Chapitre VIII
Après son entraînement matinal, un grognement rappela à Mayu qu'elle devait manger. Elle avait tendance à oublier cette activité vitale jusqu'à ce que son estomac ne s’en plaigne. Avant d'être gênée par ce besoin, elle avait remarqué que le château était agité ce matin. De nombreux bruits de pas retentissaient dans tous les sens, plus rapides et désorganisés chaque heure qui passait. Elle serait bien sortie enquêter mais elle avait assez d'ennuis comme ça. La meilleure solution était donc d'attendre calmement que Zel vienne la chercher pour manger, comme ils l’avaient prévu hier soir en se quittant.
Un manoir avec des pièces qui apparaissent et disparaissent, une scientifique qui veut que j’échoue, un ange qui m'espionne... ah et ma malédiction qui vient foutre encore un peu plus la merde !
Mayu ne comprenait pas pourquoi Lios était vénérée alors que personne n'en parlait. Il aurait été peut-être plus simple de se présenter comme sa détentrice pour vivre une vie paisible dans ce petit pays, mais au fond d'elle un sentiment de malaise naissait dès qu'elle se trouvait avec des pratiquants de cette religion.
Comme dans le Gouffre, il y a quelque chose qui cloche, comme si tout était faux, corrompu.
Elle ne connaissait pas grand-chose du Dualisme : l'Initiation, la guerre, les Hauts Commandants, les dirigeants et l'extérieur de la ville.
Rien qui ne m'intéresse vraiment. Cette secte ne me donne pas les infos que je veux. Je vais devoir, à un moment ou à un autre, chercher par moi-même.
Mayu partit se doucher tout en énumérant les informations nécessaires à sa survie. Pour commencer, elle voulait comprendre le bâtiment où elle évoluait. Son architecture l'intéressait, elle avait l'impression que dans chaque recoin un nouvel indice se présentait à elle pour lui montrer un dessein qu'elle n'arrivait pas encore à déchiffrer. Ses réflexions se dirigèrent vers la végétation au sein de ce couloir rempli de portes plus étranges les unes que les autres. Elle aimait cet endroit, le désordre qui y régnait lui faisait penser à Minda. Mais plus loin encore dans ses souvenirs, ces pierres instables lui rappelaient les Mines...
Putain d'endroit de merde ! Haru et moi on a failli y crever des milliers de fois.
Elle sortit de sa douche et se claqua les joues pour calmer son irritation. En plus de cette sensation, une certaine nostalgie émanait de ce souvenir. Elle et sa soeur, ensemble envers et contre tous, travaillant en équipe pour subvenir à leurs besoins. À cette époque elles n'avaient peur de rien, sûrement trop naïves pour voir le danger qui les entourait.
Tout était plus simple. Il y avait Haru et c'est tout, mon monde commençait et s'arrêtait à elle. Pas besoin de se prendre la tête je n'avais qu'à l'écouter et tout allait bien.
Elle leva les yeux vers le miroir et regarda toutes les cicatrices sur son corps. D'innombrables marques envahissaient son torse et ses bras, reliques d'une histoire agitée dont elle avait été fière. Fière de tout donner pour le seul être important, le seul qui méritait sa protection. Mais aujourd'hui, son absence rendait ses traces honteuses, signes d'un échec irrécupérable.
Si j'avais pris plus de temps pour réfléchir au lieu de me battre, elle serait peut-être en vie. Enfin, si elle me voyait en plein milieu d'une secte, elle m'engueulerait.
Quelqu'un frappa à la porte. Mayu chassa ses réflexions et s'habilla en définissant ses buts de la journée :
Mieux comprendre le manoir de Maara mais surtout, aujourd'hui on évite les emmerdes !
Devant la porte, Zel se tenait fièrement dans son uniforme. Une veste semblable à la sienne, un pantalon noir et un haut aussi rouge que celui de Mayu. Visiblement content de lui, le jeune homme entama la conversation tout en la guidant vers le réfectoire :
- Alors tu es prête ? Aujourd'hui on doit essayer de trouver le pouvoir de Reyn.
- Pour ça j'ai une idée. Mais ça ne va pas te plaire.
- Ça va marcher à tous les coups ? demanda-t-il, excité par l'idée de trouver la solution plus vite que prévu.
- Si tout se passe bien, on a la réponse demain matin.
