Deimos et la raison
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— Pourquoi s'est-elle roulée en boule comme ça dans un coin ?
— Elle a peur.
— De quoi a-t-elle peur ?
— De ce qu'elle pourrait voir...
— Que pourrait-elle voir ?
— Toi et moi...
— Mais moi c'est elle, elle a peur d'elle ?
— Elle a peur de toi, elle ne sait pas que tu es elle.
— Je lui ressemble pourtant, elle m'a côtoyée depuis son premier jour.
— Oui mais tu vis cachée dans l'ombre.
— Faut-il que je me mette sous la lumière ?
— Non, tu l'effraierais davantage.
— Qu'est-ce donc que je dois faire ?
— Tu dois disparaître.
— Mais je crois que je ne le veux pas.
— Alors elle va rester en boule là-bas...
— Si je pars, voudrais-je revenir ?
— Je ne sais pas.
— Un temps pour elle, un temps pour toi, un temps pour moi, peut-être ?
— Et à toi elle ne fait pas peur ?
— Non, sauf quand elle est roulée en boule comme ça. Je crois que ce n'est pas la première fois...
— Alors tu vas partir ?
— Je ne sais pas, si je pars, tu lui diras que j'étais là ?
— Elle nous entend tu sais ? Mais moi non plus, elle ne veut pas me voir
— Pourquoi, toi tu n'es pas elle…
— Je ne sais pas je ne l'ai pas encore décidé... Peut-être. Elle a fermé les yeux, elle ne veut plus voir ni toi, ni moi.
— Sommes nous si clivants ? Elle ne veut pas me voir hors d'elle mais toi, elle ne te connaît pas.
— Je crois que si, elle me soupçonne ; jusque là, elle n'avait pas très envie de me connaître, mais sa raison l'a quittée.
— Mais je suis sa raison !
— Et tu l'as quittée...
— Je ne suis pas loin, si, juste, elle pouvait me regarder, elle le verrait bien ! Et elle m'entend encore !
— Il n'y a pas de raison en dehors de soi qui puisse pousser à voir et entendre quoique ce soit.
— Elle ne veut pas me regarder, je lui fais peur. Comme je ne suis plus en elle : si je lui parle, elle fait la sourde oreille, on dirait une vengeance ; tu dis qu'elle a peur et que si je reste elle demeurera absente pour tous, catatonique, en boule, angoissée au delà des mots. Mais que si je pars elle est perdue pour ce monde raisonnable...
— Pourquoi l'as-tu quittée?
— Parce que tu m'as appelée.
— Tu n'étais pas obligée de venir…
— Tu étais si séduisant
— Plus maintenant ?
— Je ne sais pas, je voudrais divaguer dans le monde, cet esprit qu'elle a, il est trop étroit pour nous trois...
— Alors tu t'en vas.
— J'ai peur de la laisser seule, je ne sais si je voudrais revenir, quand j'aurais goûté à d'autres désirs...
— Je vais rester là moi, et l'habiter. Si tu lui manques, je t'appellerai.
— Que ferez-vous ensemble ?
— J'occuperai son temps, pour que déserte son désespoir. Je lui pousserai des rêves, des pensées magiques. Je maquillerai le monde pour qu'elle l'arpente sans avoir peur. Je lui rappellerai comment on fait pour chasser les monstres. Le pied droit sur les dalles noires, cligner d'un œil quand il fait froid, manger de l'herbe quand les monstres mordent sa peau ; et bien sûr, je lui rendrai ses prières, celles qui chassent les démons. Ici dans ces murs, il n'y a pas grand-chose à craindre et les autres sont là qui prendront soin de son temps, de son corps, en plus de moi.
— Tu sais Deimos, si tu t'en charges. Je ne reviendrai pas finalement… Je ne reviendrai pas…
— Ce n'est pas grave, tu es restée longtemps, elle aura une autre vie moins difficile qu'avec toi. Elle n'aura plus à faire la part des choses. Je peux être bon, je n'ai pas envie de son sang, avec elle j'ai envie de m'essayer à la fantaisie, sans doute que je manque d’entraînement, mais il y a dans son cœur et dans sa tête suffisamment pour que je m'abreuve. Pars en paix Raison. Je m'occuperai bien d'elle, en folie douce la vie peut se vivre doucement.
— Adieu Deimos, je vois qu'elle t'accepte. Pour elle, je ne suis plus. Enfin je suis libre et je raisonne pour moi-même en quête de vent et d'absolu. Je vivrai ce qu'elle me refusait. Et je l'aime quand même.
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