En proie aux affres de la ségrégation elles aussi ?
Le 11 février 1990, et cela, du haut de ses 72 ans, le héros de toute la lutte contre l'apartheid, menée jusqu'aux geôles de l'île de Robben Island, au large du Cap, et aux prisons de Pollsmoor et de Victor Verster, a triomphé. Libre. Il symbolise cela par des gestes de ses mains marqués par ces années de réclusion. Il saisit aussi sa femme, du moins elle l'était alors encore, celle qui a été le pilier de cette même lutte, Winnie Madikizela-Mandela. Sans dénier les hommages rendus au combat de celui qui deviendra le premier président noir sud-africain en 1994 (qu'il est hallucinant de juste lire cela, le premier président noir d'un pays pourtant africain, l'aberration même de la ségrégation...), tout comme à ses camarades masculins (Desmond Tutu, Govan Mbeki, Ahmed Kathrada, Oliver Tambo...). Qu'en est-il des batailles livrées par les femmes ?
Aura-t-on juste le droit aux débats sans fin au sujet de Winnie, dont il n'est pas indispensable de préciser que sa proximité auprès de son mari lui permit de cultiver sa grande popularité, coincée entre l'image de la libératrice de son peuple et la meurtrière corrompue obsédée par le pouvoir ?
Proclamant refuser la compromission des gouvernements successifs, cédant le pouvoir économique aux élites blanches, au détriment des populations noires. Proclamant en substance que la lutte armée serait préférable à l'hypocrisie du nouveau système sud-africain.
Un être aux convictions sans failles, tourmenté par le dévoiement des sacrifices de ceux qui ont tout donné à la lutte, au service de ceux qui prendront les rênes du pays ? Elle sera accablée du blâme de l'infidélité par son propre mari et ces soutiens. Ce prétendu péché, qu'on ne reproche bien souvent qu'aux femmes, puisque les grands hommes, eux, sont des grands hommes. Tandis que les grandes femmes demeurent des femmes, inlassablement soumises à des exigences différentes, et incarnant le rôle de la fille de..., de l'épouse de..., de la mère de... Elle qui avait accompli des actes terribles, auxquels elle aurait exprimé ces regrets, par exemple envers une mère endeuillée de la mort de son si jeune fils, au nom de cette lutte... Tout cela pour que tout change, sans que rien ne change fondamentalement ? Si cruellement oxymorique.
Un être sans foi ni valeurs, qui ne cessera d'imposer son emprise, et qui savait qu'agir contre l'apartheid serait un moyen menant à cette fin tant recherchée. Tout comme se rapprocher de Mandela. Presque une mafieuse à la tête d'hommes dévoués, prêt à satisfaire ses pires desseins, ou orchestrant ces liens avec les populations défavorisées à la manière d'une Pablo Escobar. Ne serait-ce pas le retour patriarcal de la femme comme figure lilithienne une telle description, une telle légende noire ?
Sinon, tout à la fois ? Comment seulement savoir ? Héritage complexe à léguer aux générations de femmes sud-africaines futures.
Je retiens une femme noire africaine, considérant davantage les riches que les pauvres, à jamais révoltée par les impostures des pouvoirs en place. L'Histoire a dénié lui concéder une place, telle est la seule qu'elle pût probablement avoir ? Le 2 avril 2018, elle s'est éteinte, emportant toutes ses ambiguïtés, côtoyant la grandeur et l'horreur d'une existence dédiée à créer un autre monde pour son peuple. Winnie Madikizela-Mandela semblerait être l'unique figure de femme sud-africaine ?
Lilian Ngoyi ? Florence Matomela ? Francine Baard ? Helen Joseph ? Nonsikelelo Albertina Sisulu ? Dorothy Nyembe ? Amina Desai ? Makgoro Maletsoe ? Et tant d'autres...
La résistance, si fréquemment décisives de ces femmes politiques, syndicales, ne mériterait pas d'être gravée dans les mémoires aussi bien africaines qu'européennes ? Exilées, persécutées, emprisonnées, assassinées... Ne paraissent-elles pas avoir payé le même tribut que les hommes ? N'étaient-elles pas en proie aux affres de la ségrégation elles aussi ?
À l'image de Elizabeth Mafekeng.
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