La lumière du chasseur passe sur nous sans que nous ne bougions d'un pouce. Dissimulés dans les hautes herbes que le faible vent pousse sur nous, nous sommes discrets. Enfin, tant que nous ne nous déplaçons pas.

Malheureusement, je ne suis pas sûr que nous ayons le choix... Le chasseur se rapproche encore !

Il faut bouger, sans qu'il ne nous apperçoive.

Six aussi s'en rend compte, et comme nous sommes assez proche je sens ses muscles se préparer à l'action.

• Il faut courir, chuchote-elle.
• Non, surtout pas !

Le chasseur nous remarquerait tout de suite, et, si un de nous pourrait s'en sortir, l'autre se prendrait une balle à coup sûr. Six me fixe.

• Tu as une autre idée ?

Mon cerveau est en ébullution. Je finis par hocher la tête. Il paraît qu'il y a longtemps, les enfants étaient libres. Ou du moins qu'ils n'étaient pas en danger de mort permanent. Légende ou réalité, je ne saurais le dire. Mais il se raconte qu'en ces temps là, les enfants jouaient ensemble à toutes sortes de jeux.

Et l'un d'eux peut vraiment être ce qu'il nous faut.

• Fais-moi confiance.
• Non.
• Si tu veux vivre, tu n'as pas vraiment le choix, je lâche alors avec agacement.

Le chasseur se rapproche encore. Sa lumière éclaire tour à tour les arbres morts et les pierres grises qui nous entourent... et les herbes hautes qui nous dissimulent. Ce n'est vraiment pas le moment de se disputer.

Alors j'explique le plan à Six malgré tout.

• On avance tant que la lumière n'est pas sûr nous. Sinon, on s'immobilise.

J'espère qu'elle va m'écouter... Si elle décide de s'en tenir à son plan, façon individualiste, l'un de nous deux va mourir. A moins que ce soit les deux...

Le chasseur pointe sa lampe ailleurs. C'est le moment.

Je fais quelque pas, toujours accroupis. Je vois, rassuré, que Six fait de même.

Puis la lumière revient vers nous, et nous nous arrêtons de marcher. Mon souffle s'accélère. Pour nous, contrairement aux enfants du passé, ce n'est pas un jeu. Si nous perdons, nous perdons tout.

Puis, enfin, la lumière disparaît derrière un arbre, avant de revenir. Nous continuons nos déplacements saccadés. Petit à petit, nous avançons. J'apperçois un petit terrier plus loin. Le chasseur ne pourra pas nous trouver là-dedans, et encore moins nous suivre. C'est l'avantage d'être petit.

Je le montre du doigt à ma coéquipière, qui acquiesce.

Nous sursautons lorsqu'un corbeau croasse. Mon coeur rate un battement, mais ce corbeau aura au moins distrait le chasseur. Ne pas en profiter sera dommage.

• Maintenant on court.

Nous nous précipitons vers le tunnel. Mais alors qu'il n'est plus qu'à deux mètres, Six trébuche sur une pomme de pin. Elle s'étale dans la poussière et les épines.

• Six !

Je tourne la vers elle, puis vers le tunnel. Il est tout proche. Six arrivera bien à se relever. Je n'aurais qu'à m'y glisser dans ce trou et...

Deux pas de géant. Le son d'un fusil qu'on recharge.

Six vient à peine de se remettre débout.

Pas le temps de penser.

J'attrape la main de Six et me jette avec elle dans le tunnel. La détonation éclate à ce moment précis.

Je tombe sur mon épaule directement sur des cailloux. Et pour ne rien arranger, Six me tombe dessus.

• Aïeuh ! Six, tu...

Je m'arrête là devant son visage hagard. Elle n'a pas été touchée, si ? C'est la première fois que je vois vraiment une sorte de vulnérabilité dans son regard. Non, ce n'est pas ça. La première fois que je vois une trace d'émotion. Elle a été choqué.

Des pas lourds se rapprochent encore.

L'émotion de Six disparait aussitôt.

• Vite, murmure-t-elle, on bouge !

Je la suis, étonné par la résilience de cette fille. On s'enfonce dans le terrier lorsqu'une deuxième détonation me fait sursauter. Dans le doute, le chasseur a tiré à l'aveugle dans le tunnel... Nous ne pouvons vraiment pas rester.

• Bon, il doit y avoir une autre entrée. Il faut sortir avant qu'il ne la trouve. Sinon il pourra toujours la condamner et on sera foutus.

Je continue d'avancer. Pour une fois, Six ne trouve rien à redire. Cela m'étonne, je dois dire.

• Hé bien, ça va ?
• Quoi ?
• Je ne sais pas... tu ne dis pas un truc du genre "non c'est débile, je te ferai jamais confiance", et tout ça ?
• J'ai pas besoin de le dire pour que ce soit effectif, dit-elle en grimançant. Mais... pour une fois, je ne vois pas d'autre moyen.
• Ok, ok...

On avance en silence dans les ténèbres, de plus en plus obscurs.

Jusqu'au moment où le bruit ventre de Six gargouille encore. Heureusement qu'il ne s'est pas manifesté lorsque nous fuyons le chasseur, il nous aurait repérés direct...

• ....
• ....
• Six, tu...
• T'as encore le saucisson ?
• Heu, oui. Tiens. T'es où ?

Je lui donne à tâtons un morceau. Je le sens quitter mes mains lorsqu'elle grommelle un "merci". Je regrette cette obscurité, j'adorerais voir la tête qu'elle fait.

Mais bon, c'est vrai qu'il ne faudrait pas oublier de se nourrir malgré tout ça. J'en prend moi-même un bout. Pouah, c'est vrai, c'est pas terrible. Mais j'ai déjà mangé pire, et elle, sûrement pire encore. On mange ce qu'on peut. Alors même si c'est un morceau de saucisson suspect et dur comme du bois... ça reste mieux que de manger du bois.

Dans l'obscurité et le silence, je réfléchis à ce que nous venons de vivre. Et ce que j'ai fait. J'ai sauvé cette fille une deuxième fois. Et pour être honnête... je ne sais pas si c'est une bonne chose. Je commence à m'inquiéter pour mon instinct de conservation. Si je veux vivre, risquer ma peau pour quelqu'un d'autre n'est pas vraiment la chose à faire. Chacun est responsable de sa sécurité, ici. Je ne suis pas sûr que ça puisse changer.

Mais elle peut m'être utile, si elle m'aide en retour. Ce qui n'est pas encore assuré, ceci dit.

Nous finissons enfin par apercevoir la lumière. Plus qu'à espérer que notre adorable ami ne nous ait pas devancés...