Un brouillard d’oubli
En dépit de la sempiternelle parole d'évangile professée tous les 21 avril, qui salue l'action féministe de De Gaulle et d'une droite soudainement ouvertes aux femmes, bien que contradictoirement, la tentative du Front populaire quelques années avant de promulguer le droit de vote des femmes est demeurée vaine face à un Sénat à la droite du spectre politique. Le Président de ce Sénat conservateur, Jules Jeanneney, se chargera ensuite du poste de ministre d'État à la demande de De Gaulle, et conservera de fait une influence dans le nouveau gouvernement provisoire de septembre 1944 à novembre 1945.
On ne retient ainsi que cette ordonnance gaulliste du 21 avril 1944, qui aurait enfin fait des femmes des citoyennes. Peu importe si cette ordonnance trouve son origine dans un amendement du 24 mars 1944, défendu par le député communiste Fernand Grenier à l'Assemblée consultative provisoire d'Alger. Il a répondu avec aplomb aux réticences de certains élus en débutant sans équivoque par : « Je dois avouer qu'aucun des arguments exposés ne m'a convaincu. ». Sans doute que cette origine fut oubliée à la faveur de l'appartenance politique et sociale de ce fils de la bobineuse Léontine Ghesquière, disparue à ces 9 ans, quelques années avant la quarantaine (au chapitre prochain, cette histoire cruellement ordinaire pour tant d'ouvriéres et d'ouvriers se répétera).
L'évangile continue lors de l'évocation de la suppression du salaire féminin en 1946, celui-ci même qui instituait un abattement de 10 % sur le salaire des femmes, puisqu'une femme était une femme et un homme était un homme. Vaste réflexion de nos législateurs. Qui au juste aborde le fait que cette décision portait la signature du ministre du Travail et de la Sécurité sociale Ambroise Croizat ? Encore communiste et par un hasard surprenant fils de la modeste employée dans un tissage de velours, Louise Jeannette Piccino.
Si un ouvrier qui fut un ancien ministre n'arrive qu'à peine à exister dans notre Histoire, alors que dire de celles qui furent ouvrières. Que dire de Marie Bluet ? Effacée des programmes scolaires, même pas une ligne ou un mot sur sa personne, au point que son nom ne puisse faire surgir que des plaisanteries un brin facile (seulement un jeu de mot autorisé, attention pas plus, donc choisissez-le bien). Or, celle que fut Marie Bluet, semble alors imprégnée d'un brouillard d'oubli.
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