Chapitre 8 - partie 1
Il faisait chaud, très chaud. Et les odeurs écœurantes du restaurant n’arrangeaient bien. Qui pouvait bien manger ici de toute façon ? Cette échoppe minuscule, toute en longueur comportait un aquarium où une étrange créature marine à 8 yeux barbotait avec ses tentacules dans ce bassin, parfois elle sortait sa petite tentacule du bocal comme pour tenter de prendre la température de l’air. C’était bizarre. Non, le plus bizarre c’était la vieille dame qui tenait la boutique, elle souriait trop. Très petite, trapue, elle avait assez de plis sur le visage pour ressembler à ses chiens dont on ne voit même plus les yeux. Il était bien évident qu’elle n’était pas humaine. Il faut dire que sa bouche se dessinait jusqu’aux oreilles.
Une personne peu habituée dirait que Faerietown était un concentré de chose étrange et exotique. On y parlait une vingtaine de langues, il y avait des créatures de toutes sortes, bien souvent très petites et même certaines minuscules, si bien qu’il y avait de petits trottoirs en hauteur qui leur était dédié pour éviter que les passants leur marchent dessus. Faith respira l’air chargé d’odeur de nourriture des stands mobiles. Les couleurs des bâtiments assemblés chaotiquement étaient un tableau regroupant toutes les nuances et les styles différents. Parfois, des arbres se faisaient une place de force en traversant le bitume du trottoir pour pouvoir dessiner les routes de leurs ombres. Mais ce n’était rien face à la foule qui grouillait de vie à chaque instant, on aurait dit que ce quartier ne dormait jamais. Il y avait tellement de choses, de vie qu’elle n’aurait jamais pu les prendre en notes. Des fois, elle aimait fermer les yeux pour profiter de cette ambiance intemporelle.
Elles longeaient la rue principale et marchaient vers New Avalon, la voie commerçante où se trouvait l’usine à bonbons.
Devant le bâtiment se trouvait une cour poussiéreuse où un camion était en train d’être chargé. Sur la façade détériorée par le temps, on avait peint récemment en grosses lettres bleues « Lomeron & co : Faellissons et autres sucreries». L’intérieur semblait plus riche et sa prospérité n’était plus à débattre. Un comptoir impressionnant avec des vitrines montrant tout les produits, ainsi que des coupes des prix gagnés. Les étagères soutenaient des bocaux de bonbons colorés, des bouteilles aux liquides pastels et d’autres fioles colorées et quelques alambics.
Évidemment, entrer et accuser le propriétaire pour connaître ces comptes n’étaient pas forcément la bonne marche à suivre, il fallait prendre de la hauteur et ruser. Ou simplement avoir un peu de chance : ce ne serait pas Toad là bas par hasard ?
Un sourire mesquin apparut sur son visage alors qu’elle avançait vers la petite créature verte aux mains palmées.
— Bonjour Toad, belle journée n’est-ce pas ?
— C’est nul comme approche, en plus je ne m’appelle pas Toad. Je m’appelle Urapak Mo… avant d’être coupé par un autre employé.
— Hey, Toad, tu chargeras ces caisses après.
Il fronça les yeux avant de regarder les deux femmes.
— De toute façon vous n’en avez rien à faire. J’ai toujours le droit à ce surnom à la con. Et puis j’suis sûr que vous auriez pu trouver pire.
Il s’arrêta, pour mieux la toiser.
Qu’est-ce que tu fais ici ? Tu veux acheter des bonbons ?
— Quelque chose comme ça.
— Oh je sais, tu viens faire une surprise à Rémy, c’est vrai qu’elle adore nos bonbons. Elle commande presque toutes les semaines. Ça lui fera une bonne surprise. C’est gentil de ta part.
— Je suis quelqu’un de très gentil.
— Faut voir, ça dépend de ton humeur, hésita-t-il.
— Pardon ? répliqua-t-elle avec un regard de gorgone. Le batracien se mit à paniquer.
—Je disais, c’est sûr tu es toujours de bonne humeur, se rattrapa-t-il.
Elle se contenta de le regarder, pendant qu’il avalait difficilement sa salive, puis soudain elle se mit à sourire l’air de rien. Faith jouait au chat et la souris et elle ne le ratait jamais.
