Le Parc
Esther attendait au Starbucks et faisait la file pour récupérer son chocolat viennois à emporter. Quand elle sortit, elle observa le ciel. Il était bleu avec quelques nuages relativement blancs. Aucune averse n’était prévue dans les prochains jours. C’était l’occasion parfaite pour sortir et profiter un peu de sa journée de repos. Elle en avait rarement, travaillant pratiquement tous les soirs, même les jours où elle n’est pas sensée le faire juste pour aider Lola.
En effet, il arrivait très souvent que Lola vienne la chercher pour simplement remplacer un employé absent. C’était d’autant plus facile qu’elle habitait juste au-dessus du club et qu’elle ne pouvait de toute façon pas dormir à ces heures-là à cause de la musique qui était bien trop forte pour elle. Son repos se faisait dans le silence le plus absolu… Mais ce jour-là, après avoir travaillé dur pour remplacer Lola en tant que gérante du planning, elle avait eu la promesse de garder son jour de repos. Et comme le temps s’y prêtait, elle voulait un peu sortir et profiter un peu d’une balade dans un parc et pourquoi pas y lire un peu.
Elle marcha d’un pas tranquille. Le Parc Léopold n’était pas très loin. Elle aimait bien cet endroit. Malgré le fait qu’il était situé en centre ville, juste à côté de l’axe rouge, on pouvait presque l’oublier tellement l’ambiance y était agréable. Entouré d’un mur de briques, le parc était dans l’ensemble une colline verdoyantes sur laquelle se dressait un lycée, et plus haut encore le quartier européen et le musée des sciences naturelles. Çà et là, il y avait un certain nombre de marronniers et d’hêtres qui apportaient de petits espaces frais et ombragés lors de journées ensoleillées. Esther se dirigea d’ailleurs vers un banc sous l’un d’entre eux après avoir fait un tour du lac pour se poser.
Elle observa pendant un moment des enfants en tenue de gym courir sous les encouragements énergiques de leur professeur, des personnes promener leur chien, des travailleurs s’avancer d’un pas pressé pour retourner à leur travail, des cygnes et des canards nager sur la surface du lac…
Esther soupira d’aise à ce spectacle. C’était calme et apaisant, loin de tout ce qu’elle pouvait avoir chez elle en dehors des dernières heures de la matinée. Elle apprécia le vent léger dans ses cheveux et resta un moment ainsi, les yeux fermés à juste ressentir et écouter le monde autour d’elle. Elle se vidait l’esprit pour se fondre dans ce tout unique.
Au bout d’une vingtaine de minutes à ne rien faire d’autre que méditer, elle rouvrit les yeux. Un sourire discret apparut sur son visage sans réelle raison. Elle avait toujours été de nature souriante, surtout ces dernières années. Elle sortit sa liseuse de son petit sac et continua sa lecture du moment, les Harry Potter. Elle en avait entendu parler et en avait vu quelques extraits à l’occasion sur YouTube mais elle n’avait jamais eu l’occasion d’en découvrir l’histoire dans son entièreté. Alors, en les trouvant dans la bibliothèque virtuelle, elle avait sauté sur l’occasion et en avait déjà lu deux tomes avec plaisir. Elle s’était naturellement plongée dans le troisième avec autant d’engouement que les deux précédents.
— Angie ? Fit soudain une voix qu’elle reconnut aussitôt.
Elle redressa la tête et vit que Philippe se tenait devant elle, lui aussi, de retour dans son costume trois pièces et tenant un café à la main.
— Phil ! Dit-elle joyeusement mais sans extravagance. Mais quelle bonne surprise !
L’homme eut un sourire.
— Je n’étais pas sûr de t’avoir reconnu, avoua-t-il.
— C’est vrai qu’en général, je ne suis pas très habillée, rit-elle doucement mais pas trop fort pour ne pas se faire remarquer.
Elle n’allait certainement pas crier sur tous les toits la nature de son métier même si elle n’en avait pas honte. Les hommes pouvaient juste être cruels et hâtifs en jugement. Phil lui répondit par un sourire.
— Je peux m’asseoir ?
— Nous sommes dans un pays libre, dit-elle avec un sourire plus large tout en tendant la main vers l’espace libre du banc.
L’homme s’assit et cala bien sa mallette sur ses genoux.
— Que fais-tu ici ?
— C’est un parc public.
