Chapitre 7 : Bats-toi, meurs et revient

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L'heure de la stagnation était révolue.

Un nouvel âge s'annonçait, bien plus mouvementé que ceux qui l'avaient précédés. A nouveau l'effervescence cérébrale de l'hôte entraînerait un tourment sans repos. Son esprit ne saurait trouver la paix désormais. Sa conscience ne recevait qu'un flot ininterrompue d'images épouvantables.

Désemparé, en pleine perte de contrôle, l'hôte parvint à opérer une fission en lui-même pour se séparer de Justice.

L'édifice végétale qui avait germé au sein de son âme n'avait pas seulement ébranlé les fondations de l'hote, elle l'avait entièrement remodelé.

D'une caverne terne et peu éclairée avait jailli une steppe hostile suscitant la prudence. S'il était indéniable que le procédé de fusion entre Justice et l'hôte fut un progrès, il planait dans l'air un goût de danger, comme si le vent sifflait une oraison funèbre.

Justice, bien qu'emprisonné dans les méandres de l'esprit de son créateur était parvenu à ses fins.

Ce fut en réalisant ses noirs desseins qu'il s'était emprisonné dans cette prison végétale. En puisant dans la force de son créateur, il s'était incarné dans un arbre dont la grandeur défiait la raison. Il s'agissait autant d'un point d'ancrage à ce monde onirique que d'une prison, aussi éphémère soit-elle.

Justice se privait de manifestation physique, toutefois son emprise était telle qu'il pouvait incarner un fragment de sa conscience dans de petits bourgeons qui vinrent à leurs tours harceler le bâtisseur de ces lieux.

Par l'intermédiaire de ce grand végétal, Justice réussit à sculpter un monde plus ouvert. En cassant les murs de cette caverne intérieur, il éclaira ses frères d'une lumière aveuglante, qui, loin de les rassurer, révélait ouvertement leurs travers au grand jour. Décontenancé par leurs propres envies de noirceurs, la plupart avaient choisi à nouveau de disparaître sous forme gazeuse plutôt que d'assumer la misère de leurs propres existences.

Les plus braves ou les plus fous se réjouirent quand les plus faibles se tapirent dans de sordides introspections. Alors que Joie s'épanouissait au grand air, Juste, Juge et bien d'autres se morfondaient sur eux-même.

Timidité reprit une forme gigantesque, se nourrissant de la peur des esprits les plus fragiles. Elle repensait avec nostalgie à l'époque où elle régnait en maîtresse absolue sur ces terres désacralisées.

Juge ou plutôt.... l'hôte était au paroxysme de son désespoir, dépassé par un monde qui était pourtant le sien. S'il n'avait aucun contrôle sur la vie extérieur, il pouvait jusqu'à présent se rassurer en préférant à sa vie intérieure. Désormais il était tout autant un étranger à l'intérieur qu'à l'extérieur de ces contrées.

Ainsi il s'enfonça dans des idées mortifères pour s'enfermer dans une réclusion qu'il chérissait plus que tout. Au gré de ses explorations, il redécouvrit l'édifice que son malheur avait façonné, la cathédrale de la haine dédiée à la mort de son innocence, cette église représentait ce qu'il pouvait y avoir de plus rassurant.

Isolé, vulnérable, Juge se laissa doucement happé par une pulsion de mort, un instinct de fin. Condamné à vivre, il se voyait danser un balai macabre avec la faucheuse. Cette dernière, drapée de sa toge d'obsidienne et de son air inexpressif ne trouvait aucune joie dans son rôle, tout comme l'hote. Alors même que ces deux êtres ne semblaient être animés par rien d'autre que la mélancolie, leurs ballet était animés par une énergie fulgurante, comme si la déception d'une existence sans but était le catalyseur de leurs mouvements. Ils dansaient comme si plus rien n'avait d'importance, comme si plus rien n'avait jamais eu d'importance, chacun s'abreuvant de la peine de l'autre dans l'ivresse de l'absurde.

Une fois leur valse terminée, l'enveloppe physique de la mort prit des dimensions titanesque, chatouillant la toiture de cette macabre chapelle. En plissant sa toge, elle forma doucement un berceau accueillant pour l'être désemparé qu'était Juge. Elle le prit sous son aile pour le caresser d'une étreinte maternelle d'une infinie douceur, contrastant étrangement avec la dureté et la froideur de son aspect squelettique.

Enfin vint le repos éternel, la libération d'un monde de souffrance et de contradiction. La vraie sérénité.

Son esprit ne pensait trouver le repos que dans le mort. Plutôt que de songer au remède il se mit à se penser au mal. Dans le berceau de la faucheuse, rien d'autre n'importait plus, fermer les yeux et se laisser dépérir lui procurer un doux sentiment de réconfort. Lui-même n'aurait su dire combien de temps il avait pu passé au creux de la Camarde et pendant longtemps la quiétude dura...

Pourtant, aussi rassurant que ce cocon englobant pouvait être, un frisson émaillait ponctuellement sa tranquillité, donnant place sporadiquement à des questionnements existentiels, des doutes sur lui-même, sur ce que certains pourraient qualifier d'abandon. Ces injonctions grignotaient à petit feu le détachement qu'il espérait tant.

« Que fais-tu ici ? Qu'attends-tu de ce monde ? Qu'attends-tu pour le quitter ? Pourquoi continuer en vain d'essayer ... essayer... essayer laborieusement d'essayer. Ta place n'est pas ici. »

Ce questionnement existentiel ne lui importait guère, il savait d'où et de qui ces réflexions étaient issues. Quoi de plus aisé que d'ignorer un murmure ? Parfaitement apte à gérer l'abnégation, sa première décision fut de ne pas écouter, de ne pas en prendre compte. Il n'avait aucun intérêt à les écouter, leur donner de l'importance. Hélas il n'avait pas le loisir de leur accorder quoi que ce soit.

