Libère-moi #extrait

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- Déshabille-toi. Je vais te laver.

Mon sang se glace. Je me fige, les poings crispés.

- Déshabille-toi, répète-t-il de son habituel ton calme et inquiétant. Sinon c’est moi qui m’en charge pour toi.

- Je peux m’occuper de moi toute seule, lâché-je d’une voix blanche.

- Tu n’as pas compris. Ce n’est pas toi qui décides, fait-il sèchement.

Je ne bouge pas. Le silence s’installe quelques secondes. Il attend. Je suis incapable du moindre mouvement, tétanisée à l’idée d’enlever le peu de vêtements qu’il m’autorise à porter depuis qu’il me retient ici. Je ne veux pas qu’il me touche. Je dois le faire moi-même. Il le faut.

J’attrape l’ourlet du bas de mon débardeur crasseux et le fais passer par-dessus ma tête avant de le jeter à terre. J’essaye de penser à autre chose. Ne pas penser qu’il est là devant moi à me regarder me déshabiller. Ne pas penser qu’il me reluque sous tous les angles alors que mes doigts tremblants défont les agrafes de mon soutien-gorge dans mon dos. Ne pas penser qu’il existe, à seulement un ou deux mètres de moi, pendant que je tire sur l’élastique de ma culotte pour la faire glisser le long de mes jambes. Oublier sa présence, alors que je suis totalement nue, debout, et que je n’ai pas assez de mains pour cacher toute ma féminité.

- Bien. Enlève tes mains. Inutile de te cacher comme une petite fille pudique, tu n’as plus huit ans.

Sous ce bandeau qui m’évite d’avoir à supporter la vision de cet homme, j’ai envie de mourir sur place. Juste de mettre mon cerveau en off. Débrancher et ne plus avoir cette voix dans ma tête qui me hurle que je suis nue à la merci d’un pervers de la pire espèce.

- Je t’ai dit d’enlever tes mains. Je déteste me répéter, gronde-t-il.

Malgré toute ma volonté, je ne parviens pas à bouger. Ce n’est rien, dis-toi que c’est comme chez le médecin, enlève tes mains nom de Dieu ! J’aurais dû garder mes vêtements. Comment ai-je réussi à les enlever d’ailleurs ? La tête rentrée dans les épaules, les bras serrés contre mon corps tremblant de froid et d’effroi, je n’arrive pas à calmer ma respiration.

Je l’entends soupirer.

- Je pensais que la boîte t’avait permis de méditer suffisamment sur ta conduite. Tu semblais plus calme ces derniers temps. Tu as même réussi à gagner le droit de sortir et de te purifier. Je trouverais cela très dommage de devoir recommencer à zéro…

La boîte. Rien qu’à l’entendre l’évoquer, ma peau se hérisse, et j’ai l’impression que je vais hurler de nouveau. Je ne veux pas y retourner. Jamais. Je ramène mes bras tendus le long de mon corps, en baissant la tête à m’en faire mal à la nuque, comme si cette position pouvait suffire à me faire rentrer dans le sol pour que j’y disparaisse.

- Voilà qui est mieux, commente-t-il après quelques secondes de silence.

Je crispe les poings. Je voudrais me convaincre que rien de ceci n’est réel. C’est un cauchemar sans fin où chaque péripétie est plus glauque que la précédente. Il faudrait que j’arrive à faire comme dans la boîte : laisser mon corps sur place et faire s’évader mon esprit très loin, là où personne ne peut me faire du mal. Sauf qu’il est là. Et sa voix et sa proximité grandissante, associées à ma nudité, me terrifient au plus haut point.

Il se campe devant moi. J’ai un mouvement de recul.

- Tiens-toi tranquille ! Montre-moi tes mains.

Je les lève à hauteur de ma poitrine. Il attrape un de mes poignets. Je sens aussitôt le métal froid enserrer ma chair et un cliquetis métallique confirmer la sentence.

- Vu ton état, je m’attends à ce que tu te débattes comme une folle pour la suite, et nous savons tous les deux où cela va te conduire. Ceci devrait te canaliser, conclut-il en verrouillant la seconde menotte.

Je serre les dents pour empêcher mon menton de trembler. Je voudrais lui dire que je vais me tenir tranquille et qu’il n’a pas besoin de faire ça. Je suis affaiblie par ces jours de privation et toujours aveugle, je ne vois même plus où trouver la force de lutter. Si la révolte gronde toujours en moi, la résignation a pris le dessus pour me montrer une voie de survie à cet enfer.

Je sens que je vais fondre en larmes sous le bandeau, mais je me rappelle à quel point la sensation est désagréable, et comme le tissu mouillé de sel peut brûler mes paupières. Je ravale avec peine les sanglots qui compriment ma poitrine.