— Oui, rit-il, se sentant un peu bête par sa question. C’est vrai. Je l’oublie parfois puisque je travaille au lycée juste là.
— Oh…
Philippe avait donc été transféré dans un autre établissement pour continuer sa profession. Esther l’ignorait. Elle aimait juste se balader de temps à autre et elle avait choisi ce parc par pur hasard.
— Le monde est petit, ajouta-t-elle ensuite, riant avec lui. J’étais en promenade et je me suis juste arrêtée ici pour lire un peu.
— Tu aimes lire ? Demanda l’homme avec curiosité, une étincelle de passion dans son regard.
— Oui, répondit-elle.
— Quel genre de livres ?
— Je ne sais pas trop, avoua-t-elle. Je n’ai jamais vraiment accroché aux lectures imposées à l’école.
— Malheureusement, nous passons tous par là. Et comment faire découvrir aux jeunes ce qui a été fait avant autrement qu’en l’imposant ? Aujourd’hui, à part quelques poignées de personnes, tout le monde est le nez sur leur téléphone ou devant des jeux vidéos. Le monde de la lecture est de plus en plus délaissé pour des écrans colorés.
— Je n’ai pas les moyens de me payer une télévision, révéla Esther en haussant des épaules. Et je vis très bien sans. Je n’avais pas le droit de la regarder quand j’étais petite.
Philippe la regarda un instant et écarta le regard en souriant pour observer les canards qui montaient sur la berge du lac.
— Et que lis-tu en ce moment ? Demanda-t-il au bout de quelques secondes.
— Là, je découvre Harry Potter.
— Un classique pour les jeunes mais pas une mauvaise histoire, sourit l’homme.
— Et sinon, j’ai beaucoup apprécié Frankenstein de Mary Shelley.
— Hmmm… Un très bon livre également. Un classique d’un autre genre.
— J’essaie de trouver quel genre pourrait me plaire entre les livres libres de droit et ceux qui me sont accessibles avec mon abonnement Kindle.
— Tu ne lis que sur ta liseuse ?
— Je n’ai pas les moyens d’acheter des livres, ni le temps de me rendre en bibliothèque pour tenter de chercher quelque chose qui pourrait m’intéresser. Mon travail fait que je suis généralement fatiguée la journée.
— Je comprends un peu, sourit-il. Même moi qui travaille de jour, je suis assez fatigué.
— En même temps, travailler dans un lycée…
Ils rirent ensemble pendant quelques instants avant de retourner à un silence calme et apaisant.
Soudain, la montre de Philippe sonna. Il la regarda en soupirant.
— Ma pause est finie… Je dois y aller.
Il se leva et fit un sourire à Esther, gêné de devoir la laisser ainsi alors qu’ils passaient un bon moment, pour une fois hors du contexte un peu chaud de L’Écarlate.
— Est-ce que … ça te dirait de prendre un café avec moi, un de ces jours ? Proposa-t-il. Je pourrais te parler de littérature et t’aiguiller vers certains livres en fonction de tes goûts.
— Ce serait avec plaisir, accepta-t-elle.
— Est-ce que tu as un numéro ou un e-mail pour qu’on s’accorde sur une date ?
— En fait, rit-elle, rougissant légèrement. Je ne plaisantais jamais quand je disais que mon numéro était celui du club. J’habite juste au-dessus.
— Oh !
Philippe rit avec elle.
— Dire que tout le monde peut avoir ton numéro sans s’en rendre compte.
— Et oui. Mais qui penserait qu’il s’agisse réellement de mon numéro privé ? Dès que je dis que c’est celui de L’Écarlate, il pense que je les évince directement sans essayer d’en savoir plus. Et d’un autre côté, cela m’arrangeait, cela m’éviter de devoir les blesser encore plus qu’ils ne l’étaient déjà.
— Tu n’aimes pas commencer des relations.
— Disons que je voudrais être sûre de mes relations… Dans mon domaine, c’est synonyme de sécurité. Les pervers, cela courre malheureusement les rues…
La sonnette du lycée retentit. Esther sourit et claqua des doigts, légèrement taquine.
— Allez, Mr le professeur. Au travail. Allez cultiver un peu l’esprit de ces jeunes enfants avant qu’ils ne soient lobotomisés par des écrans TV.
— C’est malheureusement trop tard pour la plupart, rit l’homme en soupirant. Au revoir, Angie.
— Au revoir, Phil.
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