Alors qu'il allait la questionner, Mayu lui fit un signe de main pour l'arrêter. Devant la porte qui menait au couloir, deux soldats bloquaient le passage. Au milieu de ces deux géants, Tora, dans son kimono coloré, lisait tranquillement son livre sans faire attention aux murmures des élèves qui observaient le spectacle. Azazel, content de voir ce qu'il croyait être son allié, fit signe à la femme à la queue-de-cheval rose pour attirer son attention.
Mais quel con !
Tora s’approcha d'eux, un sourire provocateur au bout des lèvres. Les murmures devinrent des chuchotements indiscrets sur la nature de la relation de ces trois personnes. Maintenant qu’elle les avait rejoints, Tora les mena jusqu’à la porte du réfectoire qui n'apparaissait que quelqu’un s'en approchait.
En ouvrant la porte en marbre noir à double battant, Mayu vit tout d'abord une pièce remplie de quelques tables rondes en bois et de chaises du même matériel. Il y avait également une table rectangulaire au milieu de la pièce qui pouvait accueillir plus d'élèves que les autres. Le reste de la salle ressemblait au hall, excepté les grandes baies vitrées qui donnaient sur un jardin verdoyant. Elle ne comprenait rien à cet endroit flottant qui laissait apparaître des paysages différents les uns des autres. De l'autre côté de la salle, une cuisine ouverte où plusieurs de ses camarades s'affairaient à préparer le petit déjeuner.
Elle se rappela vaguement une indication qu'avait donnée Reyn la veille.
On doit faire la bouffe chacun notre tour, un truc comme ça. Chiant.
Alors que Zel se dirigeait vers la cuisine pour aider, Tora prit son bras et celui de Mayu pour les faire s'asseoir à une table ronde, juste devant les travailleurs, et fit un signe de main vers un des jeunes qui apporta immédiatement une soupe à elle et ses nouveaux amis. En grimaçant à cause de l'odeur de la soupe, Tora entama la discussion :
- J'espère que vous ne vous êtes pas couchés trop tôt, la nuit d'hier était magnifique ! S'exclama-t-elle en posant ses yeux verts sur Mayu.
- Vous avez besoin de quelque chose, Madame Nobuyoshi ? Répondit la maudite tout en buvant sa soupe, sans lancer un regard à sa supérieure.
- Je suis juste d'humeur généreuse, alors sois plus agréable, petite.
- Toute votre aide nous sera utile Madame, précisa Zel avec enthousiasme. Pardonnez mon amie, elle n'est pas vraiment du matin... Ni du soir d'ailleurs
- Je vois, dit la dirigeante en lançant un rire qui sonnait faux. Je vous propose un jeu. J'adore ça, il n'y a rien de mieux pour me faire oublier mon ennui ! Et si vous gagnez ce jeu, je vous promets une avance sur les autres candidats.
Après une concertation silencieuse, Zel reprit la parole :
- Nous sommes tout ouïes.
- Ah mais ce n'est pas gratuit. En échange je veux qu'elle me rejoigne ce soir, décréta-t-elle en prenant la main de Mayu.
- Ok, dit la maudite en s'échappant de ce contact intrusif.
- Parfait, agréa Tora, satisfaite de la situation.
Elle se leva et se pencha pour chuchoter la suite aux deux joueurs :
Je suis l'ange de l'apocalypse,
Je détruis sans même toucher.
Je vous fais danser dans ma folie la nuit,
Et le jour je vous fais la cour.
Je suis blessé par mes erreurs,
Mais aussi indestructible que les Dieux.
Je suis le plus grand des héros et le pire des traîtres.
Qui suis-je ?
- Bonne chance ! Conclut-elle en déposant un baiser sur la joue de Mayu avant de partir.
- Elle est superbe, hein ? confia Azazel, visiblement sous le charme de la bourgeoise.
- T'as compris quelque chose au moins ? Lui demanda froidement sa camarade.
- Absolument pas mais elle est quand même magnifique...
Elle ne pouvait pas le nier, Tora était majestueuse. Du haut de son mètre quatre-vingts, sa silhouette voluptueuse était soulignée par le violet de ses vêtements, son air hautain lui donnait allure royale pour laquelle elle semblait être née et ses traits fins ne faisaient qu'accentuer l’aura de sensualité qui l'entourait. Tora avait un physique à la limite du parfait mais son caractère avait l'air de beaucoup s'en éloigner.
