« Légalement, la femme a un salaire inférieur par le seul fait qu’elle est femme », exprimera Marie Couette.

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Les hauts faits de la résistante suscitait admiration et respect autant à la CGT qu'au Parti communiste. Si bien que son élection au bureau provisoire de l'Union des syndicats de la Région parisienne confirmât la portée de son influence le 7 octobre 1944. D'ailleurs, bien assez d'influence, afin qu'elle soit désignée par la CGT parmi les douze délégué.es dans sa représentation à la deuxième Assemblée consultative provisoire en novembre 1944, dont le siège était à Paris, en attendant les élections constituantes à la fin de l'année 1945. Elle sera secrétaire de la Commission du Travail et des Affaires sociales, initiée et présidée par Ambroise Croizat, siégeant lui aussi pour la CGT.

Paris libéré, il n'y avait plus qu'à se réjouir et souffler, très peu pour la nouvelle déléguée, qui disposait des moyens de changer les choses. Surtout que ce terme de « dame-employée » lui trottait encore sûrement dans la tête, en outre passer cette sombre période, tout était à reconstruire, dont la position de la femme dans la société française. Une décision du gouvernement provisoire, récemment formé, réveilla cette pensée. De premier abord, cela semblait être une « prime insurrectionnelle » octroyée aux militants salariés pour leur contribution aux combats de la libération de Paris. Sauf que le diable du patriarcat se cache dans ce qui semblait à certains un détail, les femmes ont été amputées de 10 % de son montant, conformément à l’usage et à la loi disposant de l'abattement sur les salaires féminins.

Marie Couette prendra la tribune que lui offrait ainsi l'Assemblée consultative et déclarera avec assurance :
« Les femmes qui ont lutté à côté des hommes, par tous les moyens en leur possession, pour la libération du territoire, n’acceptent plus d’être des travailleuses au rabais, des citoyennes diminuées. […] Les salaires spécifiquement féminins doivent disparaître des conventions collectives pour être intégrés dans l’échelle générale des salaires, établis selon la seule qualification du travailleur. »

Marie et ces compagnes de lutte ne se laissèrent pas impressionner par cet usage vieux de plusieurs siècles, soi-disant frappé par un principe intangible. Loin d'intéresser le ministre du Travail Alexandre Parodi, qui se révéla clairement sourd à cette exigence, et se contenta de dire que ce n'était pas à l'ordre du jour. À la faveur d'un gouvernement d'union nationale, à peine toléré par la droite (subordonnant les communistes à un pouvoir minoré), à la suite des élections constituantes du 21 octobre 1945 légitimant la place de premier parti de France du PC, la militante se savait désormais un précieux allié au gouvernement.

En effet, son camarade communiste Ambroise Croizat avait accédé au ministère du Travail, devenu aussi celui de la Sécurité sociale, étant donné sa persistance à vouloir mettre en place un régime général de la Sécurité sociale (émanation du programme « Les jours heureux » du CNR) dès 1944, alors qu'il occupait différents hauts postes syndicaux et politiques. Ce projet fut rapidement dévoyé par l'ordonnance d'octobre 1945, à laquelle il ne put véritablement s'opposer, même en tant que ministre, puis l'initiative patronale de l'ARGIC au printemps 1947 (régime complémentaire vieillesse des cadres), étendue à tout le privé avec l'ARCO (définitivement institué en 1961), et ainsi de suite. Dès lors, son autorité au ministère dépendait bien plus de ses alliés à l'extérieur du gouvernement, qu'à l'intérieur de celui-ci. C'est pourquoi il était nécessaire que les ouvrières incarnent une pression, susceptible de lui permettre de balayer le salaire féminin.

Le journal « Vie ouvrière » fut un des centres névralgiques de cette effervescence des ouvrières, qui brandissaient chaque semaine des pages de pétitions et d'articles incessants au moyen de la rubrique « Coin de la Femme », puis « Page de la Femme ». Si un homme avait la prétention de venir piailler ces préjugés infamants envers les femmes, il ne sortait pas indemne d'un débat, assailli par les propos argumentés et incisifs de Marie Couette.

Elle en appella dans ce passage éloquent à ce que les femmes ouvrières se saisissent du moment pour faire entendre leurs voix :
« Au moment où, lors de l’insurrection de Paris, des femmes se sont engagées pour les soins aux blessés, le ravitaillement des FFI, les liaisons, on voit la prime insurrectionnelle réduite de 10 % pour les femmes. Camarades ouvrières, soyez vigilantes. C’est dans la mesure où les femmes seront nombreuses dans les syndicats et dans les postes de responsabilités, qu’elles pourront faire entendre utilement leur voix et contribuer à un mouvement syndicaliste fort, constructif et inspiré. »

Certains auraient postulé qu'elle prenait le rôle de leader naturel du mouvement, au vu de la dimension peu contestable de sa puissance politique et syndicale. Pour autant, ne cédons pas à une personnification choyée dans notre Histoire nationale, tellement d'ouvrières aux noms occultées furent à la pointe de la lutte. En l'occurrence, la création de commissions féminines s'amplifia au sein des fédérations, des unions départementales ou bien quelquefois dans les syndicats. Ce qui illustre l'existence de tant de militantes qui ont revendiqué et exigé que les ouvrières soient prises en compte parmi le mouvement ouvrier, et par extension la société. Cela induira une décision du comité confédéral national de la CGT, qui institua une commission féminine confédérale, comprenant des déléguées de chaque fédération, élisant à l'unanimité Marie Couette Secrétaire de cette commission inédite.

Au terme de tant de batailles, teintées de défaites nuancées et de victoires partielles, après une vie entière dédiée à ôter ce terme si symbolique de « dame-employée » qu'on lui avait imposé de porter, l’arrêté du 30 juillet 1946, portant la signature tant attendue d'Ambroise Croizat, disposa de la suppression de tout abattement sur les salaires féminins. « La Vie ouvrière » titrera sur « Une grande victoire ! ». En d'autres termes, Marie Couette dira elle-même que c'était enfin la suppression au niveau légal du « salaire féminin », même si les inégalités de salaire demeureront comme on le sait, tel un héritage de cet avilissant salaire féminin.

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