Ces questions s'imposaient à lui comme le fait de respirer. Qu'il soit dans son monde ou à l'extérieur. Du réveil au coucher, du petit-déjeuner au dîner, au travail, chez lui, dans sa chambre d'hôpital... Cela ne cessait jamais. Pire encore, bien loin d'être un simple murmure il s'agissait maintenant de hurlements constants, une voix d'une tristesse éprouvante, une voix teintée de larmes.

« Qu'attends-tu pour trouver le repos éternel ? Jette-toi à l'eau et embrases enfin la quiétude du néant. »

Même une mort intérieure n'était pas synonyme de repos. Son calvaire le pousser à embrasser une solution plus définitive, une solution à laquelle il ne pouvait se résoudre, ainsi les ruminations continuèrent.

Il connaissait la provenance de ses songes pourtant se refusait de l'envisager. Non pas de l'insatisfaction d'une vie dépourvue d'envie, de passion, de but. Non... La réponse ne se trouvait pas là. C'était encore un « autre ». Sa stase avait duré depuis si longtemps qu'il en était venu à oublier ses afflictions.

« La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu'il n'existe pas. » ²

Son ennemi mortel Justice avait encore accouché d'une nouvelle facette de sa personnalité. Bien qu'écroué dans sa prison végétale, Justice était loin d'être impuissant. Au fur et à mesure qu'il découvrait sa nouvelle forme, il apprit à se dédoubler pour continuer d'harceler son maître de ses sinistres intentions. Chaque naissance entraînait un combat, plus virulent que le précédent.

Pourtant cette fois ci, tapie dans la tranquillité rassérenante de son berceau Juge ne voulait plus lutter. Las, il avait perdu l'habitude de se battre. Bercé par la mort, plus rien ne pouvait avoir d'importance pour lui. Voilà pourquoi il avait décidé de se mentir à lui-même et de faire comme s'il n'entendait rien à son supplice.

Aussi déterminé qu'il fut, il est néanmoins impossible soustraire à pareil ennemi indéfiniment. Sa quête était vouée à l'échec. Au lieu de profiter d'un sursit il ne fit qu'accentuer son mal.

Quelqu'un ou quelque chose frappait aux portes de son esprit. Ce dernier n'était pas entièrement incarné, il ressemblait à n'importe quel esprit couard de ce monde, ceux qui avaient repris forme gazeuse. Pourtant de ce nuage d'émotion se dessinait les contours d'un visage malveillant. L'intrus se fendit d'un sourire arrogant.

« Je te l'ai dit et répété maintes fois... Je ne faiblirais pas, peu importe le nombre de spectres que tu m'enverras, un à un je les broierais, je les déchirerais, je les anéantirais. Car je règne en maître sur mon corps et mon monde, nul autre ne saurait le revendiquer sans en subir mon courroux. »

L'hôte connaissait ces mots car il les avait lui-même prononcé par le passé. Ces mots , il les avait adressé à Justice, au moment de leur division. Ces mots... il les avait utilisés pour combattre cette créature qui revenait aujourd'hui les tourner en dérision. Ce devait être un esprit assez jeune pour être aussi provocateur.

Cette erreur de la nature avait l'outrecuidance retourner les mots de l'hôte contre lui-même. Essayait-elle de l'humilier ? Quoi qu'il en fut, cela n'avait eu pour objet que de déclencher sa fureur. Le corps de l'hôte se tordit de spasmes frénétiques et un rire démoniaque secoua son être. Le regard de juge n'était plus que haine, colère et fermeté.

Son invité indésirable riait aux éclats, dans l'appréhension de ce qui allait arriver.

Désormais, Il était temps de quitter la retraite dans laquelle Juge s'était plongé. La stase n'était plus, elle emporta avec elle, l'idée qu'il se faisait de la mort, et cette dernière se fondit en lui. La lutte pouvait reprendre. Retrouver ce conflit ancestral provoquait un sentiment ambivalent qui le dévastait autant qu'il le réjouissait, car l'hôte savait que l'oasis dont il avait profité n'avait fait que nuire à son âme.

Cette tranquillité...cette sérénité...c'était cela sa mort.

Il n'avait toujours été que lutte. Pourquoi donc avait-il réussi à se détacher de ses questions existentielles ? Comment avait-il pu autant se mentir à lui-même ? Comment avait-il pu se défaire autant de ce qu'il était ?

Juge se dressa de tout son long, enveloppant l'air d'une aura de puissance. Son visage n'était plus que défiance et arrogance. Il rétorqua à son assaillant ces quelques mots avant de le faire disparaître d'un simplement battement de cil.

« Je ne devrais pas te haïr mais te remercier. Poursuis les tourments que tu m'infliges, c'est ce que j'attends de toi. Il m'importe peu que tu faiblisses ou que tu ne meures. Je sais que tu reviendras tôt ou tard. Saches qu'à chaque fois, je serais là, prêt à t'abattre et à recommencer jusqu'à la fin des temps. »

à l'unisson, victime et agresseur reprirent en choeur.

Car isolé l'un de l'autre, nous ne sommes plus, c'est dans l'opposition que nous formons notre individualité. Alors BATS-TOI, MEURS ET REVIENS.... Bats-toi, meurs, reviens. »

Après avoir anéanti l'émanation provenant de Justice, Juge entreprit de rebâtir son monde selon ses propres désirs.

²: Citation de Charles Baudelaire.

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