Après s'être rempli l'estomac, Azazel et Mayu se dirigèrent vers le couloir menant à leur leçon du jour. Les gardes avaient ouvert les portes et fusillaient du regard tous les élèves qui la franchissaient.
Quand les deux camarades passèrent, sans faire attention aux deux gardiens irrités, ils restèrent perplexes devant le décor. La forêt infranchissable s'était transformée en gigantesque jardin, tout en volume et en couleur, laissant percevoir plusieurs sentiers de graviers. Mayu fut déçue de constater que tous les passages étaient gardés par des guerriers. Devant la porte, Zel chuchota à son oreille :
- On a trouvé notre repaire pour les prochaines nuits. Mayu prit en compte la proposition et s'assit près de son compagnon.
Le silence de la salle de classe de la veille était remplacé par un chahut causé par le changement soudain de la végétation. Un débat tellement animé que Nero dû ouvrir une fenêtre pour se faire écouter. Un vent puissant entra dans la salle, faisant reculer les élèves les plus proches et imposant le silence. Quand l'attention se porta de nouveau vers lui, il commença :
- Tout d'abord, asseyez-vous. Le prochain qui fait autre chose qu'écouter; il est viré. Alors, tout le monde à sa place et on laisse parler son supérieur !
- Enfin ! râla Reyn qui profitait du calme pour rentrer dans la salle avec sa fille. Vous n'êtes pas des animaux, apprenez à vous tenir !
- Aujourd'hui, nous allons vous expliquer à quoi sert notre unité, si quelqu'un est intéressé il pourra nous rejoindre en tant qu'Initié. Mais avant qui sait ce qu'apporte la réussite de l'Initiation ?
Presque tout le monde leva la main, certains plus vivement que d'autres. En voyant un homme au premier rang lever la main de façon disciplinée, Nero lui fit signe :
- L'initiation va nous permettre de rejoindre l'honorable cercle des plus importants Dualistes et de les aider dans la Quête qui nous a été confié, répondit l'homme d'une quarantaine d'années, visiblement mieux informé que la plupart des élèves.
- Non, lâcha Reyn.
- Ce que veut dire ma collègue c'est que L'Initiation n'a pas un but aussi précis que la Quête, reprit le professeur en regardant son assistante avec sévérité. Ces épreuves ont pour but principal de trouver de nouveaux fidèles et de les guider pour qu'ils trouvent leur place. La Quête quant à elle....
- Revient à chercher le Grayson Ymdertl, plaisanta Reyn. Demandez à Arthur ou Morgane comment ça a fini pour ses...
- Ça suffit ! S'énerva Nero. Excusez mon assistante, les évènements de la veille nous ont perturbés. Ne l'écoutez pas, la Quête reste notre objectif prioritaire.
- C'est quoi ce truc ? demanda Mayu, curieuse de comprendre la conversation.
- Ah voilà une question constructive, Hope peux-tu répondre s'il te plait ? Réagit l'instructeur.
- Oui ! La Quête est le but ultime des dualistes. Elle consiste à retrouver les Artefacts de Maara et Kigen pour les faire renaître et ainsi être guidée par les deux êtres purs. Pour cela, les plus fidèles d'entre nous ont l'honneur de partir à leur recherche. D'ailleurs…
- Pour revenir à notre cours, dit Nero en se raclant la gorge. Aujourd’hui nous allons décrire notre unité. Je me présente, je suis le directeur de recherche. Je dirige plusieurs sous-unités, précisa le scientifique en se tenant fièrement. Mais elles sont toutes liées à une de ses quatre branches : Capacité, Artéfact, Renseignement, Améliorations.
Je vous passe les deux premières, elles portent bien leur nom et la dernière n'est que très rarement choisie.
C'est pour cela que cette semaine est basée sur le troisième secteur et que mes cours vont se baser sur les fonctions de l'unité Renseignement mais aussi son utilité en temps de tension. Pour cela, nous allons commencer par...
Soudainement pris d'une panique folle, Nero fonça vers une des fenêtres pour pousser violemment tous les élèves qui étaient paisiblement assis à côté. Dans un geste désespéré il se tourna vers ses deux assistantes pour leur transmettre un message. Mais il était trop tard, l'homme fut réduit en cendres par un violent torrent de flammes qui envahit toute une partie de la salle.