- Recule, me dit-il en me poussant légèrement.

Je fais quelques pas en arrière jusqu’à sentir le carrelage froid contre mon dos. Il prend mes mains pour les lever au-dessus de ma tête. Je sens qu’il fixe la chainette des menottes au plafond, à un crochet peut-être. En tout cas je ne peux pas m’en défaire.

- Reste calme, gronde-t-il de nouveau en voyant ma piètre tentative pour me défaire d’une situation que je sais d’avance perdue.

Il me saisit par les hanches, me faisant violemment sursauter, pour me faire pivoter sur moi-même. Mes seins frôlent la surface froide du mur face à moi, et l’effet est assez désagréable. Je suis à fleur de peau. Respire. Respire.

J’entends soudain l’eau couler sur ma gauche. Une flaque glacée vient lécher mes pieds, tandis que des gouttelettes hérissent la peau de mes jambes. Etrangement, la température ne me parait pas pire à affronter que la situation dans laquelle mon ravisseur m’a placée. Je me sens épuisée, de fatigue et de stress. Dans cette espèce de jeu pervers et malsain, je ne comprends pas encore la moitié des règles. Mais je sais d’instinct cette fois que la meilleure solution sera la docilité. Je ne bouge donc plus.

- Bien, commente-t-il après quelques instants.

Je sens alors l’eau se réchauffer progressivement autour de mes orteils. Alors qu’elle atteint une température acceptable, je prends conscience de la puanteur que je dégage. L’odeur âcre de ma sueur et de ma crasse se mêle à la vapeur qui envahit peu à peu l’espace. Comment peut-il aimer me laisser croupir des jours dans des conditions aussi dégradantes ? Je me dégoute. Et je me plais à imaginer que je le dégoute aussi en cet instant, qu’il va me détacher et me dire de me récurer seule. Mais non.

La pomme de douche arrose généreusement mes cuisses, mes fesses, puis mon dos et mes épaules, m’arrachant malgré moi un soupir de contentement. Dieu qu’il est bon d’enfin pouvoir se laver. Je voudrais pouvoir m’immerger entièrement dans un grand bain et en ressortir propre, lavée de toute cette saleté et de ces angoisses qui me collent à la peau. A défaut, y rester, m’y noyer, pour ne plus avoir à affronter des jours comme ceux que je viens de passer.

Il cale la pomme en équilibre dans le creux entre mon cou et mon épaule. Un cliquetis et une pression au niveau de ma nuque. J’arrête de respirer. Et soudain je sens les multiples lanières du bandeau desserrer leur étreinte autour de mon crâne et de mon visage. Oh mon Dieu…

Je cligne des paupières doucement, à plusieurs reprises. J’ai l’impression qu’elles sont collées, que mes yeux sont secs et ratatinés. J’aimerais les frotter mais je ne peux pas. Ma vision est trouble, je ne distingue rien. Il ne semble pas y avoir de lumière, ou très peu, mais la simple pénombre me semble être éblouissante. Il reprend la pomme, et soudain, l’eau inonde ma tête, m’arrachant un petit cri de surprise. Elle ruisselle sur mon crâne rasé, et sur mon visage, enfin débarrassés de leur étau. J’avais presque perdu espoir qu’il me libère de cette entrave et me rende la vue. L’immense soulagement que je ressens se heurte à l’impuissance de ma situation. Si ma vision se rétablit petit à petit, je ne vois toujours aucune issue en ma faveur. Je pose mon front contre le carrelage sombre du mur. Je tremble. Ne pleure pas.

J’entends le grincement du robinet alors qu’il coupe l’eau. Sa main se pose sur ma nuque. Je me raidis aussitôt. Je sens la pression de ses doigts, comme une menace silencieuse. Pourvu qu’il n’ait pas remarqué ma faiblesse. Pourvu qu’il ne me punisse pas pour cela. Il semble attendre. Je me force à reprendre le contrôle de moi-même.

Il a sa main posée sur moi.

Je relève la tête et concentre mon attention sur les joints du carrelage. Ce n’est pas du carrelage d’ailleurs. C’est de la mosaïque, des petits carreaux d’un centimètre de côté, noirs ou bleu foncé ou vert sapin peut-être. Il fait trop sombre pour que je distingue la nuance. Sa main est toujours sur moi.

J’ai la gorgé serrée, la poitrine oppressée. Respire. Ça fait beaucoup de petits carreaux. Respire. Combien peut-il y en avoir ? Sa main est toujours sur moi.

Est-ce que la personne qui a conçu cette douche les a posés un par un ? Respire. Non, ce serait titanesque comme travail. Sa main est toujours sur moi.

Combien de carreaux sur ce simple pan de mur ? Un, deux, trois, quatre… vingt-six... Il retire sa main.

