Des plumes des deux frontières : Fadwa Touqan et Dahlia Rabikovitch
Je vous invite à entrer dans le regard de celle qui est surnommée la poétesse de la Palestine, Fadwa Touqan. C'est une de ses trop rares plumes reconnues, parmi ses palestiniennes aux écrits de talent.
Il faut se plonger dans la première partie de son autobiographie « Le Rocher et la peine », publiée en 1997. Sous sa peau d'une jeune enfant de jadis, accompagnée de sa vision désormais plus avertie, elle fait de la condition de sa mère le miroir de la condition de toutes les femmes.
« Ma mère n'était pas sévère par nature . Au contraire, elle était très sensible, prête à pleurer et à s'attrister au moindre motif , portée à la joie, au chant et au rire. Elle avait un tempérament gai et sociable. Pour être heureuse il lui fallait être entourée. Mais moi, je restais étrangement insensible à la contagion de sa nature joyeuse et avenante. Malgré cela je devinais , tendu au fond d'elle - même, un fil de souffrance invisible. Lorsque je grandis j'en compris les raisons : les contraintes sociales, l'assujettissement imposé aux femmes de notre maison. Je me rendis compte que sa mise à l'écart de la société était à l'origine de son ironie et de ses bons mots, qui lui procuraient une sorte de soulagement. Remarquable par sa beauté turque héritée de sa mère, elle se distinguait aussi par un esprit alerte et des réparties d'une grande vivacité . Elle avait en outre un don extraordinaire pour l'imitation, qu'elle transmit à l'ensemble de ses enfants . Elle me dit souvent comment elle perdait l'appétit lorsque mon père ou mon oncle autorisaient les femmes de la famille à assister à quelque fête familiale en ville. Sa joie à pouvoir sortir de la maison et voir le monde extérieur était indescriptible, comme elle disait , mais ce type d'événement ne se produisait qu'une ou deux fois par an. Parmi les occasions de sortie il y avait le bammam . En ce temps - là c'était un lieu de réjouissances pour les femmes de la ville . Pour moi aussi le jour du hammam était un jour de fête. ».
Cette mère aurait pu être Palestinienne, Française, Japonaise, Russe, Israélienne, Saoudienne, Indienne, Malaisienne, à divers degrés, chacune ressent ce fil de souffrance invisible de la mère de la poétesse. À ce patriarcat palestinien, il s'ajoute une autre oppression, celle de voir son pays colonisé, ses habitants massacrés, par un autre.
Elle l'illustre par son poème « Les martyrs de l'Infatitada » :
« Ils ont tracé la route vers la vie
l’ont pavée de corail et de forces jeunes
Ils ont levé leurs cœurs comme des pierres de braise,
des brûlots dans leurs mains et lapidé la bête du chemin.
Ils ont crié :
c’est le temps de se battre, lève-toi !
Leur voix a retenti aux oreilles du monde,
son écho a retenti aux oreilles du monde,
son écho s’est déployé jusqu’aux confins du monde.
C’est le temps de se battre , ils se sont battu, et ils sont
morts debout
astres scintillants
embrassant la vie sur la bouche.
Regarde-les au loin enlacer la mort pour exister encore …
S’élever jusqu’au plus haut devant les yeux de l’univers,
monter,
à leur sang encordé monter monter monter …
La mort traîtresse ne prendra pas leurs cœurs
car la résurrection, l’aube nouvelle, comme des songes les
accompagne sur le sentier du sacrifice.
Regarde-les, faucons, dans leur Intifada, ils attachent le
sol, la sainte patrie au ciel ».
De l'autre côté de la frontière, Dahlia Rabikovitch, née dans une famille juive, observe de son poème « Voler à basse altitude » le sort funeste d'une Palestinienne :
« Je ne suis pas ici.
Je suis sur ces collines orientales escarpées
striées de glace
où l'herbe ne pousse pas
et où une ombre large envahit la pente.
Une petite bergère
avec un troupeau de chèvres,
des chèvres noires,
surgit soudainement
d'une tente invisible.
Elle ne passera pas la journée, cette fille,
dans le pâturage.
Je ne suis pas ici.
Dans l'embouchure béante de la montagne brille
un globe rouge,
pas encore un soleil.
Une lésion de givre, rouge et maladive,
tourne dans cette gueule.
Et le petit s'est levé si tôt
pour aller au pâturage.
Elle ne marche pas le cou tendu
et les regards aveugles.
Elle ne peint pas ses yeux avec du khôl.
Elle ne demande pas, D'où vient mon aide.
Je ne suis pas ici.
Je suis dans les montagnes depuis plusieurs jours maintenant.
La lumière ne me brûlera pas. Le gel ne peut pas m'atteindre.
Plus rien ne peut m'étonner maintenant.
J'ai vu pire dans ma vie.
Je serre ma robe autour de mes jambes et plane
très près du sol.
À quoi supplée-elle, cette fille ?
Sauvage à regarder, non lavé.
Un instant, elle s'accroupit.
Ses joues de soie douce, des
engelures sur le dos de sa main.
Elle semble distraite, mais non,
en fait elle est alerte.
Il lui reste encore quelques heures.
Mais ce n'est peut-être que l'objet de mes méditations.
Mes pensées, douces comme couette, m'enveloppent confortablement.
J'ai trouvé une méthode très simple,
pas tant qu'une largeur de pied sur terre
et pas en vol non plus -
en vol stationnaire à basse altitude.
Mais alors que le jour tend vers midi,
plusieurs heures
après le lever du soleil,
cet homme gravit la montagne.
Il a l'air assez innocent.
La fille est juste là, près de lui,
pas une autre âme autour.
Et si elle court se mettre à l'abri ou crie,
il n'y a pas d'endroit où se cacher dans les montagnes.
Je ne suis pas ici.
Je suis au-dessus de ces chaînes de montagnes sauvages
aux confins de l'Orient.
Pas besoin d'élaborer.
Avec une seule poussée de hurling, on peut planer
et tourbillonner à la vitesse du vent.
Peut faire une escapade et me persuader :
je n'ai rien vu.
Et la petite, ses yeux sortent de leurs orbites,
son palais est sec comme un tesson,
quand une main dure lui saisit les cheveux, la serrant
sans pitié ».
L'auteuresse, happée par la justice sociale et l'aspiration à la paix, se sait la poupée mécanique du patriarcat, que la frontière ne fait cesser ni en Israël ni en Palestine :
« Poupée Mécanique
J'étais une poupée mécanique, mais
cette nuit-là, j'ai tourné à gauche, à droite, en rond et autour
Et je suis tombé sur mon visage, fissuré sur le sol,
Et des mains habiles ont essayé de me reconstituer à nouveau.
Puis une fois de plus j'étais une vraie poupée
Et toutes mes manières étaient sages et polies.
Mais je suis devenu une marchandise endommagée cette nuit-là,
Une brindille fracturée avec seulement des vrilles pour empêcher une chute.
Et puis je suis invité à danser au bal
Mais ils m'ont jeté avec les chiens et les chats qui se tordaient
Bien que tous mes pas aient été mesurés et fidèles.
Et mes cheveux étaient dorés, et mes yeux étaient bleus
Et j'avais une robe imprimée de fleurs de jardin étendues,
Et une garniture de cerises clouée à mon chapeau de paille »
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