— À vrai dire je voulais lui faire une surprise plus spéciale, tu crois que je pourrais en discuter avec ton boss.
— Monsieur Lomeron ? Je sais pas… si t’as pas rendez-vous, tu pourras pas. En plus c’est quelqu’un qui a des plannings super serré, il est pas du genre à prendre du temps pour les autres.
— Je suis sûre que tu peux nous arranger cela. Tu as l’air d’être plutôt respecté ici ?
— Ouais, j’ai pas mal de responsabilités.
— Tu n’auras donc aucun mal à nous faire entrer ?
— C’est vrai… Attends t’essaierais pas de me manipuler ? Je me ferais pas encore avoir par tes flatteries. La dernière fois, j’ai perdu mon job dans le gang des Angelos boy. En plus je te dois plus rien, j’ai remboursé ma dette.
Elle prit une moue triste en soupirant :
— À vrai dire je m’en veux beaucoup pour la dernière fois. Je ne pensais pas que ça finirait comme cela. Si je pouvais, je ferais les choses différemment. Mais après tout, tu avais fait la bonne chose, grâce à toi on a pu retrouver la fille de Mr Sanchez. Tu es un peu son héros.
— C’est vrai, chuchota-t-il pour lui.
— C’est pour cela, je vais être honnête avec toi. J’ai besoin de toi. À vrai dire si tu ne m’aides pas je ne pourrais pas le faire. Ces gardes à l’entrée ont l’air d’être des gros durs, je ne pourrais pas m’en occuper sans toi.
— C’est sûr, sans mon aide tu passeras pas la porte d’entrée.
—Alors je peux compter sur toi ?
Il se figea. La regarda. Fit rouler sa tête sur ses épaules d’un tour complet. Puis à contrecœur annonça :
— D’accord, mais je veux pas d’ennuis.
— Je serais sage, annonça-t-elle presque enfantine.
— OK, suivez-moi.
Alors que Toad avançait, Eho se rapprocha de Faith en chuchotant « c’est mesquin ». Son amie lui retourna un sourire tout sauf angélique.
Elles entraient par la porte de service, saluèrent de la tête les autres employés, Toad passa sa carte dans l’appareil de sécurité qui ouvrit les portes. Derrière un vigile attendait, Toad inventa maladroitement une histoire comme quoi elles étaient là pour le service publicité. Le vigile semblait exaspéré par le petit être et très peu enclin à les laisser passer. Soudain, il eut un appel providentiel qui le fit s’éloigner de la porte assez longtemps pour que le duo puisse passer sans encombre.
Cependant, il y avait un autre contrôle au niveau des services de l’administration et la carte d’identification de Toad ne serait d’aucune utilité.
Il baissa les yeux, pour entamer quelques excuses, mais tout à coup une femme sortit de derrière paniquée.
— Ah vous, vous êtes le mons...gars des services de livraison ?
— Oui, m’dme.
— Rendez-moi un service, allez livrer le café au bureau du directeur.
— Comment ça ?
Elle souffla comme un buffle à la fois agacé et pressé.
— Le secrétaire est absent, je l’ai donc remplacé. Mais j’ai un rendez-vous avec un investisseur donc quelqu’un doit me remplacer. Compris ? Sa voix était presque insultante tant qu’on avait l’impression qu’elle s’adressait à un enfant de 3 ans.
— Oui, m’dme.
— Bien.
— Mais qu’est-ce que je dois faire ?
— Amenez-lui juste le café. Tenez voilà la carte. Rendez-la-moi à mon retour.
Toad retourna vers elles les yeux brillants de joie, alors que la détective semblait plutôt blasée. Faith sourit un « quelle chance qu’on a alors» très ironique.
Si Toad n’avait jamais été une lumière, il avait été gratifié d’une chance insolente. Selon lui, Dieu avait contrebalancé ce don en lui donnant à sa mère très possessive une chance encore plus insolente. Voulant se rebeller en jouant les voyous, il s’était retrouvé dans des petits gangs à jouer les coursiers. Par des hasards qui lui étaient propres, Faith l’avait retrouvé un nombre incalculable de fois sur sa route, au point qu’elle se demandait si le hasard existait avec lui.
Annotations
Versions