla du nez et envoya valser ses idées et convictions pour mieux entrer dans l'esprit de ce délinquant.
— Bon, murmura-t-il. Qui es-tu, Peter ?
Peter, surnommé Pan par ses amis et proches à cause de la plume bleutée qu'il avait accroché à son chapeau d'un vert émeraude, était un jeune homme qui venait tout juste d'atteindre la trentaine. Il était professeur dans une école qui accueillait les orphelins. Il s'occupait de toutes ces pauvres âmes abandonnées qui ne demandaient qu'à être aimées. Ces enfants perdus avaient un seul but dans la vie : trouver leur chemin dans ce monde abominable.
Peter était marié depuis quelques années à Wendy Darling, avec qui il avait eu deux beaux enfants : John et Michael. Ils semblaient vivre une vie idyllique, semblable à celle des couples parfaits dans les séries télévisées.
Un soir, alors que tout allait au mieux dans leur petit cocon de bonheur, Peter avait perdu la tête, clamant des choses incohérentes et dénuées de sens. Alors que tout le monde était attablé pour fêter la naissance de Jésus, l'homme s'était emparé d'un couteau de cuisine, qui aurait dû servir à la découpe de la dinde, et, dans un geste rapide et bref, il avait tranché la gorge de ses deux jeunes garçons. Lorsqu'il s'était rendu compte de ce qu'il avait fait, il était tombé dans les bras de sa femme qui était restée pétrifiée devant cette scène sanglante. Peter pleurait à chaudes larmes, la serrant fort contre lui.
Je devais le faire, je devais le faire, je devais le faire... Avait-il répété sans cesse. La police était arrivée sur les lieux une heure après le drame, alertée par un voisin qui avait remarqué une agitation suspecte. Ils avaient directement embarqué Peter et l'avaient accablé d'une multitude d'interrogatoires qui n'avaient mené nul part. Impuissants, ils avaient fait appel à un psychologue. Malheureusement, les résultats n'avaient pas été plus probants. Une ribambelle d'autres professionnels avaient suivit, tous avaient tenté de briser les murs de Peter pour découvrir ses secrets. Wendy, quant à elle, avait été internée dans un hôpital psychiatrique. Elle n'avait pas réussi à se remettre des événements, elle vivait recluse entre quatre murs blancs. Hantée à jamais par les fantômes de ses fils.
Les méninges de James fulminaient alors qu'il continuait de parcourir les rapports de ses confrères. Tous arrivaient à la même conclusion : un acte post-traumatique. L'individu n'avait pas conscience de ce qu'il faisait. Après de nombreux entretiens, pendant lesquels il restait muet, ils avaient remarqué que Peter était plus bavard et réactif lorsqu'on s'adressait à lui comme on parlait à un enfant.
Personne n'avait trouvé l'origine de ses troubles et de ses actes. Aujourd'hui, tout reposait entre les mains du grand James Mattews, le psychologue avec les meilleurs résultats auprès des personnes les plus gravement atteintes mentalement. S'il échouait, personne d'autre ne pourrait percer les mystères de Peter.
Alors qu'il commençait à s'énerver contre les papiers, n'arrivant pas à les décrypter, un cognement le sortit de ses réflexions.
— Entrez ! dit-il.
Son regard se tourna vers la porte qui était en train de s'ouvrir, laissant apparaître une silhouette digne des mannequins qui défilaient pour les maisons de coutures les plus luxueuses. Des courbes qui suivaient parfaitement celles d'un huit, des hanches rondes et imposantes, des jambes aussi longues que celles d'une autruche et une poitrine qui défiait toute concurrence. Ses yeux divaguèrent vers le visage de cette belle créature, ils découvrirent deux iris d'un bleu lagon, pétillant et pleins de malice, comme ceux d'une enfant. Elle avait des pommettes rondes et sa chevelure blonde comme l'or venait se poser sur leur courbe, rendant l'ensemble très harmonieux. Son cou, ainsi que ses poignets, étaient entourés de nombreux bijoux pleins en perles qui tintaient au moindre de ses mouvements.
— Monsieur Matthews, je m'appelle Clothilde. Je suis l'infirmière de Peter, se présenta-t-elle en s'avançant dans la pièce.
— Enchanté, dit-il en se levant pour la saluer.
— Je resterai auprès de Peter. Il se sent plus rassuré en ma présence, et nous ne voudrions pas qu'il y ait de débordements.
— Bien, très bien. Où est-il ?
— Dans le couloir, je vais aller le chercher.
La blonde tournait sur elle-même, faisant carillonner toutes les perles qu'elle portait. Lorsqu'elle ouvrit plus grand la porte, James pu apercevoir quelqu'un qui attendait patiemment sur une chaise dans le couloir. Il était plié en deux, les coudes posés sur ses genoux et les mains qui soutenaient sa tête penchée vers l'avant. Ses cheveux, d'un roux flamboyant, cachaient son visage. Il semblait dépité et épuisé, une âme déchirée qui ne demandait qu'à s'envoler vers des horizons meilleurs. Clothilde passa un bras sous le torse du jeune homme, celui-ci sursauta et se retourna vivement vers son infirmière, rassuré de voir qu'il ne s'agissait que d'elle.
Il se leva sans rechigner et suivit la jeune femme, gardant la tête baissée ce qui empêchait le psychologue de découvrir les traits de ce meurtrier. James fut surpris de le voir s'accrocher à la blondinette comme un enfant qui s'accrocherait aux jambes de sa mère.
Tous deux se dirigèrent vers la table qui se trouvait en pleins milieu de la pièce. James avait repris place sur sa chaise, attendant impatiemment cette rencontre. Le néon qui se trouvait au-dessus de sa tête continuait de faire des siennes, empêchant le psychologue de bien voir la silhouette de ce patient tant redouté. Les lueurs changeantes semblaient déranger Peter qui gardait le regard bloqué sur ses pieds. Clothilde l'installa sur le siège libre et se positionna derrière.
— Peter, mon grand ! dit-elle d'une voix mielleuse. Je te présente un nouvel ami, James.
— Bonjour, Peter.
Le rouquin releva brusquement la tête, au grand plaisir de James qui pouvait enfin admirer son visage. Ses yeux rencontrèrent deux iris d'un noir abyssal. Ce regard, empli de malveillance, glaça le sang de James.
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