Révélations
L'Aube se lève sur un monde gris et sans saveur ; le mien. Comment ais-je pu croire que j'ai été heureux ici ? Tout ce que j'ai construit jusqu'à présent n'est que poussière dans les mains de celui qui est libre. Je pensais détenir un royaume, je n'étais que le pion d'un plus grand empire. Une conspiration qui a plongé les Hommes Libres dans les ténèbres de cette cité flamboyante. Où tout est accessible, tout est consommable ; où tout est superficiel et au final, où tout est faux. Il faut s'être réveillé pour le voir ; et il faut l'accepter pour le croire.
Pour ma part, je n'ai pas eu le choix. En songe, je me suis surpris à voyager là où je n'aurais jamais dû aller : au-delà du Mur. J'ai volé jusqu'à son sommet, et là, j'ai contemplé l'étendue infinie d'une incroyable beauté. Une lumière aveuglante m'a tiré de cette douce torpeur et m'a ramené. Quand j'ai ouvert les yeux, je n'avais qu'une hâte : revoir cette merveille. Alors, chaque soir, j'y suis retourné ; que de nuits passées à contempler ce monde inaccessible ! Peu à peu, ma propre réalité me paraissait fade ; j'avais l'impression de dépérir dans une existence dictée par une main ferme et invisible. Je faisais de moins en moins bien mon travail et je ne parlais plus à personne ; les langues de bois ne rentraient plus dans ma sphère et c'était mieux ainsi. Mais ça ne me suffisait plus. La curiosité devint une nécessité. Et une nuit, je t'ai vu, au-delà du Mur, rayonnante et ne faisant qu'une avec le monde infini. Je t'ai appelé, j'ai crié ton nom. Tu t'es retourné et tu m'as souri. Tu avais l'air si heureuse...
La nuit suivante j'y suis retourné dans l'espoir de te voir. Mais le décor était tout autre. Il n'y avait pas de mur, pas de lumière, juste une semi-obscurité envahissante. Je t'ai appelé, j'ai crié ton nom, en vain. Ma voix se répercutait sur des parois invisibles qui renvoyaient mon écho déformé. C'est à ce moment que je pris conscience que quelque chose me brulait le cou. Une douleur à la fois atroce et familière. J'ai regardé mes mains et en relevant la tête, j'ai vu des gens se mettre eux-mêmes des chaînes de feu aux poignets et au cou. Reliés ainsi les uns aux autres, ils avançaient sans bruit, en portant des pierres. C'est là que j'ai compris : ils allaient construire le Mur !
Puis je t'ai vu parmi eux, arborant le même visage inexpressif, vidée de toute substance émotionnelle, tu mettais des chaînes aux autres. Tu as levé tes yeux sur moi ; ils étaient blancs. Vous aviez tous les yeux blancs, aveugles. Tu m'as tendu les chaînes pour mes poignets, mais je n'ai pas pu. J'ai couru sans savoir où aller ; partout je rencontrais le même spectacle désolant. J'ai trébuché sur de nombreuses âmes errantes, mais aucunes ne s'est plaintes. Après une éternité, je suis arrivé devant un Mur immense ; j'arrivais trop tard ! Alors que tout espoir semblait perdu, j'ai entendu une voix résonner dans ma tête, elle disait :
- Fils de Lumière, tu n'as rien à faire ici. Rejoins-moi.
- Mais comment, mon cou est déjà entravé ! me lamentais-je.
- Pas tes mains...
J'attrapais alors furieusement le collier de feu qui me brula instantanément. Je renonçais après plusieurs essais, la douleur était intolérable !
- C'est que tu n'es pas prêt à recevoir la Vérité, Fils de Lumière.
La voix s'estompa et j'avais peur de me retrouver à nouveau seul. Je fermai les yeux et fis le vide dans mon esprit afin de me détacher de tout ce que je connaissais - ou croyais connaître - et quand je les rouvris, un être lumineux flottait à quelques pas de moi. Nous étions sur le Mur. Devant moi s'étendait à perte de vu l'immensité infinie que j'avais cru ne jamais revoir. Les larmes me vinrent et d'un simple geste, j'ôtais mon collier qui ne brulait plus. Il tomba dans un bruit sourd sur la pierre.
Soudain tout m'apparut, la Lumière ne fit qu'une avec moi et je n'avais plus besoin de parler pour communiquer. Emotions, images venus de terres lointaines, êtres étranges peuplant des mondes inconnus et d'autres choses que nos simples mots ne pourraient décrire ; tout cela surgit en moi comme autant de souvenirs qui m'avaient été arraché. L'être de Lumière me tendis la main pour que je le rejoigne de l'autre côté. Bien-sûr, j'étais prêt. Mais ton visage rayonnant m'empêchait de partir maintenant. Il hocha la tête et disparu dans la Lumière ; il avait compris avant même que mon esprit ne crée une phrase.
J'émergeais de mon sommeil. Mes paupières lourdes mirent du temps à reconnaitre mon appartement. Tu dormais paisiblement à mes côtés, le visage apaisé. Pourtant, je savais qu'ici tout n'était que mensonges.
Longtemps je me suis demandé si je devais te raconter ce que j'avais vu ou me taire à jamais et mener une existence fausse à tes côtés. Car te dire la vérité changerait à jamais notre relation. La peur de te perdre, mais aussi la peur de ne plus revoir ce monde m'habita de longs et douloureux mois. Au final, je dépérissais sans prendre de décision. Jusqu'à ce matin.
L'être de Lumière est venu me chercher, il m'a dit qu'il était temps. J'ai enfin pu voir son visage ; c'était le mien. C'est logique ais-je pensé ; une part de moi l'a toujours su. Désormais nous ne faisons qu'Un. Et il est temps que tu ne fasses qu'une avec ton être de Lumière, elle t'attend également de l'autre côté.
Je ne te poserais qu'une seule question avant de partir éternellement pour ce monde qui sera, j'espère, bientôt le nôtre :
Comment bâtir de l'espoir dans un monde qui tombe en ruine?
Rejoins-moi mon Amour, de l'autre côté du Mur.
Je t'attendrais...
Toujours.
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