« Lowell Labour Female Reform Association »
Le précieux journal de propagande, «The Lowell Offrande», fut acquis par le représentant d'État William Schouler en octobre 1842, se propulsant rédacteur en chef. Cet ami des propriétaires de l'usine s'avérait sans doute la meilleure garantie imaginable de l'indépendance d'un journal entaché de soupçons à ce propos. La censure a alors foudroyé les publications d'ouvrières, telles que Sarah Bagley, sous prétexte de distiller une pincée de critiques au sein de leurs textes.
La condition de la classe ouvrière pouvait atteindre un degré oxymorique considérable, dans la mesure où les ouvrières étaient enchaînées à des usines, tirant leur économie de l'institution de l'esclavage, ce qui ne paralysait pas nombre d'entre elles pour braver cette institution, poussant l'exploitation à son paroxysme. Une institution pesant 33 millions d'heures de travail par an, symbole de l'ignominie d'une société.
Certes, des personnalités opposées à l'esclavage, issues des milieux bourgeois, on en a compté quelques grandes figures. Toutefois, cela ne rivalise que peu avec l'abnégation de ces travailleuses, afin de se heurter à ce qui était au fondement de leur propre survie, le fait de pouvoir travailler.
(C'est un questionnement toujours d'actualité. Dans quelle mesure, une fille de deux parents salariés, ayant eu le hasard de naître en France, doit-elle méditer sur ce qui lui permet de vivre mieux que d'autres encore plus exploités que ses propres parents le sont ? Que dire lorsque la misère, ailleurs, est instrumentalisée comme justification de politiques amplifiant la précarité, à l'image des réformes du droit du travail ? Sans compter l'inconscience au sujet du réchauffement climatique, affectant toujours plus les pauvres ? Relativiser ? S'indigner ? S'émouvoir devant le sort des enfants mineurs sur son téléphone, infiniment contradictoire ? Une forme de mal du siècle de la jeunesse surgit encore, et cela, après celle décrite par Victor Hugo au XIXe siècle. Ce mal, est-il plus funeste ? Les problématiques sont toujours plus complexes ? La vie, n'est-elle pas plus douce actuellement qu'au XIXe siècle ? Pour combien de temps seulement ? Doit-on véritablement se lever, afin de transformer ce mal en jeunesse révolutionnaire qui va, encore Hugo ? Ce mal, est-il inhérent à la jeunesse de toute époque ? Finira-t-on par s'y faire. Cela se reproduira ainsi inlassablement vers une nouvelle génération, se posant les mêmes questions. Toute cette avalanche de considérations, sont-elles d'une futilité déconcertante au regard de la gravité qui se joue ? Peu importe ce qu'elles sont par rapport aux autres époques. Elles existent et sont là. Ou peut-être pas, en plus si j'étudie, cela me laisse moins de temps pour réviser mes partiels, ou juste flemme).
Pour chaque ouvrière souhaitant porter des revendications, ce lieu nommé l'« Anti-Slavery Hall » était notamment un carrefour de rencontres politiques à Lowell. Sarah Bagley commençait à entreprendre le choix évoqué au précédent chapitre, celui de la lutte. Elle y fit la connaissance de cinq autres travailleuses, un jour de décembre 1844, lui octroyant le moyen de bâtir la « Lowell Labour Female Reform Association », dont elle sera présidente.
Sarah Bagley inaugurera le syndicat par ces termes : « il a été considéré comme une violation de la sphère de la femme de comparaître devant le public en tant qu'orateur, mais lorsque nos droits sont bafoués et que nous faisons en vain appel aux législateurs, nous ne faisons qu’appeler le peuple », énonçant qu'il faut considérer indiscutablement que les femmes sont aussi le peuple !
Quelques éléments programmatiques :
- Amélioration des conditions de travail.
- 10 heures par jour (ce qui semble encore un temps de travail insuffisant, lorsqu'on écoute de nouveau certains).
- Exiger une enquête sur les conditions de travail à Lowell par un comité de la législature du Massachusetts.
- Respect des « habitudes intellectuelles, morales et religieuses ». Un énième rappel que ces travailleuses sont des esprits, au même titre que ce que proclame d'eux-mêmes ceux qu'ils les exploitent...
- Prescrire une réforme d'envergure reconnaissant les droits des travailleuses !
Il ne faut pas se leurrer sur les conséquences d'une telle initiative, le licenciement de l'usine ne tardera pas envers notre présidente d'un syndicat d'ouvrières en 1844, composé jusqu'à plus de 600 membres. Il faut se rendre compte de ce que cela représentait à cette époque, tant de femmes prêtes à se consacrer à l'affrontement du patriarcat capitaliste, en somme 600 femmes face à une forme de Goliath. Des succursales du syndicat iront du Massachusetts à Waltham et Fall River, et même du New Hampshire à Manchester, Douvres et Nashua. Pour ceux qui ont du mal à s'imaginer cette géographie, c'est un périmètre d'influence aux alentours de 50/100 kilométres.
Il n'est pas romancé d'exprimer que c'est la première organisation de travailleuses aux États-Unis qui a réussi, sommant les hommes ouvriers de l'État du Massachusetts à se positionner, s'ils suivaient ou non ce puissant mouvement. Une coopération notable se fera alors vis-à-vis du « New England Workingmen's Association » (NEWA), plus grand syndicat d'hommes existant à ce moment. Sans que la présidente n'ait à céder une parcelle d'indépendance de cette organisation de travailleuses avant tout.
Sarah Bagley n'était pas seule à tenir les rênes, l'ivresse dionysiaque d'un pouvoir personnel s'avérerait tout sauf enivrant, en raison des périls pour une femme de s'emparer de ce statut. De plus, elle cédait volontiers la fureur de la domination à ces adversaires, s'entourant d'alliées déterminées.
Telle que Huldah Johnson Stone, qui a assuré avec brio le poste de secrétaire du syndicat de 1845 à 1846, accordant le bénéfice de son prodige tactique et organisationnel à l'organisation. Outre cela, elle exercera différentes fonctions d'influence au sein du NEWA.
Ces ouvrières, fraîchement devenues syndicalistes, n'ont pas repris les actions des travailleurs, comme les grèves ou les débrayages. Elles ont innové les stratégies syndicales, en témoigne l'association de pique-niques à des rendez-vous politiques de collecte de fonds, ou bien l'encouragement à adhérer au moyen de prestations de santé pour les membres cotisants.
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