Le corps brûlé de Nero laissa place à une vision bien plus terrifiante : les gigantesques dents acérées d'un monstre à la gorge encore rougie par le feu qu'il avait soufflé.
L'apparition de l'énorme animal déclencha un affolement général dans la salle de classe. Tous les élèves sortirent, persuadés de trouver un refuge à l'extérieur de la pièce. En ouvrant la porte, ils regrettèrent de ne pas avoir réfléchi. Au-dessus d'eux, une dizaine de wyvernes rugissaient tout en brûlant le jardin central, créant un incendie qui asphyxiait tout le couloir. C'est dans la fumée que les élèves se dispersèrent pour essayer de trouver un refuge. Mayu et Zel, à côté l'un de l'autre, se collaient au mur prêt à affronter la suite des évènements. Les cris de paniques se transformèrent en cris d'agonies. Les créatures avaient profité du tumulte pour plonger sur les humains paniqués, les dévorants avec plaisir.
Seuls les plus intelligents avaient eu la même idée que la maudite et son compagnon. Ils cherchaient tous désespérément une porte ouverte, pouvant peut-être leur permettre d'éviter une mort lente et douloureuse.
Un cri de haine perça les tympans de Mayu. La fumée disparut pour laisser place à un fort soleil. Au milieu de la végétation brûlée, Reyn protégeait sa fille de l'attaque d'une wyverne affamée.
Sans aucune hésitation Zel ouvrit un portail, en sortit son arme et celle de sa camarade pour ensuite viser dans l'œil de l'animal. Il rata de peu sa cible. Le petit dragon rugit de colère contre son attaquant et fonça vers lui, crocs en avant. Sans hésiter, Mayu sortit sa lame de son fourreau et courut vers lui. Au dernier moment, elle se laissa glisser sur la pierre, passa sous lui et essaya de transpercer ses écailles marron. Elle ne réussit visiblement qu'à le contrarier encore plus. Il se préparait maintenant à griller Azazel qui avait fui plus loin dans le couloir.
Mayu, maintenant derrière la bête, enfonça son épée dans la queue gigantesque de la wyverne pour la déconcentrer. Un rugissement terrible sortit de la bête qui se tourna férocement, donnant un coup avec son membre blessé qui la fit s’écraser au sol. A terre, elle voyait les dents de son adversaire s'approcher de sa chair.
Elle tenta une roulade pour s'échapper d'une mort imminente mais il était trop tard, la bouche fumante de l'animal était au-dessus d'elle. Elle entendait les coups de feu d'Azazel qui tentait de blesser l'armure écailleuse de ce géant qui faisait deux fois la taille d'un humain. Mais rien n'y faisait, la bête ne lâchait pas son attaquante.
Mayu ferma les yeux, prête à affronter la terrible douleur des os broyés par la gueule du monstre.
Un chant envahit l'extérieur jusqu'à couvrir tous les hurlements. Une chanson violente, aussi magnifique que dévastatrice, qui créait un torrent d'air à chaque syllabe prononcée par la voix courroucée. Comme si le vent obéissait à la voix mélodieuse de son incantatrice, une gigantesque tornade apparut au-dessus de la wyverne. En un instant, la tempête empala violemment l'animal, le faisant tomber raide mort. La mélodie terminée, le typhon disparut et un lourd silence prit place.
Il ne fut coupé que par le rire féminin de la chanteuse aux cheveux roses qui s'amusait des wyvernes qui fuyaient la fureur de ses complaintes. Calmée, elle souffla et dit tout en s'étirant tranquillement :
- Je me suis bien amusée aujourd'hui ! Allez les enfants, on retourne en cours, le spectacle est terminé !
Zel, fou d'inquiétude, se précipita vers Mayu qui se leva avec peine et l'examina de près. Elle s'en était sortie avec seulement quelques bleus sur les jambes et le dos. Soulagée, il lui sourit et lui prit le bras pour la pousser vers un côté désert du couloir. Il vérifia plusieurs fois que personne ne pouvait les entendre et lui proposa :
- Ils vont sûrement nous donner quartier libre sans vraiment faire attention aux absents, vu que pas mal d'élèves se sont faits bouffer. Ça te dit une petite visite du palais ?
- Tu sais que si on se fait choper, on va morfler ? Précisa Mayu calmement.
- Si ça arrive, on dira qu'on s'est perdu dans le tumulte de la bataille.
Mayu esquissa un sourire avant de se diriger vers le hall.
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