- Tu fais d’immenses progrès, apprécie-t-il

Je continue à respirer calmement en fixant le mur. Vingt-sept. Vingt-huit. Vingt-neuf. Trente. Trente-et-un. Quand j’étais dans la boîte, j’ai trouvé le moyen de m’échapper mentalement, de laisser mon enveloppe physique sur place et de m’évader par l’esprit. Quarante-quatre. Quarante-cinq. Quarante-six. Il me semble qu’à chaque carreau dénombré, la distance se crée entre mon ravisseur et moi. Cinquante et un. Cinquante-deux. C’est comme si je m’hypnotisais moi-même pour oublier sa présence. Cinquante-trois. Cin…

Sa main sur moi.

Je perds le fil dans mon comptage en sentant de nouveau la pression de ses doigts, entre mes omoplates cette fois. Je sursaute même, comme arrachée à ma contemplation de cette mosaïque aussi interminable que mes tourments. Cent… Cinquante-cinq… non cinquante-deux ? Cinq-cents…? Non. Recommence ! Un, deux, trois, quatre… Je compte plus vite cette fois, mais impossible de faire abstraction de ce qu’il se passe.

Sa main se déplace, recouverte de ce que je suppose être un gant de toilette. Il frotte méticuleusement chaque centimètre carré de mon dos, opérant de petits mouvements circulaires suffisants, je le suppose, à me débarrasser de ma crasse sans m’irriter. Le parfum délicat du savon contraste terriblement avec ma propre odeur après ces jours d’isolement. Malgré les circonstances, cette agréable senteur et ce sentiment de faire peau neuve m’apaisent.

Ça va aller. Ce n’est qu’une douche. Tu te sentiras bien mieux après. Compte ! Quatorze… Quinze…

Il rince le gant sous le jet d’eau, remet du savon et poursuit sa tâche. Il frotte mes épaules, ma nuque, mes oreilles et mon crâne où mes cheveux ras me donnent une sensation de picotements quand il y touche. J’ai perdu ma concentration pour compter les carreaux, j’abandonne.

Il rince encore, puis il s’attaque à mes bras tendus, des aisselles jusqu’aux poignets. S’il veut faire les choses correctement, il sera obligé de me détacher pour nettoyer mes mains. Il faudra aussi qu’il me retourne et lave la face avant… Je secoue la tête et serre les dents pour repousser cette évidence désagréable. Ça va aller.

Il nettoie mes hanches puis mes fesses. Encore un rinçage, avant de descendre le long de chaque jambe. Je me contracte, redoutant l’inéluctable. Ses gestes sont appliqués et il semble opérer de façon méthodique. Comme s’il en avait… l’habitude. Ce n’est pas la première fois que l’idée me traverse l’esprit. Peut-être ne suis-je pas la seule ? Mais s’il y en a d’autres en ce moment même… où sont-elles ? Et s’il y en a eu d’autres avant moi… que sont-elles devenues ?

Sa main gantée remonte à l’intérieur de chacune de mes cuisses. Elle se pose fermement sur mon entre-jambe. Et elle y reste. J’en ai le souffle coupé. Il se tient immobile et silencieux derrière moi, tenant en coupe mon intimité. Comme s’il me jaugeait.

Personne, dans toute ma vie, ne m’a jamais touchée de cette façon sans mon consentement. Je pourrais lui hurler dessus, tenter de me débattre, bien que cela soit tout à fait inutile avec les menottes. Mais même sans elles, je sais que j’aurais renoncé à cette option. La boîte. Mes pensées s’entrechoquent, me forçant à saisir pleinement toute la perversité de la situation, si tant est que j’en ai besoin.

Et lui, depuis qu’il m’a attachée… est-il resté… habillé… au risque de mouiller ses vêtements ? Ou les a-t-il enlevés ? Arrête ! N’y pense pas ! Se trouve-t-il… nu… dans mon dos ? Seigneur… Est-ce que me voir comme ça lui fait… de l’effet ? Et si… et s’il me… faisait plus de mal… encore… ?

Je baisse la tête, terrassée par le dégoût et la peur. Ma poitrine se soulève et s’affaisse violemment, ma respiration est de nouveau incontrôlable. Je suffoque. Je ferme les paupières très fort mais sans parvenir à retenir les pleurs contenus à grande peine depuis qu’il m’a ordonné de me déshabiller. Les doigts de sa main gauche se referment soudain comme des serres sur mon crâne et me forcent à relever la tête.

- Je vois à quel point tu redoutes ma main, constate-t-il à voix basse.

Tremblante, j’ouvre les yeux et fixe le mur en face de moi comme si je pouvais voir à travers. Mes larmes troublent ma vision. Je sens ses lèvres effleurer mon oreille.

- Mais sois-en sûre, chuchote-t-il, un jour c’est toi qui la réclameras.

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